Alors que s’ouvre la FIAC, les foires touchées par les difficultés de circulation des collectionneurs tentent de se réinventer.
A l’heure où s’ouvre la Foire internationale d’art contemporain (FIAC), comment le marché de l’art s’est-il adapté aux crises provoquées par la pandémie ? Galeristes et maisons de vente aux enchères ne se sont pas contentés de faire le dos rond. Ils ont inventé de nouvelles façons de soutenir leurs artistes et de maintenir leurs profits. La plus remarquée est l’accélération spectaculaire des ventes en ligne, avec des succès divers toutefois : les foires d’art contemporain qui ont tenté l’expérience n’ont pas réellement convaincu.
Car les foires sont avant tout des lieux de rencontre physique. Jusqu’à sa réouverture en « présentiel » il y a un mois, Art Basel (mais aussi ses extensions à Miami et à Hongkong) avait par exemple imaginé un stand virtuel – « Online Viewing Rooms » – où défilaient accrochées à une cimaise tout aussi imaginaire les photos de tableaux proposés par les galeries sélectionnées. Trait d’humour, il y avait même un banc virtuel où virtuellement s’asseoir. Mais les ventes furent maigres et bien des galeries préférèrent développer leur propre site.
Art numérique
Habituées de longue date à accepter des enchères par téléphone, les maisons de vente Sotheby’s, Christie’s et leurs consœurs ont en revanche trouvé sur Internet un développement remarquable, captant même grâce à cela une nouvelle clientèle de millennials (moins de 40 ans). Guillaume Cerutti, PDG de Christie’s, a ainsi annoncé que 31 % de ses nouveaux clients étaient désormais recrutés par ce biais. Ils sont selon lui surtout intéressés par l’art numérique, et particulièrement par cette nouveauté que sont les nonfungible tokens (« jetons non fongibles », NFT). On n’achète plus une œuvre mais son certificat d’authenticité numérique. La première vente de ce type organisée par sa maison en mars 2021 a été un coup de tonnerre avec un record de 69,3 millions de dollars (57,8 millions d’euros) atteint par une œuvre d’un certain Beeple, à peu près inconnu jusqu’alors, Everydays : the First 5 000 Days. « Lors de cette vente, écrit M. Cerutti, 33 clients ont enchéri, venus de 12 pays différents ; 29 étaient nouveaux chez Christie’s et 21 avaient moins de 40 ans, dont un grand nombre venus des secteurs des nouvelles technologies ou des cryptomonnaies. »
Selon Artprice, société spécialisée dans l’analyse des ventes aux enchères, les NFT représenteraient désormais 2 % du marché de l’art, ce qui, pour un produit – on utilise ce terme à dessein – de création toute récente est un résultat notable. Pour ne pas être en reste, Sotheby’s a annoncé, au début du mois d’octobre, la création d’un département spécialisé, avec un espace digital pour les collectionneurs et l’organisation bisannuelle de ventes de NFT baptisées « Natively Digital ». La première s’est déroulée en juin. La maison accepte les paiements en cryptomonnaies…
La curiosité de la chose, c’est qu’elle ne concernait à ses débuts que des artistes totalement inconnus. Or, des vedettes de l’art contemporain commencent à s’y intéresser. Le Britannique Damien Hirst a ainsi lancé au mois de juillet sa propre vente de NFT, malicieusement intitulée « The Currency » (« la monnaie »). On n’en connaît pas les résultats…
Or, un des fondements du marché de l’art d’autrefois, c’était la réputation. La revue allemande Capital propose même un classement annuel des artistes fondé sur ce principe, le « Kunstkompass » : il ignore volontairement les résultats des ventes aux enchères, mais liste les expositions auxquelles ils ont participé durant l’année. Plus le lieu est prestigieux (un grand musée par exemple), plus la cote est haute. Première leçon, cette période est révolue : même s’ils y contribuent encore un peu, parfois, ce ne sont plus les musées qui déterminent la valeur d’une œuvre.
C’est en tout cas une des analyses que le sociologue Alain Quemin propose dans un nouveau livre, Le Monde des galeries (CNRS Editions). « Le marché s’est imposé comme le pôle moteur de création de la valeur et il pèse toujours davantage », écrit-il. Pire, c’est lui désormais qui façonne la programmation des institutions : entre 2007 et 2013, rappelle Alain Quemin, 30 % des expositions personnelles proposées par les grands musées américains – au Guggenheim, c’était même 11 expositions sur 12 ! – ont été consacrées à des artistes représentés par cinq galeries seulement, toujours les mêmes : Gagosian, Marian Goodman, Hauser & Wirth, Pace et David Zwirner.
Acheter deux œuvres
Bons princes, les galeristes ont trouvé une manière originale de remercier les institutions, raconte Alain Quemin : ils contraignent les clients intéressés par un artiste très demandé à acheter deux œuvres. Une pour eux, l’autre pour l’offrir à un musée. Le collectionneur s’y soumettra d’autant plus volontiers que son don est partiellement déductible de ses impôts… Cette montée en puissance n’est pas que financière, elle est aussi culturelle : lasse d’attendre qu’un musée programme la rétrospective que méritait le peintre Alain Jacquet (1939-2008), la galerie Perrotin, dont les espaces n’ont rien à envier à ceux du Centre Pompidou, l’a organisée toute seule. Et là où il aurait fallu un à deux ans, au mieux, à une institution pour monter le projet, les équipes de Perrotin l’ont réalisé en trois mois, en plein pendant la pandémie : la galerie était ouverte, car elle a également un statut de librairie…
Et la FIAC dans tout ça ? Paris ayant retrouvé un attrait artistique et marchand perdu depuis soixante ans, elle devrait être un succès commercial, comme le furent ces derniers mois l’Armory Show de New York, Art Basel à Bâle, Frieze à Londres. Un succès public ? C’est moins sûr : la dernière édition d’Art Basel, pourtant la plus courue, s’est tenue avec un tiers de visiteurs en moins qu’à l’habitude. Même le traditionnel week-end la précédant, durant lequel les puissantes galeries de Zurich reçoivent leurs visiteurs de passage avant la foire, était moins fréquenté que de coutume. Pour les collectionneurs étrangers, Américains et Asiatiques notamment, qui forment le gros du marché, se déplacer hors de leurs frontières reste une aventure. On a pu assister ainsi à Bâle à des scènes nouvelles où le collectionneur demeuré au chaud chez lui avait délégué son art advisor (« conseiller artistique ») en repérage. Il faisait un pré-choix, discutait avec son mandant par Internet, lui montrait la vidéo du stand et l’achat se faisait en visioconférence. Le conseiller artistique de retour à la maison savait devoir subir une quarantaine, mais il est payé aussi pour ça.
Succursales au ski
Cela laisse mal augurer du futur des foires, qui peinent à se réinventer. Même si elles représentent de 60 % à 80 % du chiffre d’affaires de certaines galeries, lorsque le collectionneur n’est pas physiquement présent, elles perdent de leur attrait pour les exposants, qui y consacrent des sommes conséquentes et une énergie folle. Sans compter les complexités sanitaires et douanières croissantes, comme pour ...
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