En décidant de ne pas rouvrir les théâtres, cinémas et musées, et en donnant la priorité aux commerces – et aux églises –, le gouvernement offre la preuve de son désintérêt pour le secteur et fragilise les pratiques culturelles futures.
ANALYSE. Le feuilleton de la fermeture/réouverture des cinémas, mais aussi des salles de spectacle et des musées, est devenu un mauvais film à suspense. Le verdict est tombé, jeudi 10 décembre, peu après 18 heures, au terme d’un long préambule « diplomatique » et sanitaire, visant à faire passer la pilule auprès des artistes et acteurs de la culture : s’appuyant sur les derniers chiffres disponibles, délivrés par le ministre des solidarités et de la santé, Olivier Véran, le premier ministre, Jean Castex, a annoncé que les lieux culturels resteraient finalement fermés pendant trois semaines supplémentaires (jusqu’au 7 janvier 2021), au lieu de rouvrir mardi 15 décembre – le 16 décembre pour les cinémas.
Certes, Emmanuel Macron avait prévenu que le déconfinement de la mi-décembre était conditionné au fait que le seuil de nouvelles contaminations quotidiennes devienne inférieur à 5 000, ce qui n’est pas le cas, le chiffre s’établissant aujourd’hui aux alentours de 11 000. Cette décision « crève-cœur » a été prise pour éviter l’effet yoyo (j’ouvre, je ferme, etc.), s’est justifiée Roselyne Bachelot, vendredi 11 au matin, sur BFM-TV, en précisant que le 7 janvier était une « date de revoyure ». Autrement dit, rien ne dit que les lieux culturels pourront rouvrir au début de l’année 2021. Pas de yoyo sous le sapin, mais pas de sifflet non plus annonçant la réouverture… Après les fêtes, la gueule de bois sera aussi culturelle.
Aucun foyer de contamination
Si la colère du secteur ne cesse de grandir d’heure en heure – une manifestation est annoncée pour le mardi 15 décembre à Paris, à l’initiative de la CGT-spectacle –, c’est que l’arbitrage gouvernemental prête le flanc à la critique sur plusieurs points, bien au-delà des conséquences économiques et sociales pour le secteur, déjà fortement fragilisé. Sans compter que les lieux culturels n’ont pas ménagé leurs efforts lors du premier déconfinement, le 22 juin, pour mettre en place un protocole sanitaire exigeant (masque obligatoire pendant la projection ou la représentation, jauge limitée, modification des flux, etc.). De fait, aucun foyer de contamination n’a été repéré dans les cinémas, les théâtres et les musées.
Sur la forme, tout d’abord, en annonçant aux professionnels que les salles resteront fermées, presque au dernier moment, soit quatre ou cinq jours avant la date prévue de réouverture, le gouvernement témoigne d’une méconnaissance profonde – voire d’un mépris – du fonctionnement du secteur artistique et culturel. Une salle de cinéma (ou un théâtre) n’est pas un lieu que l’on ouvre ou que l’on ferme comme une boutique. La sortie d’un film se programme au moins quatre semaines à l’avance, mettant en œuvre toute une chaîne de travail (distributeur, exploitants, attaché(e) s de presse, etc.), générant aussi d’importantes dépenses, qui se chiffrent en dizaines (et parfois en centaines) de milliers d’euros.
De même, pour le spectacle vivant, le théâtre doit se préparer à accueillir les équipes artistiques, le public, en plus d’embaucher les techniciens (intermittents…). Certes, le premier ministre aura beau jeu de rappeler que des mesures de soutien perdurent et que les professionnels ne sont pas, sur un plan financier, totalement laissés à l’abandon. Mais là n’est pas le seul enjeu.
Question de l’équité
Se pose aussi la question de l’équité. En effet, à l’appui de sa décision, le gouvernement invoque les « flux » que n’aurait pas manqué de générer la réouverture des lieux culturels. Mais a-t-on mesuré les mouvements de population qui ont suivi la réouverture des magasins, depuis le 27 novembre ? Si le critère primordial est bien sanitaire, et s’il est évident qu’il faut prévenir les risques d’une nouvelle flambée de contaminations, alors le gouvernement ne prend-il pas un risque majeur en laissant ouverts les grands magasins, dans lesquels les clients peuvent aller et venir, toucher les produits ? Pourquoi ne pas avoir établi une égalité de traitement entre les établissements, en instaurant les mêmes contraintes horaires, avec des jauges adaptées à chaque situation ?
Dans une lettre ouverte, le comédien Samuel Churin a estimé que la décision gouvernementale était susceptible d’être annulée pour iniquité devant le Conseil d’Etat, si celui-ci était saisi d’un référé-liberté – le directeur du théâtre Paris-Villette, Adrien de Van, vient d’ailleurs d’annoncer dans un communiqué, vendredi 11 décembre, qu’il allait « saisir le Conseil d’Etat pour contester cette violation du principe de l’égalité des personnes devant la loi ou le règlement ». L’Eglise catholique, elle, a réussi à faire modifier le décret gouvernemental qui limitait à trente le nombre de fidèles admis lors d’une messe.
Le Conseil d’Etat a estimé, le 29 novembre, que la jauge devait être calculée en fonction de la superficie du lieu, et non fixée arbitrairement – Samuel Churin note d’ailleurs, accessoirement, que les églises sont ouvertes, mais les théâtres et cinémas fermés, alors que le gouvernement défend son projet de loi sur la laïcité… De leur côté, les stations de sport d’hiver, qui ont contesté la fermeture des remontées mécaniques, n’ont pas obtenu gain de cause : ce vendredi 11 décembre, le Conseil d’Etat a donné raison au gouvernement, en relevant que l’interdiction vise à « limiter les contaminations supplémentaires occasionnées par des flux importants de déplacements » et qu’elle « ne porte pas une atteinte grave et manifestement illégale aux libertés invoquées par les requérants ».
L’espoir et l’énergie rabotés
Certains diront que le monde de la culture est bien naïf : il était prévisible que le gouvernement protégerait le commerce, surtout à l’approche de Noël, au détriment de la culture, considérée, de fait, comme « non essentielle » si l’on se réfère aux précédents épisodes – fermeture dans un premier temps des librairies, absence totale du mot « culture » dans une précédente allocution de Jean Castex, etc. C’est pourtant nier que la culture est un enjeu de société. Elle aide même des gens à vivre, au sens existentiel.
Pendant les fêtes, les gens seuls seront encore plus...
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