Six anciennes salariées accusent de harcèlement moral la directrice des Rencontres chorégraphiques internationales de Seine-Saint-Denis, Anita Mathieu, dont le mandat s’est étalé sur plus de vingt ans. La justice a donné raison aux plaignantes et à leurs témoignages poignants.
Voilà un an, au mois de février 2021, Anita Mathieu faisait valoir ses droits à la retraite après avoir dirigé, depuis 2000, les Rencontres chorégraphiques internationales de Seine-Saint-Denis. Les dix dernières années de son mandat ont été marquées par des accusations de harcèlement moral et des témoignages de souffrance au travail, au sein d’une petite structure – une dizaine de permanents – très contestée. Et ce, au point d’apparaître comme le laboratoire de ce qu’il ne faudrait ni faire ni laisser faire dans une entreprise culturelle, en France, au XXIe siècle.
Six salariées (cinq femmes et un homme : laissons le féminin l’emporter sur le masculin) ont esté en justice à partir de l’année 2011. Pour rupture abusive de contrat de travail. Ou pour contester un licenciement fondé sur « une mésentente profonde quant à l’organisation de la direction de l’association » et un « refus de [se] situer dans une structure hiérarchique ».
Les prud’hommes de Bobigny ont débouté les plaignantes entre 2013 et 2015. Elles sont allées en appel. En 2019-2020, la cour d'appel de Paris leur a donné raison . À l’égard de chacun des cas, « la cour considère » qu’il y a eu « harcèlement moral » et que l’employeur a « manqué à son obligation de sécurité ».
Depuis un an, Mediapart enquête sur cette situation passée mais si caractéristique, symptomatique, emblématique. Une fois Anita Mathieu libérée de son poste de responsabilité, serait-il possible de revenir sur sa conduite ; avec elle-même, avec ses soutiens professionnels et politiques, mais aussi avec le personnel l’ayant mise en accusation ? Allions-nous pouvoir décoder un tel cas d’école, de façon, sait-on jamais, qu’il ne puisse plus se reproduire aussi aisément ailleurs ?
Anita Mathieu ne l’entend pas de cette oreille lorsque je lui téléphone, au printemps dernier, après avoir au préalable échangé par textos. Une voix autoritaire m’envoie sur les roses, non sans imaginer une bien curieuse parade : « Votre enquête n’est-elle pas liée au prochain scrutin départemental ? » Aucunement, madame, et j’en veux pour preuve que nous pourrions poursuivre la conversation après qu’aura eu lieu ce scrutin qui semble vous faire souci. Lourd silence stratégique : « De toute façon, il me faut demander l’avis de ma présidente. »
Ne pourrions-nous pas échanger de bon gré, madame, sans avoir à rechercher l’aval d’une responsable dont vous ne dépendez plus ? Clac ! Me voilà rendu à ma solitude à l’autre bout du (sans) fil. Mes tentatives réitérées les mois suivants pour me mettre en rapport avec Anita Mathieu resteront vaines (lire la Boîte noire).
En me cassant ainsi le nez sur l’ancienne directrice des Rencontres chorégraphiques internationales de Seine-Saint-Denis, me revient le leitmotiv qui se propage dans les documents judiciaires auxquels Mediapart a eu accès : « Interdiction formelle et insistante de parler à l’extérieur de ce qui se passe à l’intérieur des Rencontres. »
La défense d’Anita Mathieu semble déraisonner, à la lecture des arrêts du tribunal d’instance de Paris. Dans les écritures du cabinet d’avocats chargé de l’épauler, se déploie en effet la même hantise du complot que celle qui me fut opposée, au sujet d’une entourloupe subodorée en lien avec le « prochain scrutin départemental ». Continuellement revient la même contre-attaque : « Cette procédure est une cabale dirigée contre Anita Mathieu, menée par des salariés qui ont revendiqué la mise en place d’une cogestion. »
Tout est en effet parti d’une demande formulée par la petite équipe des Rencontres chorégraphiques. Elle a osé réclamer une réunion pour évoquer les conditions de travail. Drame, refus, humiliations redoublées de la part d’Anita Mathieu, qui crie à la conjuration et entend la briser.
"Un exercice anormal et abusif par Mme Mathieu de ses pouvoirs d’autorité, de direction, de contrôle."
Arrêt de la cour d’appel de Paris
Les mois qui suivent deviennent irrespirables, aux dires des salariées en question. Mais aussi de la cour d'appel de Paris, qui établit donc qu’un « climat de peur » a bien été ressenti « compte tenu des méthodes de gestion mises en œuvre par Mme Mathieu ». Pour le coup, la juridiction alloue à chaque accusatrice plus de 10 000 euros à titre de dommages-intérêts « en réparation du préjudice causé par le harcèlement moral subi ».
Voire plus de 20 000 euros « à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul, subsidiairement sans cause réelle et sérieuse ». Auxquels peuvent s’ajouter « 12 000 euros à titre d’indemnité pour travail dissimulé ». Et même « 15 000 euros à titre de dommages et intérêts pour violation de l’obligation de sécurité ». La cour d'appel ne cesse, dans ses différents arrêts, de fustiger « un exercice anormal et abusif par Mme Mathieu de ses pouvoirs d’autorité, de direction, de contrôle ».
La souffrance au travail infligée prend des proportions sans doute assez classiques, mais son intensité prédomine au fil des témoignages écrits produits en justice. Je prends contact avec le plaignant et les plaignantes pour en avoir confirmation de leurs lèvres, sous le voile de l’anonymat – toutes ont retrouvé du travail dans le champ culturel, en Seine-Saint-Denis ou en région, et ne veulent pas se voir accoler le statut de « victime » ad vitam æternam.
De toutes ces déclarations se détache une Anita Mathieu possessive, susceptible, odieuse et parfois saisie d’une « euphorie irrationnelle ». Une Anita Mathieu omnipotente, omniprésente, laissant la porte de son bureau ouverte pour intervenir à tout bout de champ lors du moindre échange entre ses subordonnées, à qui elle en vient à rappeler un très impératif : « C’est à moi qu’il faut s’adresser. »
Elle-même ne se prive pas, toujours selon les témoignages recueillis par la justice et corroborés par Mediapart, de s’immiscer dans la vie privée dès qu’elle flaire une faille ou une faiblesse, avec des questions aussi intrusives qu’intempestives.
En particulier à l’égard de celle qui a le toupet d’attendre un enfant. La voici alors accusée par sa directrice d’attenter… aux ressources de la planète. « Tout était brouillé, mélangé, dans son esprit et de son fait, entre nos vies intimes et professionnelles, entre l’espace public et l’espace privé », me confie la collaboratrice en question. La même avait dû prouver son droit à deux jours d’absence en raison de son mariage. Elle produisit la convention collective qu’Anita Mathieu, de rage, lui aurait alors lancée au visage.
Une ancienne souffre-douleur me résume ainsi la situation : « Nous étions sous l’emprise d’une manipulatrice hors pair, qui voulait tout maîtriser et savait diviser pour régner, ajustant les traitements inégaux au sein de sa petite équipe, histoire de casser toute dynamique collective. Anita Mathieu avait l’art de nous culpabiliser en renversant la charge de la preuve : “Si vous n’aviez rien à vous reprocher, vous n’auriez pas engagé un avocat !” »
Selon les attestations unanimes, les vexations en public sont légion. L’une est systématiquement présentée comme « la contrat aidé ». L’autre est moquée, injuriée parfois, pour sa mauvaise orthographe. Une troisième subit des propos dédaigneux : « Tu devrais t’estimer heureuse de travailler ici, avec tous les gens qui aimeraient être à ta place, j’ai 200 CV sur mon bureau ! » Et ce, dès qu’elle a l’outrecuidance d’évoquer son dû : paiement des heures supplémentaires imposées sans concertation, respect du contrat de travail et des plannings – souvent falsifiés, assurent les anciennes employées à la justice puis à Mediapart.
Arrêt maladie qualifié de « grève »
Les témoignages égrènent de surcroît les augmentations de salaire promises mais jamais effectives, tout en étant assorties de chantages itératifs. Sans oublier des ricanements humiliants au sujet d’un arrêt maladie forcément qualifié de « grève » : « Il ne faut pas me prendre pour une idiote, un médecin, c’est facile à manipuler. »
Ces personnes traitées comme des moins que rien me racontent, avec dignité, retenue, leurs épisodes dépressifs, leurs tourments. Parfois cependant fusent de sinistres précisions : « Je vomissais au bureau. Rentrée chez moi : migraines et cauchemars. J’ai perdu 10 kilos en quatre mois. Je n’ai pas eu mes règles pendant un an. »
Toutes se sentaient néanmoins investies d’une mission. Toutes considèrent l’art et la culture comme « un vrai levier d’émancipation », avec « un travail de territoire » lié à « la question du corps politique inscrite au cœur des quartiers » de la Seine-Saint-Denis. « Longtemps, je me suis sentie prête à m’oublier », me souffle l’une d’elles, la voix nouée.
Néanmoins, toutes reconnaissent les qualités professionnelles d’Anita Mathieu, décrite comme « une programmatrice exceptionnelle », capable « de taper du poing sur la table pour obtenir des subventions » – un million d’euros tombaient dans l’escarcelle des Rencontres chorégraphiques internationales. Seule exception dans ce concert de louanges restreintes : Laura Baqué, une salariée qui a démissionné sans demander son reste, tout en témoignant pour celles engagées dans un contentieux judiciaire.
Laura Baqué a quitté le secteur culturel, qu’elle juge « pourri », et ne craint plus l’entre-soi tortueux de ce petit milieu. Elle accepte de me parler à identité découverte : « Je considère l’apport d’Anita Mathieu bien minime eu égard aux dégâts qu’elle a commis. Je l’ai prise en flagrant délit d’incompétence, alors que nous établissions la feuille de tournée d’une petite compagnie invitée. Elle voit qu’en plus du danseur qu’elle avait pressenti une danseuse est prévue. Elle ronchonne que ce doit être la maîtresse de l’artiste et m’ordonne d’écrire qu’Anita Mathieu – elle parlait toujours d’elle à la troisième personne du singulier ! – ne souhaite pas qu’une autre personne accompagne le danseur solo. »
Laura Baqué poursuit en pouffant : « Ce que n’avait pas compris Anita en voyant le spectacle lors d’un de ses nombreux voyages de prospection à travers le monde, c’est que le danseur, qui évoluait sur un discours d’Obama, regardait dans le public une danseuse incarnant un prompteur et dont la gestuelle préfigurait donc les paroles présidentielles et les évolutions du danseur sur scène. C’est ce que m’a expliqué l’artiste invité. J’ai tenté de le faire comprendre à la directrice des Rencontres chorégraphiques internationales, qui n’avait même pas saisi ce qu’elle programmait ! Se rendant compte de sa méprise, elle a grogné : “Ah oui, il y avait effectivement une femme qui s’agitait dans le public”, et elle m’a dessaisie du dossier pour le confier à une collègue, histoire de n’être plus jamais confrontée à mon regard sur sa bourde… »
Un conseil d’administration incapable de jouer son rôle
Comment expliquer alors la position dominante et incontestée d’Anita Mathieu ? Les anciens membres de son équipe dénoncent à l’unisson un conseil d’administration incapable de jouer son rôle de contrôle et d’arbitre, tant il va de soi que tous les participants s’y connaissent trop bien et ne sont là que pour se couvrir mutuellement.
Le rôle de l’actuelle présidente des Rencontres, Yasmina Sellou (qui n’a jamais donné suite à mes demandes d’entretien), est pointé avec sévérité : « Elle protégeait Anita, forte de ses liens avec la CGT – qui ne seraient pas sans rapport, nous semble-t-il, avec les jugements défavorables des prud’hommes à notre encontre », me glisse une ancienne salariée.
Toutes décrivent la peur qu’Anita Mathieu inspirait. En premier lieu aux compagnies de danse, fragiles et donc redevables de participer à un festival reconnu : « Il était difficile de dire non à Anita si on voulait avoir un avenir dans la danse contemporaine. » Aux dires de ces sources, la directrice s’était enivrée de son pouvoir symbolique qui lui donnait droit de visibilité ou d’invisibilité sur des artistes. Ceux-ci finissaient par n’exister que grâce à elle dans son esprit : sa mise en lumière les mettait au monde. Elle créait les créateurs…
Même les directeurs de salle ayant eu vent de la gestion inadmissible des ressources humaines de la directrice des Rencontres chorégraphiques, au point de ne plus la recevoir dans leur structure, l’ont fait en toute discrétion et ne souhaitent guère aujourd’hui s’épancher : par exemple les anciens directeurs du Théâtre Gérard-Philipe de Saint-Denis, Jean Bellorini (aujourd’hui à la tête du TNP de Villeurbanne), ou son prédécesseur, Christophe Rauck (désormais au théâtre Nanterre-Amandiers).
C’est d’abord l’extrême lâcheté des tutelles que me dénoncent, en chœur, les équipes naguère en proie à l’autoritarisme d’Anita Mathieu. Personne n’a jamais moufté, du ministère de la culture à la mairie de Bagnolet, siège de l’association – dont la raison sociale officielle est Centre international de Bagnolet pour les œuvres chorégraphiques de Seine-Saint-Denis (Ciboc).
Pourtant, dès 2011, le personnel aux abois, relayé par le syndicat Sud, a tiré toutes les sonnettes : médecine et inspection du travail, direction régionale des affaires culturelles (DRAC) Île-de-France, conseil général de Seine-Saint-Denis…
Le seul à ne pas se cacher derrière son petit doigt est un vieux routier de l’action culturelle et de l’éducation populaire du 93, Denis Vemclefs. Directeur des affaires culturelles de la ville de Bagnolet hier et de Montreuil aujourd’hui, il était à la tête de L’Espace 1789 de Saint-Ouen, qui accueillait les Rencontres chorégraphiques.
Il a interrompu cette collaboration du fait des ravages causés, selon lui, par la personnalité et les méthodes d’Anita Mathieu : « J’ai vu ses équipes, jeunes, brillantes, compétentes, pleines d’allant, sombrer dans l’épuisement et la dépression. Être détruites et mettre des années à se reconstruire. J’ai mesuré leur souffrance et leur isolement. Tout le monde le savait, personne n’a bougé en dépit des alertes, à commencer par la présidente actuelle des Rencontres, Yasmina Sellou ; pas plus que n’avait levé le petit doigt son prédécesseur, conseiller municipal communiste. »
Denis Vemclefs convient que cette affaire ne se prête pas à une lecture politique (tous les protagonistes sont de gauche !), ni à une interprétation générationnelle (tous les âges sont représentés) ou encore genrée (des femmes comme des hommes pratiquent, ou couvrent, un management malsain) : « Les élus étaient certes mal à l’aise face à la personnalité d’Anita Mathieu, mais ils étaient fiers de sa programmation culturelle, des retombées pour le département et craignaient comme la peste l’impact négatif qu’auraient provoqué des révélations sur la souffrance au travail qu’elle engendrait. »
Nous sommes au cœur d’une contradiction déjà évoquée par Mediapart au sujet du conflit qui mine le théâtre de la Commune d’Aubervilliers : jusqu’à quelles sujétions peut aboutir la férule d’une personnalité flamboyante prônant l’affranchissement du genre humain, tout en se montrant incapable de balayer devant sa porte ? Quels débordements faudrait-il accepter d’un talent aux manettes, du fait de son prétendu génie créatif ?
« Il nous fallait, pour ne pas tuer les Rencontres, mettre de côté nos blessures personnelles et demeurer, quoi qu’il en coûte, au service de l’art. Anita nous infligeait continuellement un regard culpabilisant et un discours moralisateur », résume une ancienne collaboratrice.
Denis Vemclefs reconnaît que le tempérament artistique, hérissé d’égotisme et d’égoïsme, se prête mal à l’écoute bienveillante des troupes. Celles-ci sont pressurées sans vergogne, au nom d’une sorte d’esprit commando institué en raison d’une mission, supérieure, qu’imposerait le domaine si particulier de la culture. On n’y compte pas ses heures, les RTT y sont bannies : tout cela est bon pour les béotiens. Un tel état d’esprit, subi par les salariés, toléré par les tutelles, donne parfois aux responsables d’une institution culturelle l’impression, jamais démentie, qu’ils ont tous les droits en vertu d’une extraterritorialité juridique conférée à la bohème !
« Le talent ne suffit pas et ne doit jamais s’imposer au détriment des relations sociales. Il ne faut plus laisser les beaux discours enrober des comportements détestables. » Tel est le constat qu’expose Denis Vemclefs. Il prône un binôme équilibré à la tête des institutions culturelles : une sensibilité artistique épaulée par un contrepoids réglementaire. C’est le cas dans les centres dramatiques nationaux avec un attelage souvent aux allures de couple : un directeur flanqué d’une administratrice (mais il existe des directrices tout comme des administrateurs).
Toutefois, une telle configuration eût fait exploser le budget du Ciboc, association fonctionnant avec une petite dizaine de CDI émargeant à moins de 2 000 euros mensuels en moyenne – tandis qu’Anita Mathieu recevait au moins quatre fois plus, sans compter les notes de frais, selon des sources croisées. De toute façon, la directrice contestée refusait le moindre rééquilibrage, insistent tous les témoignages : elle entendait demeurer seule maîtresse à bord. Et on l’a laissée faire.
Emmanuel Constant, élu au conseil général de Seine-Saint-Denis, est l’un des seuls à ne pas se défiler – sa collègue, Dominique Dellac, par exemple, faisant la sourde oreille avec constance. Néanmoins, s’il me rappelle, c’est pour jouer à l’homme né de la dernière pluie : « J’avais entendu parler, en tant que vice-président chargé de la culture entre 2008 et 2015, d’Anita Mathieu, de son caractère fort et de sa gestion humaine un peu rude. »
Des centaines de milliers d’euros d’argent public
Le 18 octobre 2011, dans un courrier adressé à Emmanuel Constant, rendu public et même distribué sous forme de tract, Pierre Zinenberg, représentant Sud Culture Solidaires, sonnait l’alarme avec force détails, au sujet de l’autoritarisme nocif d’Anita Mathieu. Mais l’élu ne garde de tout cela qu’un souvenir édulcoré, même s’il en convient : « Au prétexte des belles choses sur scène, il arrive qu’on passe l’éponge sur les coulisses. »
Quid des sommes astronomiques – plusieurs centaines de milliers d’euros d’argent public selon des calculs crédibles – dépensées par le Ciboc en frais d’avocats durant dix ans de procédure ? Puis en compensations versées aux salariés après que justice leur fut rendue en appel ? Emmanuel Constant semble tomber des nues : « Vous me l’apprenez ! »
Le champ culturel de Seine-Saint-Denis regorge d’autruches la tête dans le sable. Quand je parviens à obtenir sur sa ligne directe, dans son bureau de Bagnolet, Frédérique Latu, qui a pris la suite d’Anita Mathieu à la tête des Rencontres internationales, elle se dérobe avec véhémence : « Je n’ai pas envie de répondre à vos questions. Je porte un projet dont je vous parlerais volontiers. Ce qui s’est passé avant ne nous regarde pas. »
Je lui rappelle le rôle de la mémoire, des traumas et de l’histoire dans la création contemporaine, qui pourrait du reste s’inspirer de toute cette histoire pour monter un spectacle : rien à faire, rien à voir, rien à penser. Au diable la réflexion, on va de l’avant !
Irresponsables partout, responsables nulle part ? Claudine Valentini, après des mois d’enquête, s’avère la seule capable de faire face, dans la douleur politique, à cette catastrophe culturelle en forme de signes des temps que fut le directorat d’Anita Mathieu. Claudine Valentini a dirigé la culture du département au temps où rayonnait encore ce communisme municipal dont Jack Ralite fut l’une des plus attachantes incarnations. Elle a « coupé les ponts » en 2008, au moment où la relève socialiste renvoyait les dinosaures du PCF à leur préhistoire de partage culturel élitaire pour tous.
"Des subventions sont accordées sans le moindre contrôle."
Claudine Valentini, ancienne directrice de la culture et des sports au conseil général
Aujourd’hui retirée du côté de Toulouse, Claudine Valentini s’indigne du déclin de la culture et du « drame de la puissance publique qui rétrécit ». C’est elle qui a contribué à recruter Anita Mathieu à la tête des Rencontres chorégraphiques internationales de Seine-Saint-Denis. Mais c’est elle qui, tout en militant « pour l’indépendance artistique des équipes publiques », s’est démenée « pour créer un poste de secrétaire général afin d’élargir une structure trop fermée. La Drac était d’accord, ainsi que le conseil général. Mais Anita Mathieu a refusé et personne n’a osé ou voulu lui imposer cette décision ».
Claudine Valentini poursuit : « Nous avons là un exemple typique de fragilité structurelle du domaine culturel. Des subventions sont accordées sans le moindre contrôle. Elles maintiennent à flot une association, mais sans moyens humains ou financiers suffisants. Je n’ai jamais voulu décider à la place de telles associations, mais j’ai toujours cherché à les aider à se structurer. » C’est donc dans le laisser-faire saupoudré de misère budgétaire que prospèrent les petites tyrannies, comme celle qu’a pu exercer plus de vingt ans durant Anita Mathieu...
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