La cascade de reports des spectacles, expositions, sorties de films ou de livres met en évidence une inflation structurelle de l’offre et une programmation de plus en plus verrouillée. Un système à repenser ?
C’est la métaphore de l’autoroute : on est passés de deux à trois voies, on est de plus en plus nombreux et on va de plus en plus vite, un accident arrive, disons une panne, disons le Covid-19, et nous voilà tous bloqués dans un grand embouteillage qui s’étend de plus en plus loin et mettra longtemps à se résorber. C’est ce qui arrive au monde de la culture. Du jour au lendemain, tout s’est arrêté. Spectacles, expositions, livres, sorties d’albums ou de films : plus rien. Avec un corollaire lorsque la vie reprendra : le risque d’un grand embouteillage.
C’est particulièrement visible dans le cinéma. Hormis Tenet, de Christopher Nolan, maintenu pour l’heure au 22 juillet, les blockbusters qui auraient dû scander 2020 procrastinent. Mourir peut attendre, le nouveau James Bond prévu le 8 avril, attendra le 11 novembre. Idem pour Soul, le film d’animation produit par Disney/Pixar, dont la sortie a été décalée du 24 juin au 25 novembre. Top Gun 2, avec Tom Cruise, n’atterrira plus cet été, mais à Noël. Face à ce chassé-croisé, difficile de croire que les remakes de West Side Story, que mijote Steven Spielberg depuis janvier 2014, et de Dune, que Paramount prépare depuis 2008, sortent bien le 16 décembre et le 23 décembre, comme annoncé. L’exploitation en salles de Mission Impossible 7, dont le tournage à Venise a été interrompu par la crise sanitaire, n’a-t-elle pas déjà été reportée de juillet à novembre 2021 ?
« Les films sont plus harmonieux que la vie. Il n’y a pas d’embouteillages dans les films, pas de temps mort. Les films avancent comme des trains, tu comprends, comme des trains dans la nuit », entend-on dans La Nuit américaine (1973), de François Truffaut. En 2018, 8 088 films ont été projetés sur les 5 981 écrans que compte le réseau français. Jusqu’à ce que le Covid-19 ne l’engorge, ce trafic était régulé par deux principaux aiguilleurs, dont les signaux donnaient le « la » aux distributeurs et exploitants de salles : les studios hollywoodiens pour les films américains, les grands festivals pour le cinéma d’auteur international.
Mais si son économie est bien plus modeste que les locomotives hollywoodiennes, le cinéma d’art et d’essai devrait subir une cascade de reports similaires. L’annulation de l’édition 2020 de Cannes est déjà actée, celle de Venise de plus en plus probable. Dès lors, la tentation est grande, pour les films qui auraient pu concourir cette année – Benedetta, de Paul Verhoeven, Annette, de Leos Carax… – d’attendre les crus berlinois, cannois ou vénitiens de 2021 avant de prendre le chemin des salles.
« L’engorgement va se poursuivre l’an prochain »
Même topo pour la littérature. Si les livres du printemps ont été reportés à l’automne, d’autres à 2021, certains sont renvoyés sine die. Et les éditeurs ont réduit de 30 % à...
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