Dans une tribune que nous publions in extenso, les principaux représentants du spectacle vivant se disent stigmatisés. Et regrettent que leur secteur soit «sacrifié» par des pouvoirs publics qui, selon eux, manquent de «vision et d'ambition».
Bruno Le Maire, ministre de l'Économie, des Finances et de la Relance, Roselyne Bachelot-Narquin, ministre de la Culture, Jean-Baptiste Lemoyne, ministre délégué chargé du Tourisme, des Français de l'étranger, de la Francophonie et des petites et moyennes entreprises, ont réuni jeudi 6 janvier les organisations professionnelles des secteurs du spectacle vivant et du cinéma pour faire le point sur l'impact des mesures de freinage sanitaire sur leur activité et de préciser le cadre de l'accompagnement économique de l'État.
Si les aides financières réactivées ont soulagé le secteur, ces représentants demeurent très circonspects, en tout cas inquiets par le manque de vision du gouvernement à qui ils reprochent d'être devenus des variables d'ajustement. Pour exprimer leur colère et leurs doutes, les principaux syndicats du spectacle vivant ont écrit une tribune que nous publions ci-dessous.
Cela fait bientôt deux ans que le monde de la culture vit au rythme de coups d'arrêt réguliers, et notamment le spectacle vivant. Faut-il encore rappeler que les concerts debout et de grande capacité n'ont pu jouer, durant toute cette période, que 4 à 6 mois au maximum. Au-delà, toutes les activités culturelles subissent une baisse marquée de la fréquentation.
Cela fait bientôt deux ans que de nombreux artistes voient leurs concerts et spectacles interdits, et sont privés de leurs publics.
Cela fait bientôt deux ans que les professionnels de ce secteur tentent de survivre en s'accrochant parfois aux annonces optimistes du Gouvernement. Mais la relance tant attendue s'éloigne désormais chaque jour un peu plus pour eux. Le secteur s'enlise, perd ses équipes et ses talents : le métier ne fait non seulement plus rêver, il fait peur.
Bien sûr, chacun est conscient des contingences d'une crise sanitaire inédite qui appelle, parfois, des réponses de dernière minute. Bien sûr, chacun reconnaît la difficulté d'un Gouvernement, souvent obligé de prendre la moins pire des décisions.
Mais cela fait bientôt deux ans que tous les acteurs du spectacle vivant font montre, eux aussi, d'une responsabilité sans faille : redoublant d'efforts pour s'adapter aux circonstances, mettant tout en œuvre pour « apprendre à vivre avec le virus », comme le préconisait le Président de la République dès août 2020, et proposer des solutions afin que le spectacle reste vivant. C'est en conscience que nous avons soutenu une grande partie des décisions prises tout au long de ces deux années. Ce n'était pas toujours facile, mais une seule pensée nous animait alors : celle des retrouvailles durables avec les Français.
Deux ans ! Aussi, les mots de soutien et de compréhension du Gouvernement ne peuvent plus suffire !
Car, malgré nos efforts, notre capacité d'adaptation, la résilience, le concert-test, la distanciation, rien ne suffit à éviter les stigmatisations. Et rien n'a changé ! Les dernières annonces gouvernementales du 27 décembre sont un nouveau coup dur pour le spectacle vivant : le Premier ministre annonce, sans nous consulter, l'interdiction des concerts debout ainsi que le retour à des jauges assises plafonnées à 2000 ou à 5000 personnes. Comme les discothèques, les organisateurs de spectacles à jauge debout sont désormais interdits de travailler et, avec eux, les salariés du secteur, les techniciens et les artistes. La politique du «stop -and-go» est de retour… ou plutôt du «stop-and-stop». Et ce, comme si le Gouvernement ne savait pas que, lorsque l'on nous arrête en seulement 7 jours, nous mettons au moins 6 mois à repartir.
Cette mesure dépasse le cadre strict des jauges debout et des grandes jauges : c'est tout le spectacle vivant qui est impacté ! Car, perdus au milieu de l'empilement d'interdictions, de restrictions mais aussi de dérogations, les Français considèrent désormais l'acte d'achat d'un billet de spectacle comme une prise de risque. La défiance gagne. Déjà en octobre, 56 % de nos spectateurs étaient réticents à retrouver le chemin des salles de spectacles, et parfois à long terme.
Dès lors, comment réinstaurer la confiance quand le message du Gouvernement semble laisser dire à nouveau que les salles de spectacles sont des lieux de contamination ? Cette décision d'interdiction balaie d'un revers de main l'expérimentation scientifique menée lors du concert-test organisé avec l'AP-HP en mai 2021 et les différentes études sur le sujet, comme celle publiée par l'Institut Pasteur en novembre 2021. Et, alors que le passe sanitaire avait suscité des remous, nous l'avions accepté, persuadés qu'il représentait une condition sine qua non à notre reprise. Nous le voulions temporaire et encadré. On nous annonce récemment que ce sera un passe vaccinal, qui n'était qu'une simple chimère il y a encore quelques semaines. Et voilà que le projet de loi, en cours d'examen au Parlement, laisse la possibilité de demander le cumul d'un passe vaccinal et d'un test négatif pour accéder à certains lieux…
La culture ne peut plus être la variable d'ajustement d'un discours politique pétri de symboles. Essentielle lorsque nous étions confinés, elle est désormais accessoire et sacrifiée. Sommes-nous les idiots utiles d'un discours censé rassurer face à une énième nouvelle vague ? Les victimes de la communication du Gouvernement ?
Aujourd'hui, nous, acteurs du spectacle vivant :
- Nous ne voulons plus payer les pots cassés et attendre fébrilement chaque série d'annonces gouvernementales, sans concertation possible,
- Nous ne voulons plus être stigmatisés : nous ne sommes ni responsables, ni coupables. Ou plutôt, nous n'avons été que trop responsables jusqu'alors.
Après deux ans, cette crise n'est plus conjoncturelle : elle est désormais structurelle et systémique. Les cautérisations ponctuelles ne suffisent plus. Et les tâtonnements et réponses de dernière minute doivent maintenant laisser place à des réponses anticipées, concertées, et surtout guidées par un cap, une vision. Nous sommes désormais seuls à assumer nos risques financiers face aux frais d'annulation et de report, consommant nos liquidités avant même de pouvoir retrouver un climat serein qui n'arrive pas.
Ce que nous voulons, c'est travailler, avec de la visibilité sur les mesures à venir.
Mais surtout, ce que nous voulons, c'est de la visibilité à moyen terme, permettant une reprise pérenne de nos activités. Une tournée se travaille sur deux à trois ans ; nous ne pouvons plus, malgré nos capacités d'adaptation, intégrer ces «stop-and-go» répétés.
Il faudrait enfin comprendre, après pourtant 2 ans d'explication de nos modèles économiques au Gouvernement, que, même si toutes les salles de spectacles de France sont autorisées un jour à rouvrir, le marasme sera identique à celui que nous connaissons aujourd'hui tant que la défiance sera entretenue et que le spectateur ne ...
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