L’invasion déclenchée par la Russie en février 2022 se double d’un conflit culturel visant à éradiquer l’identité ukrainienne. Mais la culture utilisée comme arme par l’agresseur est aussi un moyen de défense pour Kiev. Littéralement, par l’engagement militaire des artistes. Mais aussi par un travail de différenciation et d’affirmation de l’autonomie de la nation.
Assiégés, des habitants de Marioupol s’étaient réfugiés spontanément, au printemps 2022, dans le théâtre d’art dramatique, et d’autres à l’intérieur de la salle de concert philharmonique de la ville. Des lieux familiers, presque rassurants face au déchaînement de violence à l’extérieur, qui n’ont pourtant pas été épargnés. Le premier, visé par des frappes, est devenu le tombeau de centaines de personnes – entre 300 et 600 victimes y ont été ensevelies, selon les estimations – ; le second, également touché, devait servir de décor au procès, après leur reddition, des combattants d’Azovstal, retranchés pendant de longues semaines dans l’immense usine sidérurgique située non loin. Des cages métalliques avaient été installées, qui ne serviront pas. Les défenseurs ukrainiens ont finalement fait l’objet d’un échange de prisonniers. Le théâtre et la salle de concert n’en avaient, eux, pas fini avec l’occupant russe.
Moins d’un an après ces événements tragiques, les pelleteuses sont entrées en action pour détruire ce qu’il restait du théâtre, protégé des regards par une bâche sur laquelle figuraient les profils stylisés de Pouchkine, de Tolstoï, de Gogol et, dans l’angle droit, comme une cruelle caution, celui de Taras Chevtchenko, le grand poète ukrainien du XIXe siècle (1814-1861), exilé et persécuté sous l’Empire russe. Le 18 mars, au lendemain du mandat d’arrêt lancé à son encontre par la Cour pénale internationale pour « crimes de guerre », Vladimir Poutine a fait irruption dans la cité martyre du Donbass, posant pour la première fois le pied dans l’un des nouveaux territoires ukrainiens annexés par la Russie. Arrivé de nuit, par hélicoptère, de la Crimée, le chef du Kremlin a descendu l’avenue Metalourhiv avant de s’asseoir, satisfait, sur l’un des fauteuils vert bouteille de la salle de concert reconstituée. La culture fait partie des armes de guerre russes.
« Tout ce qui touche au développement du secteur culturel dans les nouvelles entités constitutives de la Fédération de Russie et à leur intégration (…) est une priorité absolue pour nous », expliquait, quelques jours plus tard, le 23 mars, la ministre de la culture russe, Olga Lioubimova. Dans un long entretien au quotidien Komsomolskaïa Pravda, elle détaillait sa mission à moyen terme : ouverture de bibliothèques « modèles » – « Nous achèterons chaque année 90 000 livres pour chacune des nouvelles régions » –, de salles de cinéma, de musées, tournée de concerts « Nous sommes la Russie », formation des enseignants, initiation des enfants à la culture russe à travers un programme baptisé « carte Pouchkine ».
Effacer les traces des exactions
Afin de leur « faire découvrir le patrimoine culturel historique de notre patrie commune », précisait-elle, dix mille écoliers devraient être amenés à visiter....
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