Dans un rapport publié le 29 mai, les magistrats mettent en cause un nombre de représentations trop faible.
« En France, les spectacles tournent peu ou mal (…) C’est l’état de surproduction, résultat d’une absence de régulation, qui est la cause principale des difficultés de la diffusion des œuvres » : ce constat a été dressé en 2004 par le rapport Latarjet à l’issue d’une mission menée à la demande du ministère de la culture. Dix-huit ans plus tard, ce diagnostic établi par Bernard Latarjet et qui fit date dans le milieu du spectacle vivant, est relevé par la Cour des comptes, qui le juge « toujours d’actualité ». Pis, à ses yeux, « il s’est aggravé ».
Dans un rapport thématique, intitulé « Le soutien du ministère de la culture au spectacle vivant », publié dimanche 29 mai, les magistrats de la rue Cambon s’inquiètent non seulement de la faiblesse de la diffusion malgré une offre abondante mais aussi d’un déficit de données fiables et exhaustives sur l’activité de ce secteur. Tout se passe comme si la politique de l’offre, centrée sur le financement de la création, n’était toujours pas connectée à des exigences minimales de diffusion.
Théâtre, musique, danse, art du cirque et de la rue, la France est un pays foisonnant de spectacles et dispose, rappelle la Cour des comptes, d’« un maillage territorial extrêmement dense » de quelque 1 300 lieux (scènes subventionnées, théâtres municipaux, salles privées, etc.). En 2019, le chiffre d’affaires du spectacle vivant est évalué à 12,3 milliards d’euros. Si l’Etat reste un acteur incontournable du secteur (gestion des labels, nominations, etc.), les collectivités locales, conscientes que la culture contribue au développement local, apportent désormais « près des trois quarts des financements du spectacle vivant » : 2,5 milliards en 2019 contre 703 millions du ministère de la culture.
Plusieurs chiffres montrent à la fois le dynamisme du secteur et le saupoudrage des aides : entre les équipes artistiques, les festivals, les résidences d’artistes, les établissements hors réseaux et labels, 2 850 structures ont été soutenues par l’Etat en 2020 (contre 1 997 en 2015). La moitié des compagnies ont un budget annuel inférieur à 65 000 euros, issu à 29 % de subventions publiques. Derrière ce paysage abondant, la Cour des comptes constate « des résultats insuffisants au regard des objectifs de démocratisation culturelle et de diffusion ».
Situation « préoccupante »
Qualifiant la situation de « préoccupante », les magistrats estiment que « la faible diffusion des spectacles et la difficulté à augmenter le nombre de représentations constituent le point faible de la politique publique de soutien au spectacle vivant depuis cinquante ans ». Ainsi, la Cour a pu calculer qu’en 2019, le nombre moyen de représentations pour un spectacle était de 3,7 dans un centre dramatique national (contre 7 en 2004) et de 2,3 pour une scène nationale. Bref, on crée beaucoup en France mais on diffuse peu et une partie de l’offre ne trouve pas son public. En cause : un système d’aide publique historiquement centré sur le renouvellement de la création. « Rien n’a véritablement été fait pour redéfinir l’équilibre entre création et diffusion », relèvent les magistrats alors que le rapport Latarjet le préconisait déjà.
Autre lacune à combler, le manque criant de données « fiables » et exhaustives sur le nombre de spectacles et d’entrées. La promesse faite en 2018 par la Rue de Valois d’une « révolution statistique » – pour sortir des enquêtes déclaratives parcellaires – grâce à la mise en place d’un nouveau Système d’information billetterie (Sibil) peine à se concrétiser. Inscrite dans la loi « liberté de la création, architecture et patrimoine » votée en juillet 2016, l’obligation, pour toutes les structures de spectacle vivant de faire remonter leurs données de fréquentation a été, en partie, retardée par la crise sanitaire. « Les importantes difficultés de déploiement de Sibil doivent impérativement être surmontées à brève échéance », appelle de ses vœux la Cour des comptes...
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