La chanteuse d’opéra avait dénoncé, « pour en finir avec la loi du silence, » le comportement de son partenaire à la scène. Une enquête préliminaire a été ouverte.
C’est un geste fort : le ministère de la culture a rendu public, mardi 8 septembre, un communiqué indiquant avoir effectué un signalement auprès du procureur de la République, en réaction à la plainte pour agression sexuelle déposée au mois de mars par la soprano française Chloé Briot contre l’un de ses partenaires masculins. Si l’article 40 du code de procédure pénale impose l’obligation, « pour toute autorité constituée, tout officier public ou fonctionnaire, dans l’exercice de leurs fonctions », de signaler des crimes ou délits dont il a connaissance, la ministre de la culture, Roselyne Bachelot, affiche ainsi haut et fort sa volonté « de prendre toute la mesure des violences sexistes et sexuelles dans le milieu musical ».
L’affaire a été révélée par l’intéressée, mercredi 19 août, dans un entretien à l’hebdomadaire spécialisé La Lettre du musicien. La soprano y fait état du comportement d’un baryton durant les répétitions et les représentations de L’Inondation, un opéra de Francesco Filidei mis en scène par Joël Pommerat, une commande de l’Opéra-Comique. La jeune femme dit avoir choisi de parler « pour en finir avec la loi du silence qui règne à l’opéra ».
Les faits se seraient produits pendant plusieurs mois, entre octobre 2019 et février, d’abord à la création de l’œuvre, Salle Favart à Paris, puis dans les Opéras de Rennes et de Nantes lors des reprises du spectacle, dont le synopsis narre l’histoire d’un couple sans enfants à la dérive, Chloé Briot et son binôme interprétant deux scènes de sexe explicites. C’est précisément dans ce contexte qu’auraient été commises les exactions du chanteur, débordant le propos défini par la mise en scène. Attouchements, propos déplacés, Chloé Briot, qui dit s’être d’abord tue par professionnalisme (elle est l’un des rôles principaux) jusqu’à la première, « terrorisée à l’idée de mettre le bazar », a fini par alerter la production au moment de la reprise du spectacle à Rennes, mi-janvier.
Un recadrage du chanteur
Ses propos sont pris au sérieux. Il y a eu un recadrage du chanteur par le metteur en scène et la mise en place « de mesures de précaution pour protéger les artistes, les éloigner », a expliqué le 21 août au site de France Musique Matthieu Rietzler, le directeur de l’Opéra de Rennes. La chanteuse réclame ensuite que semblable dispositif soit pris à Nantes. Mais, selon elle, le directeur de la maison lyrique nantaise, Alain Surrans, ne semble alors même pas au courant. Une affirmation contestée par l’Opéra de Nantes qui assure avoir suivi le même protocole qu’à Rennes, même si Alain Surrans reconnaît n’avoir peut-être pas suffisamment dialogué avec Chloé Briot.
La chanteuse française de 32 ans, qui se dit traumatisée, n’a pas pu chanter pendant plusieurs semaines. « Je ne sais pas comment remonter sur scène et je ne dors plus, explique-t-elle à La Lettre du musicien, précisant : Je sais ce que je risque. Si je ne suis plus embauchée, tant pis. Je ne veux plus vivre ça. » La jeune femme connaît l’omerta qui règne dans le milieu. Bien que la Réunion des Opéras de France (ROF) ait promulgué une charte afin de lutter contre les violences sexuelles, la plupart des artistes renoncent à témoigner.
De son côté, le ministère annonce vouloir mener, en lien avec le Centre national de la musique, « un travail d’alerte, de prévention et d’accompagnement des structures de formation, de production et de diffusion » auquel seront associés les représentants des artistes. « Le résultat de ce travail sera présenté à la ministre de la culture [Roselyne Bachelot] à la fin de l’année 2020. »
En mars, Chloé Briot a décidé de saisir la justice en déposant une plainte au commissariat de Besançon, ville dont est originaire son agresseur présumé. « C’est une plainte pour des faits répétés, estime Christophe Cottet-Bretonnier, l’avocat de Chloé Briot, joint par Le Monde. Le signalement du ministère de la culture est un geste fort envers ma cliente et, au-delà, un message adressé au monde feutré de l’opéra. » Une enquête préliminaire pour agression sexuelle a été ouverte le 15 mai et « une confrontation sera organisée », a indiqué le procureur de la République de Besançon, Etienne Manteaux. Si les faits sont reconnus, le baryton encourt jusqu’à cinq ans de prison et 75 000 euros d’amende. Lui-même a déposé, toujours à Besançon, une plainte pour dénonciation calomnieuse. S’estimant trop facilement identifiable, il conteste les accusations portées contre lui et dénonce une atteinte grave à sa carrière, évoquant des menaces...
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