Dans une lettre ouverte, syndicalistes, universitaires et artistes s'indignent de la décision « incompréhensible » et « sans fondement » de Pôle Emploi de « radier » les coopérative « SmartFR » et « La Nouvelle Aventure » menaçant ainsi 4 000 artistes et techniciens du spectacle et de l'audiovisuel. « C’est tout un monde artistique qui est une fois de plus fragilisé par cette décision ».
Lettre ouverte à Madame le Ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Insertion,
Madame la Ministre de la Culture,
Madame la Secrétaire d’Etat chargée de l’Économie sociale, solidaire et responsable
Mesdames les Ministres,
Tandis que votre Gouvernement annonce qu’il n’abandonnera pas le secteur de la culture, nous avons appris que la société coopérative d’intérêt collectif « SmartFr » et la société coopérative de production « La Nouvelle Aventure » ont fait l’objet d’une décision incompréhensible de la part de Pôle Emploi Services.
En effet, début septembre, 4000 intermittent·es du spectacle salarié·es et sociétaires de ces deux coopératives « Smart » ont reçu, de façon simultanée, un courrier identique qui menace de les priver de leurs droits à l’allocation chômage s’ils continuent à travailler dans ces cadres coopératifs après le 1er octobre 2020.
Cette procédure, inédite dans sa forme, nous semble erronée dans ses fondements et scandaleuse dans le contexte actuel d’un secteur déjà mis à genoux par la crise sanitaire.
C’est tout un monde artistique qui est une fois de plus fragilisé par cette décision – un monde qui ne tient pas forcément les têtes d’affiches, mais irrigue l’ensemble du territoire de création, d’imagination et d’émotion. L’art et la culture ne constituent pas des activités marginales. Elles ont diverti, ouvert des horizons, tenu le pays debout tout au long du récent confinement. Elles produisent, créent des richesses, contribuent largement à l’attrait de la France dont bénéficient tous les autres secteurs économiques.
En interdisant de produire, on provoque un plan social qui ne dit pas son nom.
Au-delà de la casse humaine annoncée, cette décision révèle la persistance d’une méconnaissance par les administrations des modèles coopératifs. Pourtant, dans les crises que nous traversons et face à l’urgence de la reconversion écologique, la coopération et le mutualisme constituent des manières de produire, de consommer, d’épargner, de travailler, de s’épauler, capables d’assurer la résilience de nos sociétés.
Ces coopératives qu’on appelle « entreprises partagées » ont su ouvrir la voie féconde d’un autre rapport au travail : on y gère ensemble et démocratiquement une entreprise conçue comme un outil de production commun, permettant à chacun·e d’exercer son métier au sein d’un collectif fort, protecteur et solidaire. Jamais ces modèles - comme celui des coopératives d'activités et d'emploi - n’ont attiré autant l’attention, n’ont suscité autant d’intérêt. Pourquoi cette possibilité innovante serait-elle refusée aux artistes et technicien·nes ? Est-il si subversif que des professionnel·les s’associent pour protéger mutuellement leurs droits à bien pratiquer leurs arts et savoir-faire ? La puissance publique ne voit-elle pas son intérêt à favoriser une forme d’organisation qui garantisse la légalité et la couverture des activités créatives, leur pleine intégration (et cotisation !) au régime de Sécurité sociale, et la création d’emplois locaux ?
Nous vous demandons, Mesdames les Ministres, de revenir sur une décision malheureuse, de rassurer les milliers de personnes touchées, et d’ouvrir, avec Smart et l’ensemble des acteurs du monde coopératif, le travail indispensable pour que ces modèles soient mieux connus, protégés, et encouragés.
Premiers signataires :
Dominique Méda, professeure de sociologie
Jérôme Saddier, président d’ESS France
Benoit Hamon, ancien ministre délégué à l'Économie sociale et solidaire et à la Consommation
Bernard Latarjet, président de l’Office national de diffusion artistique
Jacques Landriot, président de la Confédération Générale des SCOP
Jean-Louis Bancel, président du groupe Crédit coopératif et de CoopFr
Le bureau exécutif du Synavi, Syndicat National des Arts Vivants
Hugues Vidor, président de l’Union des employeurs de l’économie sociale et solidaire
Demi Portion, rappeur
Salah Amokrane, coordinateur Tactikollectif
Thomas Coutrot, économiste chef de département à la DARES
Steven Hearn, Scintillo
Papet J, musicien Massilia Sound System
Emmanuel Dockès, professeur de droit, spécialiste de droit du travail
Claude Didry, sociologue directeur de l’IDHES
Michel Bauwens, co-fondateur de la P2P Fondation
Antonio Casilli, professeur de sociologie à Telecom Paris
Benjamin Coriat, économiste spécialiste des communs
Antonella Corsani, sociologue économiste enseignante-chercheure à l’ISST
Isabelle Ferreras, maître de recherches FNRS, professeure à l'Université de Louvain
Bernard Friot, sociologue, économiste, co-fondateur de Réseau salariat
Frédérique Joly, directrice adjointe Arty Farty
Maxime Combes, porte-parole d’Attac France
Alexis Cukier, directeur du programme Travail et Démocratie au Collège international de philosophie
Jordi Castellano, président du groupe coopératif I&M
Thomas Lamarche, économiste directeur du Ladyss
Dominique Plihon, économiste
Noémie de Grenier, directrice générale de Coopaname
Olivier Leberquier, administrateur délégué Scop Ti
Fanélie Carrey-Conte, secrétaire générale d’Enercoop
Alice Penet, directrice générale d’Oxalis
Odile Chagny, co-animatrice du réseau Sharers & WOrkers
Julien Charles, sociologue coordinateur de recherches au CESEP
Jérôme Giusti, avocat spécialiste en droit de la propriété intellectuelle et des nouvelles technologies
Fatima Bellaredj, déléguée générale de la CGSCOP
Sandrino Graceffa, consultant ID.Est et doctorant Lise-Cnam
Rachid Cherfaoui, président de l’Institut Godin
Jérôme Pimot, co-fondateur du Collectif des livreurs autonomes de Paris
Arthur Hay, secretaire général CGT des coursiers à vélo de Gironde
Aurélien Alphon-Layre, responsable de la section syndicale CGT Smart
William Tournier, SUD Smart Grands Ensemble
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