Avec l’arrivée de Roselyne Bachelot au ministère de la Culture, le projet de grand bouleversement porté par son prédécesseur, Franck Riester, a été revu à la baisse. «Libération» fait le point sur les enjeux et inquiétudes d’un secteur meurtri par la crise sanitaire.
Il y a du mouvement Rue de Valois. Ce qui s’annonçait initialement comme une réforme d’envergure du ministère, mûrie de longue date sous le mandat de Franck Riester, a vu sa voilure réduite par Roselyne Bachelot sous la pression de la crise sanitaire. Dans un ministère de la Culture qui affiche «un mode combat» pour parer aux urgences d’un secteur à l’arrêt, les changements ont promptement été transformés en un plan de rafraîchissement de l’administration centrale. Cette réforme comporte cependant une grande nouveauté : la création d’une délégation consacrée à la transmission, aux territoires et à la démocratie culturelle pour un meilleur partage de la culture et un accès de tous à ses pratiques. Noël Corbin, 53 ans, ex-conseiller de campagne d’Emmanuel Macron, vient d’en être nommé délégué général. Cette nouvelle délégation - 53 postes dont quelques recrutements et des transferts d’effectifs internes - vise à rassembler les services et coordonner la politique du ministère en matière d’éducation artistique et culturelle et de pratique amateur. Au même niveau, la direction générale des médias et des industries culturelles (DGMIC) accueille une délégation à la régulation des plateformes numériques ainsi qu’une délégation aux entreprises culturelles, outils nécessaires dans un contexte de mutation. La crise ayant mis en lumière le vaste réseau d’entreprises privées actives dans le secteur culturel - et dépendant de lui -, le ministère semble vouloir se doter de services adaptés et accompagner les «entrepreneurs culturels». La direction du patrimoine comprend désormais l’architecture.
Qui dit réforme dit changement de têtes. Notamment à la direction générale de la création artistique où Sylviane Tarsot-Gillery est en passe de quitter ses fonctions dans les semaines qui viennent. Le timing fait tousser les syndicats, qui craignent une désorganisation quand la crise exige qu’elle soit opérationnelle et réactive. A la CFDT culture, on décrit des réunions «un peu à marche forcée», entre l’annonce du maintien de la réforme «fin août, pour une mise en place précipitée en janvier». «Le projet a été examiné par un comité technique qui a commencé à 9 heures du matin et s’est fini à minuit, avec une seule interruption pour manger ! témoigne le secrétaire général du syndicat, Philippe Morel. Les textes nous laissent encore de grandes interrogations et le moment semble mal choisi.»
Favoriser la rencontre des arts avec un public diversifié ne va pas de soi à l’heure où nul ne saurait franchir le seuil d’un musée, d’un cinéma ou d’un théâtre : la perspective d’une réouverture proche a encore été écartée par le gouvernement lors de la «clause de revoyure» du 20 janvier. «Etre confrontés à une crise dont ne voit pas la fin n’interdit pas de continuer à réfléchir et réformer, estime néanmoins Jean-Pierre Saez à la tête de l’Observatoire des politiques culturelles. Il s’agit surtout de déterminer les enjeux de cette réforme : de quel sens est-elle porteuse ?» Transversalité est l’un de ses maîtres mots : toutes les directions du ministère sont invitées à intensifier les interactions entre leurs missions.
Rue de Valois, on communique surtout sur la mise à feu du plan de relance de 2 milliards d’euros de Roselyne Bachelot, passé sur le gril de la commission des affaires culturelles les 12 et 19 janvier pour détailler aux députés les «perspectives de l’année 2021». Le vrai travail du ministère réformé commence maintenant, sous l’œil d’une profession attendant de savoir comment la musique sera jouée. Tour d’horizon de quelques enjeux et inquiétudes, amplifiés par les flottements et remous de ce début d’année.
Peur sur la photographie
Claque pour la photographie. Depuis le 31 décembre, le secteur n’a plus de délégation, ni de délégué. Il doit se contenter d’un «bureau» pour le représenter au sein de la direction générale de la création artistique (DGCA). En 2018, sous Françoise Nyssen, la nomination d’un délégué avait symboliquement donné du poids au secteur, face à la musique ou la danse. Et la personnalité volontaire de Marion Hislen, titulaire du poste, a fédéré un milieu fragile, traditionnellement éparpillé, autour de projets comme le Parlement de la photographie, le Comité national pour le patrimoine photographique ou la réflexion sur un Centre national de la photographie.
Dans le nouvel organigramme, la photographie est avalée par la délégation des arts visuels et devient une discipline, au même titre que la mode et le design. Ce changement de statut n’a pas plu aux acteurs du secteur qui ont lancé une pétition sur Fisheye (2 350 signatures à ce jour). Dans Polka Magazine, la ministre Roselyne Bachelot a fait savoir que «ni les membres de l’équipe, ni son périmètre, ni ses missions» ne changeraient. Tout en dévoilant une mission de réflexion sur le financement de la photographie (nerf de la guerre pour créer des cadres stables à un secteur bouleversé) confiée à Laurence Franceschini, conseillère d’Etat, actuelle médiatrice du cinéma…
Recherche commande publique désespérément
Mais où est-il, ce «grand programme de commande publique»annoncé par le président Macron lors d’une intervention télévisée en mai 2020 ? Le monde de la culture attendait pourtant ce «tigre» qu’il promettait de mettre dans le moteur d’un secteur au bord de l’étouffement… Si une enveloppe de 30 millions d’euros a bien été inscrite au plan de relance 2021-22, ce que l’on sait depuis le mois de septembre, rien ne filtre sur ses modalités concrètes. Lors de son audition à l’Assemblée le 12 janvier, la ministre de la Culture, Roselyne Bachelot, l’a évoqué d’une phrase laconique : «Les modalités ne sont pas tout à fait arrêtées mais nous devrons également mettre en œuvre le plan de commandes artistiques de 30 millions d’euros souhaité par le président de la République.» Alors quelle forme prendra cette commande qui devrait concerner tous les champs, aussi bien le spectacle vivant, la musique, les arts plastiques que la photographie ? Pour l’instant, ni l’administration centrale ni les opérateurs de l’Etat n’ont constaté de différence entre leurs missions et prérogatives habituelles et une mesure exceptionnelle.
Transmission artistique : comment faire école ?
Remis en haut de la pile au ministère ces dernières années, le dossier de l’éducation artistique et culturelle pour tous les élèves (accès aux équipements, rencontres avec les artistes, etc.) tombe dans le giron de la fameuse délégation à la transmission, aux territoires et à la démocratie culturelle née de la réforme. Le chambardement ? Les compétences relatives à l’éducation artistique ne relèvent plus des directions par secteur (arts plastiques, musique, danse…), mais sont regroupées dans un même ensemble pour plus de cohérence et moins d’organisation en silo. S’agissant des moyens, le cabinet de Roselyne Bachelot se félicite des 580 millions d’euros alloués au programme «transmission des savoirs et démocratisation de la culture» en 2021. Encore faut-il que l’objectif, fixé à 100 % d’enfants intégrés à un parcours artistique et culturel au cours de leur scolarité cette année, ne fasse pas paravent au reste : «L’enjeu de demain sera de dépasser l’objectif quantitatif et d’évaluer ce programme ambitieux d’un point de vue qualitatif, dans la durée», relève Jean-Pierre Saez à l’Observatoire des politiques culturelles. En ces jours covidés, seuls les établissements d’enseignement culturel de type conservatoires (à l’exception du chant lyrique, trop postillonnant) sont autorisés à recevoir leurs élèves. Cela, en dépit des pétitions des théâtres et cinéma qui réclament en vain le droit d’accueillir les sorties scolaires dans leurs murs - espaces autrement mieux distancés que les salles de classe où s’invitent les spectacles pour les scolaires en ultimes refuges.
Le CNM enfin né distribue des aides !
En marge des mouvements en interne, le ministère a aussi réorganisé le secteur de la musique. Serpent de mer qui clapotait au fond des tiroirs depuis une quarantaine d’années, le Centre national de la musique (CNM) a été créé en janvier 2020. Pendant du CNC pour le cinéma, il succède au Centre national de la chanson, des variétés et du jazz et a procédé à la fusion en novembre des quatre principales associations d’aides au secteur : Bureau Export, Irma, Fonds pour la création musicale et Calif. Sous la tutelle conjointe de la DGCA (dont le poste de délégué à la musique, vacant depuis 2019, a été confié à Dominique Muller en novembre) et de la DGMIC, le CNM, dirigé par Jean-Philippe Thiellay, ex-directeur général adjoint de l’Opéra de Paris, est devenu un des outils de répartition financier du plan de relance pour la Culture décidé cet été, avec une redistribution, dans son périmètre, de 66,6 millions d’euros (1 924 dossiers traités), sur un total de 97,7 millions d’euros d’aides versées.
Le Pass culture toujours dans les tuyaux
Grande promesse du candidat Macron, le Pass culture, dispositif d’aide à la culture en faveur des jeunes de 18 ans (le Pass propose d’offrir un chèque de 500 euros à tout citoyen français de 18 ans), est toujours en phase d’expérimentation, piloté depuis 2019 par la SAS Pass culture dirigé par Damien Cuier. Son action dépend aujourd’hui de la nouvelle délégation de la transmission, des territoires et de la démocratie culturelle.
Avec 135 000 inscrits depuis deux ans, le dispositif compte...
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