La somme que recevra l’institution dans le cadre du plan de relance semble hors norme par rapport aux autres lieux culturels. Elle compense des pertes causées par la pandémie, mais aussi celles liées à une mauvaise gestion et à une grève récente, relève dans sa chronique Michel Guerrin, rédacteur en chef au « Monde ».
L’Opéra national de Paris va recevoir 81 millions d’euros dans le cadre du plan de relance, comme si la somme allait de soi. Or elle ne va pas de soi. L’information était nichée dans Le Figaro du 14 septembre, qui listait les primes exceptionnelles attribuées à chaque lieu culturel pour compenser leurs pertes à cause de la pandémie de Covid-19 et pour soutenir leurs prestataires : 46 millions pour le Louvre, 40 pour le Grand Palais, 21 pour le Centre Pompidou, 11 pour la Comédie-Française, 3,8 pour la Philharmonie de Paris, 2,9 pour le Palais de Tokyo, 2,5 pour l’Opéra-Comique…
Les 81 millions de l’Opéra de Paris semblent hors norme, même si l’enseigne fait vivre deux bâtiments lourds, Bastille pour l’opéra, Garnier pour la danse. C’est deux fois plus que ce que recevra le Louvre, vingt fois plus que la Philharmonie. C’est 40 % de l’enveloppe dévolue à l’ensemble du spectacle subventionné (206 millions).
La somme vise à sauver une maison qui affichera plus de 50 millions de pertes à la fin de l’année 2020. On n’a jamais vu un établissement culturel si mal en point. 50 millions, c’est plus de la moitié de la subvention que l’Etat lui donne chaque année, c’est le double de celle de la Comédie-Française. Sauf que l’Opéra est très mal à cause du Covid, mais aussi d’une grève, entamée le 5 décembre 2019, la plus longue de son histoire, contre la réforme des retraites et pour la défense de son régime spécial, provoquant l’annulation de 97 représentations et des pertes de 15 millions.
Et puis 20 des 81 millions promis iront à la construction d’une salle de 820 places, prévue à Bastille dès son ouverture en 1989, mais sans cesse ajournée. Elle est relancée selon un jeu de chaises musicales. L’opéra dispose d’ateliers de décors et costumes sur un site au nord de Paris, qu’il doit quitter pour voir naître à la place une Cité du théâtre. En échange, il logera ses ateliers dans un espace à côté de Bastille, avec en prime une salle. Mais quand on sait l’état des finances du pays, de la culture et de l’Opéra de Paris, ainsi que les fractures territoriales, le simple fait d’envisager de construire une salle à Paris (la Cité du théâtre aussi), de surcroît à la rentabilité incertaine, semble indécent.
Rien ou presque pour la musique en région
Nombre de responsables culturels sont estomaqués, pour ne pas dire plus, par les millions qui vont pleuvoir sur l’Opéra de Paris. Mais comme ils sont eux aussi mal en point, et arrosés par l’argent de l’Etat-providence, ils se taisent. Pas le moment de jouer les râleurs. Autant dire que l’Etat a trouvé avec le Covid le meilleur moment pour escamoter l’état dramatique de l’Opéra dans son sauvetage global de la culture.
Il se trouve tout de même la Fédération des ensembles vocaux et instrumentaux spécialisés (Fevis) pour juger « insoutenables » et « intolérables » les millions promis à l’Opéra de Paris et la disette qui attend les musiciens indépendants en France. Le chef d’orchestre François-Xavier Roth, le 24 septembre sur France Musique, s’est dit « choqué » par une autre injustice, cette fois territoriale : tout pour l’Opéra à Paris, rien ou presque pour la musique en région.
Ce dernier a ajouté, un brin caustique : « J’espère que le personnel de l’Opéra de Paris aura à cœur de dire qu’il faut aider tout le monde. » Or le personnel et les syndicats de ladite maison, si prompts à défendre leurs intérêts, convaincus que tout leur est dû et que rien n’est assez beau pour eux, d’autant qu’on leur répète qu’ils sont les meilleurs au monde, sont discrets sur cette question.
Suspicion de favoritisme
On peut comprendre que Roselyne Bachelot joue les pompières dans un opéra qui, par ailleurs, a perdu un tiers de son mécénat, la moitié de ses abonnements et dont la rentrée est plombée par le Covid et tronquée par des travaux dans les deux bâtiments. Mais la ministre a créé la suspicion de favoritisme en raison de son goût prononcé pour l’art lyrique. Elle semble accorder une prime au désastre et récompenser une maison où des syndicats ont pu se mettre en grève une demi-heure à peine avant un lever de rideau, avec du public dans la salle.
Il est étrange que Mme Bachelot annonce 81 millions avant même que lui soit livré un audit sur l’Opéra de Paris, le 15 novembre. Que cet audit n’ait pas été lancé dès sa nomination en juillet alors que le désastre était connu et qu’elle n’ait pas attendu les recommandations pour ciseler sa réponse financière peut surprendre.
Roselyne Bachelot attend pourtant des auteurs du rapport, Georges-François Hirsch et Christophe Tardieu, deux anciens de la maison, « un diagnostic sans concession ». Elle devrait être servie. Le tandem pourrait épingler le gonflement de la masse salariale (1 895 agents, près de 70 % des dépenses), des coûts artistiques, du prix des places. Epingler l’Etat qui, en dix ans, a réduit son aide de 16,5 millions, obligeant son ancien directeur, Stéphane Lissner, à compenser...
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