Malgré les appels à la souplesse dans l’application du couvre-feu, les théâtres, les cinémas et les salles de spectacle ne pourront pas rester ouverts jusqu’à 21 heures. Certains professionnels préconisent de continuer la bataille sur le front juridique.
Jean Castex a tranché. Après trente-six heures de valse-hésitation, le premier ministre a décidé, vendredi 16 octobre, qu’il n’y aurait pas d’exceptions à la règle du couvre-feu, imposé de 21 heures à 6 heures en Ile-de-France et dans huit des principales métropoles françaises. Malgré leurs appels à la compréhension et à la souplesse dans l’application de cette mesure inédite depuis le début de la crise sanitaire, les théâtres, les cinémas et les salles de spectacle ne pourront pas maintenir de représentations ou de séances jusqu’à 21 heures. Car il faudra, à cette heure-là, que les spectateurs soient rentrés chez eux.
« Nous devons combattre le virus, il faut que la règle soit claire, et donc nous ne souhaitons pas faire d’exception, explique l’entourage de Jean Castex pour justifier le maintien d’un couvre-feu à 21 heures pour tout le monde. Nous avons conscience qu’il s’agit d’un effort difficile pour les secteurs dont l’activité est principalement nocturne, mais la situation sanitaire nous contraint à limiter au maximum les interactions. » « Les règles doivent être les mêmes pour tous », a plaidé le premier ministre, en marge d’un déplacement à Lille, vendredi. « Je suis sûr que tout le monde va s’adapter, y compris le monde de la culture », a-t-il ajouté.
Depuis l’annonce par Emmanuel Macron, mercredi 14 octobre, de la mise en place d’un couvre-feu à partir du samedi 17 octobre, la bataille était intense entre le ministère de la culture, qui soutenait la demande d’un aménagement pour le monde du spectacle et du cinéma, et Matignon, qui mettait en avant la nécessité d’une mesure sanitairement efficace et lisible pour le plus grand nombre. « Plus on fait des exceptions, plus il y a de risques que le couvre-feu ne soit pas efficace », expliquait un proche de Jean Castex, vendredi.
Dans un premier temps, la ministre de la culture, Roselyne Bachelot, avait reçu le soutien d’Emmanuel Macron, qui se disait sensible aux arguments des artistes, même si l’Elysée dément toute intervention. De son côté, le premier ministre avait reçu celui de Bruno Le Maire. « Ce qui fait la force d’une règle, c’est sa clarté et sa simplicité. Si vous commencez à multiplier les exemptions (…) on ne va pas s’en sortir », a déclaré le ministre de l’économie vendredi matin sur BFM-TV. Une ligne dure qui s’est finalement imposée. « Il y a eu des discussions et des hésitations, mais la volonté d’avoir une règle claire l’a emporté », évacue un conseiller.
Avalanche de protestations
Sans surprise, cette décision a déclenché une avalanche de protestations parmi les professionnels, qui pensaient avoir obtenu gain de cause avec le soutien de Roselyne Bachelot. « Le couperet est tombé et on ne comprend pas, s’émeut Marc-Olivier Sebbag, délégué général de la Fédération nationale des cinémas français (FNCF). On ne demandait pas une dérogation ou un changement des règles sanitaires mais seulement un aménagement pour que les spectateurs ne soient pas inquiétés s’ils rentraient chez eux après 21 heures. » Les cinémas et les théâtres proposaient notamment que le billet électronique serve de justificatif en cas de contrôle.
« Il y a un sentiment d’injustice aujourd’hui. La demande de dérogation portée par Roselyne Bachelot ou encore [la maire de Paris] Anne Hidalgo ne me paraissait pas exagérée, alors qu’il n’a pas eu de foyers de contamination dans les salles de spectacle et que les mesures sanitaires sont respectées », abonde Olivier Py, le directeur du festival d’Avignon. « Le risque que les salles de cinéma referment est réel », s’alarme de son côté François Aymé, président de l’Association française des cinémas d’art et d’essai (Afcae), pour qui le gouvernement doit d’urgence « faire un geste en direction des distributeurs afin de les inciter à maintenir les sorties de films », sans lesquelles les salles seraient contraintes de baisser le rideau.
Conscient de la colère provoquée par sa décision, l’exécutif se dit prêt à envisager de nouveaux plans d’aide. Vendredi après-midi, Roselyne Bachelot a longuement rencontré Bruno Le Maire à ce sujet. Son entourage promet un « renforcement des mesures transversales qui s’appliquent naturellement au secteur de la culture (fonds de solidarité, exonération de cotisations, activité partielle) », mais aussi « de nouvelles mesures spécifiques ». Un fonds de compensation, pour pallier le manque à gagner des salles obligées de supprimer leurs séances en soirée, et un fonds de sauvegarde, pour aider celles qui seront obligées de fermer, seront notamment créés. « Leur dimension fera l’objet d’une communication ultérieure », indique-t-on Rue de Valois.
Les salles tentent d’adapter leurs horaires
Cela suffira-t-il à calmer la colère des professionnels ? Très remontés, dénonçant l’absence totale de consultation, réclamant une « exception culturelle », certains vont jusqu’à préconiser de mener la bataille sur le front juridique. « Les professionnels doivent saisir le Conseil d’Etat pour tenter de faire annuler le décret instituant le couvre-feu à l’égard des lieux culturels », estime ainsi Pascal Rogard, président de la Société des auteurs et compositeurs dramatiques (SACD). « Face à une injustice, il est normal de saisir la justice », estime-t-il. Une idée pas si saugrenue. En Allemagne, le tribunal administratif de Berlin a annulé, vendredi, la fermeture imposée aux bars de la capitale entre 23 heures et 6 heures, estimant que celle-ci ne contribuait pas à « une réduction significative de l’incidence de l’infection ».
En attendant, la plupart des salles tentent...
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