Critiquée pour sa surproduction et des conditions de travail parfois violentes, la manifestation alternative, qui se déroule du 7 au 30 juillet, est tiraillée jusqu’à son sommet entre deux visions du théâtre en apparence irréconciliables.
Si le «off» d’Avignon, foire théâtrale tentaculaire donnée en parallèle du festival «in», était un animal, ce serait un blob. Une créature vorace de film d’horreur, à la forme indéterminée, qui grossit à vitesse exponentielle et qu’aucune forme de pandémie et de quarantaine ne suffit à calmer. Dans les années 70, seule une quarantaine de spectacles se produisaient dans ce off, créé sous l’impulsion de l’artiste avignonnais André Benedetto en rébellion contre «l’institution» que représentait alors le festival de Jean Vilar. Cette année, entre le 7 et le 30 juillet, pas moins de 1 570 spectacles se joueront quasi tous les jours dans la petite cité papale en parallèle à la programmation officielle. Sur ce nombre, 1 183 sont présentés pour la première fois au off. Et autant craignent d’être mort-nés, invisibles dans cet immense marché dérégulé que certains artistes surnomment – c’est tout dire – un «cimetière de compagnies», mais dans lequel ces dernières continuent d’investir massivement dans l’espoir de repartir avec des dates de tournée et de se rembourser.
Le festival officiel se fonde sur une logique de programmation – triant sur le volet ses artistes, grosses locomotives internationales qui bénéficient de conditions de travail idoines et d’un relais presse conséquent. Le off, lui, non subventionné et historiquement sans direction, transforme chaque mois de juillet une multitude de locaux de la ville en petits théâtres de fortune louant, pour la plupart, des créneaux horaires au millier de compagnies qui y affluent. Aujourd’hui, rapporte Harold David, coprésident de l’association qui coiffe l’événement – Avignon festival et compagnies (AF & C) –, cet événement populaire attire «trois fois plus de spectateurs que le in, délivre sept fois plus de billets et rapporte plus de 50 millions d’euros au territoire». Il est aussi devenu le concentré infernal des problèmes de tout un secteur. Comme le dénonçait cette année un rapport de la Cour des comptes, les spectacles pullulent, stimulés par des aides publiques centrées sur le renouvellement de la création, sans que leur diffusion ne suive toujours.
Plus grand marché du monde
Les tables rondes organisées pendant les multiples confinements ont eu beau appeler à «renverser un système à bout de souffle», aucune ne sera parvenue à freiner l’appétit du monstre : l’offre pléthorique de pièces, one man shows et numéros de cirque en tous genres atteint les mêmes sommets qu’en 2019. Les locations de salles (puisque les artistes, dans le off, paient pour jouer) continuent à se négocier autour de 100 euros le siège. Les prix des logements, eux, auraient considérablement augmenté pour cette nouvelle édition, à entendre Emilie Audren, directrice de la Manufacture, salle très repérée pour sa programmation : «Les programmateurs qui s’y prennent au dernier moment sont obligés de se loger à vingt kilomètres d’Avignon ou de payer des chambres d’hôtel à 300 euros la nuit.» Résumé du tableau : «Des théâtres au confort et à la qualité de service variables, prisonniers d’un modèle économique reposant sur la location de créneaux horaires aux compagnies, une population locale laissée de côté, des logements loués à prix d’or, des compagnies sortant de l’aventure exsangues», énuméraient, en mars 2021, Irène Jacob, Agnès Jaoui ou Jean-Michel Ribes dans une tribune publiée dans le Monde appelant à «réinventer» la manifestation. Un an et demi plus tard, rien n’a changé dans...
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