Jamais sans doute nous n’aurons autant pris le pouls de la culture que depuis le début de la pandémie de Covid-19, en mars 2020. Secteur parmi les plus touchés par les mesures successives de confinement, de couvre-feu et de mise en place des jauges dans les lieux publics, qualifié de « non essentiel » par Emmanuel Macron, la culture est l’objet de nombreuses attentions. Le gouvernement – après 14 milliards d’euros d’aides publiques déjà versés depuis 2020 – continue de soutenir les structures en perte de recettes et annonce, par la voix de la nouvelle ministre de la culture, Rima Abdul Malak, une campagne de communication, à la rentrée de septembre, pour inciter le public à retourner dans les salles de cinéma.
Pour les professionnels de toutes les filières, l’heure est aussi à l’observation minutieuse d’un patient toujours convalescent. Fréquentation des festivals, taux de remplissage des théâtres, nombre de bénévoles, vente des abonnements pour la saison à venir, nombre d’entrées hebdomadaires pour les films à l’affiche… Chaque indicateur est désormais scruté à la loupe, jour après jour, entre la crainte de voir une situation atone perdurer et l’espoir d’une hibernation culturelle enfin terminée de la part d’un public frileux à l’idée de sortir. Et les études publiques ou privées se multiplient pour tenter de cerner le phénomène.
Pour l’instant, il est bien difficile d’avoir une vue d’ensemble de l’état de santé général de la culture en France. Le cinéma a perdu plus de 30 % de ses spectateurs, mais le Festival d’Avignon a vendu quasiment toutes les places pour Le Moine noir, la nouvelle pièce de Kirill Serebrennikov. L’Opéra de Paris continue à avoir du mal à faire revenir ses abonnés (40 % en moins en 2021), et dans le même temps la reprise du spectacle Cendrillon, de Joël Pommerat, triomphe au Théâtre de la Porte-Saint-Martin. Damon Albarn n’a pas convaincu grand monde avec son Vol du Boli, en avril, au Théâtre du Châtelet, mais a fait pelouse complète, quelques semaines plus tard, au festival We Love Green, avec son groupe Gorillaz… Echecs et succès, tendances lourdes et conjoncturelles s’entremêlent et dessinent une toile impressionniste dont les contours restent bien flous, laissant le « monde d’après », si tant est qu’il y en ait un, dans le brouillard.
Si sortir voir un film, une pièce de théâtre, un opéra ou se rendre dans un musée ne va plus – nécessairement – de soi, la réflexion autour de ce qui fait la valeur et l’attrait d’une sortie culturelle n’en est donc que plus essentiel. Fini le temps, pas si lointain, où il fallait rassurer le public face à une éventuelle contamination au Covid-19 dans les lieux de culture. L’heure est désormais à lui donner l’assurance qu’il a bien fait de sortir de chez lui dans un contexte de concurrence accrue des écrans domestiques et de tensions sur le pouvoir d’achat. 36 % des personnes interrogées, en mai, par le Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC), sur les raisons qui les poussent à ne plus aller au cinéma mettent en avant le prix des tickets. Maria-Carmela Mini et Paul Rondin, coprésidents de l’association France festivals, dénoncent, eux, dans une interview au journal économique régional La Gazette, des prix d’hôtellerie qui vont devenir « inabordables » pour les festivaliers, rappelant que, pour une manifestation comme Avignon, « le panier du festivalier est constitué pour 20 % des billets et pour 80 % d’hôtels, de restaurants… ».
Recherche d’imaginaires nouveaux
Voilà un défi de taille pour les institutions. A commencer par celles qui n’ont jamais eu trop de questions à se poser au sujet de leur billetterie. Avec seulement 2 millions de visiteurs en 2021, contre 8,2 millions, deux ans plus tôt, le château de Versailles est le parfait exemple de cette nouvelle donne. Pour faire revenir le public, le domaine n’a d’autre choix que d’imaginer de nouveaux récits, non plus autour du Roi-Soleil, mais sur sa période républicaine – moins connue, comme en témoigne la réouverture de la salle du Jeu de paume, magnifiquement restaurée. L’exposition consacrée à Louis XV, dont l’ouverture est prévue mi-octobre, participe de cette même nécessité pour Versailles de sortir de sa zone de confort.
Et visiblement d’autres lieux de prestige partagent le même diagnostic. Nommée en février au poste d’administratrice pour inventer un nouvel avenir au domaine de Chantilly, Anne Miller imagine déjà un parcours autour de la gastronomie et des arts de la table associé au nom du célèbre cuisinier des lieux, François Vatel. Objectif : faire venir 600 000 visiteurs chaque année d’ici cinq ans, contre 430 000, en 2019. A Paris, le musée Carnavalet se félicite, lui, de sa rénovation et de son nouveau parcours consacré à l’histoire de Paris. Un an après sa réouverture, en mai 2021, il affiche déjà 1 million de visiteurs.
Le Covid-19 n’est évidemment pas l’unique élément déclencheur de ces remises en question, de cette recherche d’imaginaires nouveaux susceptibles de relancer l’envie de venir voir…