GRANDE ENQUÊTE. Le metteur en scène a démissionné, le 24 novembre, de son poste de directeur du CDN de Limoges. Depuis plusieurs mois, il faisait face à de lourdes accusations de la part des salariés et des étudiants. Autopsie d'une chute.
Le théâtre est une aventure qui n’a de sens que si elle est partagée. […] J’ai décidé de quitter au 31 décembre mes fonctions de directeur Théâtre de l’Union et de l’Académie de l’Union. » C’est par un communiqué succinct que Jean Lambert-wild a annoncé le 24 novembre son départ du Centre dramatique national (CDN) de Limoges. Il devait y achever son deuxième mandat, dans un an, le 31 décembre 2021. « La décision aurait dû être prise depuis longtemps. Jusqu’au bout il a manœuvré, joué avec nos nerfs », regrette un employé. Pour l’ensemble des 16 salariés (hors direction) du Théâtre de l’Union et les 17 élèves de l’Académie de l’Union (l’école qui y est adossée depuis 1997), la cause était entendue : « soit il part avant la fin de l’année, soit nous portons l’affaire devant les prud’hommes voire au pénal. » « Trop tard » pour un audit RH ou une médiation alors que deux audits financiers (l’un du Trésor public, l’un d’un commissaire aux comptes) s’achèveront en décembre.
Quelques jours avant sa démission Jean Lambert-wild assurait pourtant à La Scène être « toujours dans un esprit de dialogue en attendant les consignes du ministère de la Culture ». Une négociation de départ était en réalité en cours depuis des semaines avec la Rue de Valois, alors que son équipe artistique avait entamé dès début novembre un inventaire matériel à Limoges. La nomination d’un nouveau directeur devrait « prendre plusieurs mois », admet-on du côté de la DRAC de Nouvelle-Aquitaine, qui, cependant, se refuse pour l’heure à annoncer un calendrier précis.
« On savait que ça n’allait pas fort, mais pas à ce point-là. »
Tout a débuté le jeudi 8 octobre dernier. Du moins publiquement. C’est la première de la saison avec L’Occupation, d’Annie Ernaux, mise en scène par Pierre Pradinas et interprétée par Romane Bohringer. À la fin de la représentation, une trentaine d’employés et d’élèves de l’Union montent sur les planches et lisent la lettre de deux pages que les premiers viennent d’adresser à la ministre Roselyne Bachelot. « Nous assistons à une démonstration de pouvoir, sans limites, sans retenue [...]. Le comportement insidieux du couple de direction met clairement en danger certains membres du personnel et nuit au bon fonctionnement du théâtre », récitent-ils.
Les mines sidérées dans une salle comble laissent place aux applaudissements nourris. « On savait que ça n’allait pas fort, mais pas à ce point-là », s’étonne un spectateur dans la grappe de ceux restés ensuite sur place. Jean Lambert-wild est lui absent, car en tournée du Dom Juan, de Molière, à Nancy. Mais Catherine Lefeuvre, sa directrice adjointe, filme toute la scène depuis le premier rang du balcon. Le lendemain, une nouvelle lettre d’alerte est envoyée rue de Valois, signée là des 17 élèves de la « Séquence 10 » l’Académie de l’Union, appuyés par leur équipe pédagogique : « Nous ne voulons plus avoir de contacts directs avec lui, ni être associé.e.s [sic] à sa direction despotique jusqu’à la fin de nos études. »
Jean Lambert-wild répète aujourd’hui son étonnement : « Qu’est-ce que vous voulez que je vous dise ? Je ne dois pas leur correspondre. Je n’avais pas de soucis jusqu’alors. Personne n’est parfait, mais on ne peut pas passer d’un coup de zéro degré à 3 000 degrés. » Le directeur bénéficie du soutien, juridique notamment, du Syndicat des entreprises artistiques et culturelles. « Nous aidons notre adhérent, comme n’importe quel autre adhérent dans la difficulté. Je n’ai rien à dire de plus publiquement », ferme le ban Vincent Moisselin, directeur du Syndeac.
Une lettre de soutien de 63 artistes et techniciens locaux, nationaux et internationaux, pour « rendre justice à l’homme et à l’artiste », a été rendue publique le 16 octobre. « C’est à 90 % des gens qui lui sont redevables pour des raisons financières, hier ou aujourd’hui, tacle en retour un cadre du Théâtre de l’Union. Il a le bras long politiquement, quand il reçoit, il se présente parfois comme “le préfet de la culture en Haute-Vienne. »
Six employés contactés par La Scène confirment bien « un harcèlement moral systématique » et un « pouvoir sans limites » : survalorisation puis dévalorisation totale de chacun, création volontaire de conflits entre les employés, travail donné dans un délai sciemment intenable, insultes régulières, instrumentalisation de la vie privée, etc. « Ils ont été entraînés dans une espèce de folie » complète Maître Richard Doudet, qui les représente, ainsi que les élèves. Aucune alerte officielle n’a pourtant était donnée à la médecine du travail, à l’inspection du travail ou à l’Assurance maladie – ce que souligne Jean Lambert-wild – mais la sonnette d’alarme a été (informellement) tirée dès 2017 auprès de la DRAC Nouvelle-Aquitaine ou des élus locaux.
Le rapport de la DGCA sort des tiroirs
« Quand on ne sait pas faire, on fait comme on peut, c’est-à-dire de manière spontanée et peut-être naïve. On voulait surtout ne pas fragiliser le théâtre », explique pour le collectif Tania Magy, chargée de production. Le nombre d’arrêts maladie et d’accidents du travail a, lui, doublé entre 2018 en 2019. Et devrait encore...
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