Un courrier des directions générales des affaires culturelles (DRAC) demande l’arrêt immédiat de tout projet de coopération avec les ressortissants de ces trois pays. Le ministère des affaires étrangères minimise la portée de la mesure.
Sidération dans le spectacle vivant, où la crise qui sévit entre la France et le Niger, le Mali et le Burkina Faso vient de s’inviter sur un territoire artistique qui n’en demandait pas tant. « Sur instruction du ministère de l’Europe et des affaires étrangères », les établissements culturels subventionnés ont appris qu’ils devaient « suspendre, jusqu’à nouvel ordre, toute coopération avec les pays suivants : Mali, Niger, Burkina Faso ».
Ce message, expédié par les directions générales des affaires culturelles (DRAC) aux structures culturelles qui dépendent de ses services (centres dramatiques et chorégraphiques nationaux et scènes nationales) a transité par le secrétariat du ministère de la culture. Les mesures préconisées sont radicales : « Tous les projets de coopération qui sont menés par vos établissements ou vos services avec des institutions ou des ressortissants de ces trois pays doivent être suspendus, sans délai, et sans aucune exception. Tous les soutiens financiers doivent également être suspendus, y compris via des structures françaises, comme des associations par exemple. De la même manière, aucune invitation de tout ressortissant de ces pays ne doit être lancée. A compter de ce jour, la France ne délivre plus de visas pour les ressortissants de ces trois pays sans aucune exception, et ce jusqu’à nouvel ordre. »
Qualifié de « comminatoire » par le tout-puissant Syndicat national des entreprises artistiques et culturelles (Syndeac), cet ordre venu d’en haut sème la stupeur dans les rangs du milieu culturel. « Nous n’avons jamais connu d’injonction de la sorte », explique Bruno Lobé, vice-président du syndicat et directeur du Manège, scène nationale de Reims. « La philosophie de la France vis-à-vis d’artistes vivant dans des pays avec lesquels elle est en conflit a toujours été de continuer à les inviter, sans jamais rompre le dialogue. Ces créateurs sont déjà empêchés de travailler par leurs propres gouvernants. Si nous en rajoutons une couche, ce sera pour leur viabilité mais aussi pour l’image de la France, une véritable catastrophe. »
Une sanction incompréhensible et contreproductive
La mise en œuvre de la rupture préconisée par le ministère de l’Europe et des affaires étrangères constituerait un précédent. Et une incohérence que souligne Bruno Lobé : « Au début de la guerre en Ukraine, le discours tenu était le suivant : continuez à soutenir les artistes russes. Ils ne sont pas Vladimir Poutine. Quelle est la différence entre un artiste burkinabé, malien, nigérien et un artiste russe ? » La volonté ministérielle a de quoi inquiéter des artistes qui vont et viennent de part et d’autre de la Méditerranée.
Pour Hassan Kassi Kouyaté, metteur en scène franco-burkinabé, directeur du Festival des Francophonies en Limousin, prévues du 20 au 30 septembre, au-delà d’une mesure absurde, il s’agit là d’une sanction incompréhensible et contreproductive : « En tant que citoyen je m’interroge : que sont devenues les valeurs de la France, ce pays des droits de l’homme qui a signé la charte de l’Unesco ? En tant qu’artiste, je suis surpris : pourquoi sanctionner les créateurs qui sont souvent les premières victimes des conflits ? Et que dire de l’ingérence soudaine du politique dans les programmations culturelles ? »
Si les instructions de la missive sont suivies à la lettre, non seulement des artistes vont faire les frais de la dissension des politiques, mais les théâtres et les festivals vont devoir bouleverser, dès demain, leurs programmations de saison. Directeur du festival international de théâtre Sens Interdits, dont la neuvième édition doit se tenir du 14 au 28 octobre à Lyon, Patrick Penot se dit « abasourdi » : « J’ai reçu l’information de la DRAC par mail ce matin. Les huit artistes maliennes qui doivent donner cinq représentations dans trois théâtres de l’agglomération lyonnaise ont toutes obtenu un visa depuis dix jours. Il serait inacceptable qu’on ne respecte pas les visas délivrés ».
Patrick Penot ne souhaite prendre aucun risque pour ces artistes. « S’il s’avère qu’elles peuvent sortir de leur pays grâce à leur visa, est-on sûr qu’elles pourront entrer en France et ne pas être retenues par la police des frontières ? Des consignes ont-elles été données ? » A ses yeux, ces nouvelles mesures envoyées aux structures culturelles ont une dimension « vénéneuse ». « Si elles sont maintenues, la seule question qui restera est : quel sera le prochain pays ? »
Pas question pour le Syndeac d’en rester là. Le syndicat, qui demande « la tenue...
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