Lumière tamisée pour éviter le noir complet, niveau sonore adapté, ciné-goûter ou ciné-danse... Certains exploitants rivalisent d’ingéniosité pour que les premiers films vus sur grand écran soient des expériences inoubliables. Et que les moins de 15 ans gardent le goût des salles obscures.
On les croise dans les couloirs pendant les vacances, ou en début d’après-midi les mercredis, samedis et les dimanche matin. En groupe, ils font souvent un sacré barouf, on croirait la salle remplie, et pourtant… Si l’offre de films pour le jeune public s’est considérablement étoffée ces vingt dernières années, la part des moins de 15 ans qui se rendent au cinéma ne représente toujours que 14,4 % de la fréquentation générale. Pour attirer ce public vraiment particulier des 3–14 ans, les exploitants de salles doivent donc redoubler d’ingéniosité.
Avant tout, il faut les choyer. L’expérience de la toute première séance est cruciale, elle marquera les esprits et, sans nul doute, leur cinéphilie – que ce soit un Chaplin, un Miyazaki ou un Disney, tout le monde se souvient de son premier film ! Pour la première rencontre avec l’écran géant, les exploitants spécialisés dans la programmation pour le jeune public prennent les tout-petits par la main. « Dès 3 ans, nous préparons le spectateur au rituel du cinéma. Nous mettons tout en œuvre pour que la séance soit une cérémonie, explique William Benedetto, directeur chevronné de la salle mono écran L’Alhambra, dans les quartiers Nord de Marseille. Pour qu’ils trouvent leurs marques, nous leur montrons systématiquement comment la lumière s’éteint pendant la projection. »
Ciné-danse, ciné-conte, ciné-yoga, ciné-poème...
Lumière tamisée pour éviter le noir complet, niveau sonore adapté, présentation de la salle, annonce du film… Certains poussent même le confort à l’extrême, comme au Studio des Ursulines, salle mythique du Quartier latin, à Paris, uniquement consacrée au jeune public, où les enfants sont assis à bonne hauteur sur le velours douillet des rehausseurs en mousse plutôt que sur le plastique rigide de leurs homologues multicolores dans les autres cinémas.
Sur le papier, ces trucs et astuces ne semblent pas bien sorciers. Mais pour trouver ce sur-mesure taille mini, il faut bien souvent tourner le dos aux grands groupes de l’exploitation cinématographique et se diriger vers les salles de quartier, les indépendants, les labellisés Art & Essai et les structures associatives. Les mêmes qui promeuvent depuis toujours l’idée d’un cinéma pour bambins en version « augmentée ». Des exploitants qui ne misent ni sur le stand de confiserie, ni sur l’hybridation séance de film/récréation – l’apanage des salles Kids ! du réseau Pathé Gaumont, au Pathé La Villette à Paris ou à l’EuropaCorp La Joliette, à Marseille, toutes achalandées en Lego, prises d’escalade et poufs fluo gigantesques pour enfants gigoteurs. « Quelque part, nous proposons l’idée d’un cinéma un peu “sec”, il n’y a pas de quoi se rassurer devant des pubs en grignotant du pop-corn, ajoute William Benedetto. Mais nous compensons par la qualité de la programmation et les médiations qui accompagnent les projections. »
Ciné-danse, ciné-concert, ciné-philo, ciné-conte, ciné-yoga, ciné-poème, etc., les actions de médiation se sont renforcées « parce qu’on comprend qu’il faut préserver le lien avec les plus jeunes dans l’attente des jours meilleurs », constate Laurent Coët, responsable du groupe Jeune Public de l’Association française des cinémas d’art et d’essai (AFCAE). Et toutes les déclinaisons sont possibles.
En tête de liste figurent le quiz et le ciné-goûter, supprimé temporairement ou en formule « à emporter » depuis les restrictions sanitaires. Le dimanche, au cinéma Studio à Tours, les enfants quittent maintenant la salle avec une collation glissée dans un sachet et un petit flip book à construire. « Ça marche moins bien, mais ça va revenir ! » rassure Jérémie Monmarché, son directeur adjoint. Associés aux sorties récentes ou aux films de patrimoine, les ateliers où les marmots peuvent mettre la main à la pâte – initiation au doublage, au montage, ou même transformer son doudou en héros le temps d’un film, comme le propose, à Paris, le Forum des images – restent des valeurs sûres, plébiscitées par les exploitants… et par les parents !
« Le jeune public n’est pas autonome, il lui faut un prescripteur ! rappelle Laurent Coët, aussi directeur du cinéma Le Regency, dans le Pas-de-Calais. Ce sont les adultes, les enseignants, les centres de loisirs et les familles qui font, en premier, la démarche d’aller au cinéma. » Dans cette période de crise sanitaire, les exploitants ont pu craindre la démotivation des accompagnateurs après les réouvertures par étapes des salles et aux protocoles alambiqués pour les groupes jeunesse.
Faire concorder tranches horaires et tranches d’âges
Mais malgré des mercredis encore faiblards, le jeune public a su répondre présent. Surtout les scolaires, qui attendaient avec hâte la reprise du programme École et cinéma, coordonné par Passeurs d’images et le CNC : « Les professeurs étaient dans les starting-blocks ! » Mais selon les territoires et leur accessibilité, il faut encore se démener. À Marseille, William Benedetto met lui-même en place des cars spéciaux pour acheminer les classes jusque dans son cinéma.
Pour les familles, les exploitants peuvent compter sur le travail des distributeurs spécialistes du cinéma jeune public, notamment Cinéma Public Films (Jean-Michel le caribou), les Films du Préau (Maman pleut des corde), Gebeka Films (Princesse Dragon), Little KMBO (Le Tigre qui s’invita pour le thé, à découvrir en avant-première au Festival cinéma Télérama enfants, jusqu’au 1er mars). Et parfois des succès inattendus arrivent, comme le documentaire La Panthère des neiges, de Vincent Munier et Marie Amiguet, qui fait un carton auprès des plus jeunes alors que le film ne leur était pas spécifiquement destiné.
De plus en plus les petits cinéphiles jouent des coudes et les cinémas bousculent les horaires fixes de la programmation pour adultes pour leur faire une vraie place au planning – les séances jeune public ont souvent colmaté les trous laissés par les séances « classiques ». Aujourd’hui, on prête autant attention à faire concorder les tranches horaires aux tranches d’âges – ne pas diffuser La Petite Taupe à l’heure de la sieste, par exemple – qu’à programmer de vraies séances du soir, dans les règles de l’art.
Éveiller la curiosité
Placer le petit spectateur au même niveau que le grand est d’ailleurs devenu une priorité. Pour lui donner l’envie de la salle, il suffirait de lui proposer les mêmes services. Les rencontres avec les réalisateurs et les réalisatrices après les projections ainsi que les festivals annuels (Mon premier festival au Forum des images, à Paris, ou Ciné-Junior, du 2 au 15 février, dans le Val-de-Marne) font leur preuve depuis des années. Là se construit la cinéphilie : en plus des nouveautés et des bizarreries qui éveillent la curiosité, dérangent et posent des questions, ces manifestations sont une manière de construire le lien parent-enfant, où l’adulte peut faire découvrir sur grand écran les films qui ont marqué son enfance.
« Buster Keaton, Charlie Chaplin, Miyazaki, c’est séances-là sont toujours pleines à craquer », explique Chiara Dacco, coordinatrice d’Enfance de l’art. Créé il y a vingt-deux ans par l’association Cinémas indépendants parisiens, ce festival permanent propose une sélection semestrielle de vingt-quatre films pour le jeune public de 2 à 12 ans. « Il y a les nouveautés, les classiques du patrimoine comme Peter Pan, Kirikou, etc. Mais nous misons aussi sur la programmation de documentaires, pas forcément prévus pour le jeune public mais qui pourraient tout à fait leur convenir ! » Et même les grands complexes s’y mettent. Dans les salles parisiennes du groupe MK2, les 2-4 ans et les primaires ont des séances qui leur sont régulièrement consacrées, Bout’chou et Junior.
Reste l’âge charnière auquel se heurtent tous les exploitants. Au début du collège, les ados rompent avec leurs modèles, se détournent des lieux qu’ils fréquentent avec l’école (logiquement donc, les salles d’art et d’essai). Et quand ils se retrouvent au cinéma, c’est pour vivre une expérience de groupe, souvent devant un blockbuster américain ou un anime japonais.
Au final, les 11-14 ans se font très rares au cinéma (seulement 5,1 % des spectateurs). Certaines initiatives alléchantes tentent de les appâter, comme le tout récent ciné-club Sandwich Club, lancé par Enfance de l’art début janvier, à Paris – « Un ciné-club qui parle aux plus jeunes, mais par le biais des films cultes de leurs parents, avec une analyse et des débats menés par une chercheuse après la projection. On a commencé avec Beetlejuice, de Tim Burton. » Mais souvent, les structures manquent de moyens de communication numérique et de médiation permanente, qui seraient pourtant nécessaires pour capter un public tourné vers les réseaux et qui utilise les plateformes de streaming de manière autonome depuis belle lurette.
Pour autant, et qu’on s’en réjouisse, le jeune spectateur ado décrocheur n’est jamais...
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