Après une phase d’expérimentation, le projet porté par Emmanuel Macron se heurte à de lourds obstacles.
Françoise Nyssen tentait d’effacer ses doutes en parlant de « révolution ». Franck Riester ne cachait pas ses « interrogations », notamment sur le modèle économique. Roselyne Bachelot, désormais, évoque des « fragilités ». Rue de Valois, les ministres passent et les incertitudes sur le Pass culture demeurent.
Projet culturel phare du président Macron, cette application – qui doit permettre aux jeunes de 18 ans de disposer de 500 euros pour accéder aux offres culturelles de proximité ou numériques de leur choix – est à un tournant de sa (courte) histoire. En phase d’expérimentation depuis juin 2019 dans quatorze départements, il verra son avenir se jouer dans les prochaines semaines.
Sous-consommation
Deux choix s’ouvrent à la troisième ministre de la culture d’Emmanuel Macron : abandonner le projet, d’autant qu’à l’heure du Covid-19 la priorité financière pour la culture est ailleurs, ou le généraliser sur tout le territoire, en considérant que ce Pass peut participer à la relance du secteur. A l’Elysée et Rue de Valois, on épluche actuellement les résultats de l’expérimentation pour juger de la pertinence du dispositif.
Que dit ce bilan ? Qu’au 11 septembre, quelque 93 000 jeunes (sur les 135 000 concernés par les tests départementaux) ont activé leur Pass. Ce chiffre cache de fortes disparités. C’est surtout en Bretagne (seule région où tous les départements étaient concernés par l’expérimentation) que le projet a remporté l’adhésion avec 36 000 jeunes inscrits (sur 40 600) qui ont effectué plus de 170 000 réservations. A l’opposé, dans le Vaucluse, seuls 35 % des jeunes se sont inscrits et 46 % en Saône-et-Loire. Les utilisateurs sont à 91 % des étudiants ou de lycéens (6 % des actifs ou apprentis, 3 % des chômeurs) et à 51,5 % des femmes.
Qu’est-ce qui attire les détenteurs du Pass ? Les livres, la musique (abonnement à Deezer, festivals et concerts) et l’audiovisuel (abonnement à OCS, Canal+) arrivent largement en tête. Le cinéma, intégré tardivement dans les offres, fait un bon démarrage avec l’abonnement Pathé-Gaumont, alors que le théâtre, les musées, la presse et les pratiques artistiques sont à la peine. A l’exception du livre, ces tendances rejoignent les conclusions de l’enquête sur les pratiques culturelles des Français et notamment le fossé générationnel entre la culture numérique et la culture patrimoniale.
De plus, l’expérimentation montre clairement une sous-consommation : les jeunes ayant activé leur Pass n’ont dépensé, en moyenne, que 120 euros. Même si ce chiffre doit être relativisé (ils ont vingt-quatre mois pour dépenser la somme et la période de confinement n’a pas aidé), il fait dire à bon nombre d’observateurs que le projet nécessite d’être « recalibré ». Même les responsables du dispositif – Damien Cuier, président de la SAS Pass culture et Isabelle Giordano, présidente du comité stratégique –, le reconnaissent : la somme de 500 euros « s’avère sans doute trop élevée » et elle pourrait être réévaluée autour de 300 euros à 350 euros.
Objectifs et enjeux
« Bien que le bilan soit nuancé, le projet n’a pas perdu de sa pertinence », estime-t-on dans l’entourage du président de la République. « Mais, ajoute-t-on immédiatement, il reste fort à faire pour y apporter des améliorations et un meilleur accompagnement des jeunes dans leur parcours culturel. »
Renversant la traditionnelle politique culturelle de l’offre pour privilégier la demande, le Pass a des objectifs ambitieux : diversifier les pratiques des jeunes et combattre les inégalités dans l’accès à la culture en cassant les barrières financières et sociales. Actuellement, le contrat n’est pas rempli. Et nécessite, de l’avis des décideurs, le développement d’une médiation et d’un partenariat avec l’éducation nationale pour que le Pass s’inscrive dans une politique d’éducation artistique et culturelle (EAC) renforcée.
« La généralisation est suspendue à de nombreux enjeux », reconnaît-on à l’Elysée. Ils sont d’ordre technologique (mettre au point un « anti-algorithme » qui pousse le jeune à diversifier ses achats), juridique (protéger les données face à des opérateurs privés) et budgétaire. Offrir un Pass culture de 500 euros à chaque jeune de 18 ans représente un budget de 400 millions d’euros chaque année. Le montage financier a été revu et devrait être assuré, à montant équivalent, par l’Etat, les offreurs et des mécènes. Mais ces derniers n’ont toujours pas été trouvés.
A cela s’ajoute la nécessité de mieux référencer...
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