Près d’un Français sur deux ne s’est pas rendu dans un lieu culturel depuis le 21 juillet, alors qu’ils étaient 88 % à le faire avant la pandémie de Covid-19. C’est le résultat d’une étude commandée par le gouvernement, qui vient appuyer le sentiment ressenti par les professionnels.
C’est l’étude que tous les professionnels de la culture attendaient. Mais elle ne va pas les rasséréner. Mercredi 27 octobre, Roselyne Bachelot devait dévoiler les résultats d’une enquête commandée par le gouvernement sur le comportement des Français en matière de sorties culturelles, dix-huit mois après le début de la crise sanitaire liée au Covid-19. Ses conclusions, que Le Monde a pu consulter, sont édifiantes : près d’un Français sur deux ne s’est pas rendu dans un lieu culturel depuis l’instauration du passe sanitaire le 21 juillet, alors qu’ils étaient 88 % à le faire avant l’épidémie, et près d’un tiers assurent qu’ils fréquenteront désormais moins les lieux culturels.
Cette étude, réalisée début septembre par l’institut Harris Interactive, apporte pour la première fois une vue d’ensemble sur les sorties culturelles post-crise, au-delà des chiffres de fréquentation brandis par les uns et les autres. Depuis le 21 juillet, seulement 51 % des personnes allant au cinéma habituellement au moins une fois par an, sont retournés en salle. Pis, à peine plus d’un tiers (40 %) des familiers des musées ont repris le chemin des expositions, quand ceux des monuments historiques l’ont fait à 45 %.
Mais l’hémorragie est surtout palpable dans le spectacle vivant. Ainsi, seulement 27 % des amateurs de musique disent avoir assisté à un concert depuis la mise en place du passe sanitaire, tandis que les amoureux des planches n’ont été que 25 % à retourner au théâtre. Les chiffres sont à peine plus élevés pour la danse (31 %) et le cirque (28 %). De la même façon, près des trois quarts des Français qui se rendaient à un festival au cours d’une année normale n’y sont pas retournés cet été.
Du mal à trouver un public
Ces chiffres, même s’ils proviennent d’un sondage réalisé début septembre et peuvent avoir déjà évolué, viennent appuyer le sentiment ressenti par les professionnels depuis la rentrée. Si un certain nombre de Français ont retrouvé le chemin des théâtres, des cinémas ou des musées, on est encore loin des niveaux de fréquentation d’avant l’épidémie. «Cette étude confirme en tout point ce que l’on vit, estime Pierre-Yves Lenoir, codirecteur du Théâtre des Célestins, à Lyon. Depuis la rentrée, on a perdu 40 % du public, sur les abonnements comme sur la billetterie. Pour un théâtre municipal comme le nôtre, avec 25 % de ressources propres, les conséquences sont importantes : si cette baisse se confirme, cela représentera 800 000 euros en moins dans le budget de la saison.»
De fait, nombre de spectacles, films ou expositions ont du mal à trouver leur public. Au cinéma, si les grosses affiches tirent leur épingle du jeu – Dune (2,75 millions de spectateurs), Mourir peut attendre (2,58 millions), BAC Nord (2,1 millions) –, les films indépendants souffrent en salles. Tralala des frères Larrieu aura bien du mal à franchir la barre de 100 000 entrées (75 000 aujourd’hui). Le film de François Ozon, Tout s’est bien passé, devrait lui enregistrer autour des 250 000 entrées. Dans des genres différents, Les Amours d’Anaïs de Charline Bourgeois-Tacquet (59 000 entrées) et L’Origine du monde de Laurent Lafitte (226 000 entrées) confirment la difficulté pour de nombreux films à trouver leur public.
Dans les musées et les monuments, la situation est tout aussi préoccupante. Certes, la fréquentation a augmenté ces derniers mois, après l’effondrement de l’an dernier (− 72 % de visiteurs au Louvre en 2020, − 76 % au château de Versailles, − 56 % au Mucem de Marseille…) et certaines expositions font le plein, comme celle consacrée à l’Américaine Georgia O’Keeffe au Centre Pompidou ou au Russe Ilya Répine au Petit Palais, mais le nombre de visiteurs reste en moyenne inférieur de 30 % à 50 % à celui d’avant-crise. «L’année 2021 risque de ressembler à celle de 2020, s’inquiète François Saint-Bris, propriétaire du Clos Lucé, troisième château de la Loire le plus visité après Chambord et Chenonceau. Avant la crise, on avait par exemple 30 % de visiteurs étrangers, on ne devrait pas en avoir plus de 10 % cette année.»
Pierre-Yves Lenoir, codirecteur du Théâtre des Célestins : «On sent chez les spectateurs une volonté de limiter les risques, de sécuriser leur soirée»
Dans les théâtres, la situation est plus hétérogène. Selon les salles et les pièces à l’affiche, on passe d’un lieu plein comme un œuf comme celui de Paris-Villette pour L’Etang, de Gisèle Vienne, à l’affiche en septembre lors du Festival d’Automne, à des moitiés de jauges au Théâtre national de la danse de Chaillot, pour Ineffable de Jann Gallois, du 22 septembre au 1er octobre, ou Planet [wanderer] de Damien Jalet, qui a néanmoins fait salle comble sur les quatre dernières de ses 11 représentations de septembre.
«Le public a tendance à privilégier les valeurs refuge, les noms connus, les spectacles qui ont déjà été joués et qui ont eu du succès, note Pierre-Yves Lenoir. Chez nous à Lyon, la pièce “La Vie de Galilée” de Brecht, mise en scène par Claudia Stavisky, avec Philippe Torreton, est en tournée et marche très bien. En revanche, avec “Love”, d’Alexander Zeldin, pourtant un des spectacles majeurs de ces dernières années, cela a été très difficile : ce n’est pas encore un nom connu du grand public, le spectacle est en anglais surtitré, c’est une écriture d’aujourd’hui… On sent chez les spectateurs une volonté de limiter les risques, de sécuriser leur soirée.»
Eviter les lieux fréquentés
«Des noms comme ceux du chorégraphe William Forsythe ou de la star du flamenco Israel Galvan, remplissent vite tandis qu’on rame pour les jeunes artistes, abonde Michèle Paradon, la directrice artistique de l’Arsenal, un ensemble de salles de spectacles consacrées à la musique classique et à la danse contemporaine à Metz. Nous avons perdu 30 % d’abonnements et ce n’est parfois que deux ou trois jours avant une représentation qu’on voit si ...
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