Quarante ans après sa création, le Salon du livre de Paris devient un festival et change de lieu. Au Grand Palais éphémère, son directeur général Jean-Baptiste Passé redonne du prestige à la manifestation, avec le retour de grands groupes, mais sans les Régions ni leurs petits éditeurs indépendants.
Un millier d’auteurs sont attendus pour quelque 1 200 séances de dédicaces, à partir de ce vendredi et jusqu’à dimanche, sur le Champ-de-Mars, tout près de la Tour Eiffel. Pendant trois jours, du 22 au 24 avril, le Grand Palais éphémère accueille le Festival du Livre de Paris.
Après deux annulations en 2020 et 2021 en raison de la pandémie, le Salon du Livre (dont la première édition s’est tenue justement au Grand Palais) longtemps rebaptisé Livre Paris et organisé pendant quarante ans au parc des expositions de la porte de Versailles a donc changé de nom et de lieu. Il se déroule en plein centre de la capitale, mais dans un espace beaucoup plus petit : 6 500 m2 contre 13 000 m2 auparavant.
Le SNE, Syndicat national de l'édition, a repris la main sur l'événement, avec une nouvelle approche - resserrée et thématique - et une centralisation de la commercialisation pour la vente des ouvrages, en la confiant à l'association Paris Librairies.
Il n'est plus question de stands ni d'échanges professionnels bien programmés. Des rencontres, des débats et ateliers sont prévus autour de quelque 300 000 ouvrages rassemblés dans ce qui ressemble à une vaste librairie. Selon un nouveau modèle économique et culturel, le choix de la gratuité de l'entrée pour les visiteurs s'inscrit dans le cadre de la grande cause nationale déclarée cette année : la lecture.
Le rendez-vous complètement réinventé, à destination principalement des familles et des enfants, est marqué par le retour des grands éditeurs - dont Hachette et Editis - et par l’absence aussi des petites structures régionales et indépendantes.
Comment décrire cette première édition du Festival du livre de Paris ? Elle est visiblement thématique.
Nous avons imaginé une structure en trois univers : "Habiter le monde" pour les sciences humaines, la nature, l’environnement, les loisirs créatifs; "Raconter le monde" pour la fiction, la littérature, tous les genres de littérature; "Imager le monde" pour regrouper les propositions éditoriales autour de la bande dessinée et de la jeunesse. C’est à la fois un lieu de commercialisation et un lieu de rencontre entre les auteurs, les livres et leurs lecteurs. Notre scénographe l’a dessiné comme un parterre de livre, en laissant le sol brut, avec des modules en bois naturel.
C’est une formule hybride entre le stand d’éditeur et la librairie que nous présentons : une grande librairie d’éditeurs, dans un espace plus exigu de 6 500 m2, deux fois moins grand que celui de la porte de Versailles. Avec l’ensemble des éditeurs, 300 éditeurs réunis dans le Festival, nous faisons l’exercice collectif de la frugalité.
Et en plus du grand parterre de livres, nous avons bâti sept lieux - sept cafés littéraires - dans lesquels les auteurs vont interagir avec leur public, pour quelque 250 interventions pendant le Festival, notamment dans la scène centrale avec 200 places assises avec un écran géant que nous baptisé l’"Agora" : ce grand cylindre blanc, centre de gravité des débats conçu pour croiser les genres, où des auteurs de littérature vont par exemple dialoguer avec des auteurs de bande dessinée.
Tout a été modifié dans cette nouvelle version du Salon du livre. Était-ce indispensable ? Le rendez-vous avant la pandémie avait-il perdu de son influence et de son attractivité ?
Absolument. Sans renverser la table pour autant, la manifestation telle qu'elle était sortie en 2019 devait être repensée. Et après deux années de pandémie, il s'agissait de la réinventer, de la transformer pour qu'elle perdure. Le parc des expositions de la porte de Versailles, de l'avis des éditeurs et des exposants, c'était loin, moche et c'était cher. Nous avons donc travaillé sur ces trois dimensions pour proposer quelque chose de beau, de central et de gratuit pour le public.
Depuis 2010, au fil des ans, un certain nombre d'éditeurs de premier plan avaient quitté la manifestation. C'était le cas pour Grasset. C'était le cas pour Stock. C'était le cas pour de nombreuses grandes maisons d'édition. Et avec l'arrivée d'Amazon, avec une manifestation qui devenait davantage professionnelle, on sentait bien que la magie commençait à s'émousser. La manifestation était donc obérée de tout un tas de problèmes.
Il fallait trouver les ingrédients pour offrir aux Parisiens, aux Franciliens et plus largement à tous les lecteurs, qu'ils soient occasionnels ou de grands lecteurs, trois jours d'une manifestation festive autour du livre.
Cela implique une nouvelle approche, économique et culturelle ?
Nous avons cherché effectivement à marcher sur ces deux jambes. La manifestation organisée auparavant par Reed Expositions était tenue par des professionnels de l'événementiel. Aujourd'hui, avec l'équipe que j'ai constituée, composée de professionnels de l'édition, nous avons forcément un regard différent, avec un poids du corps qui porte beaucoup plus sur notre passion pour le livre, pour la littérature, pour les essais, pour la bande dessinée. Nous venons naturellement tous de ces univers-là. Et de fait, nous avons une approche beaucoup plus centrée vers le lecteur que ne pouvait l'être les précédents organisateurs, parce que ce n'était pas leur nature.
Pour moi, il y a deux changements majeurs dans notre manifestation. D'abord, la question de la gratuité qui répond à la question de la grande cause nationale déclarée cette année : la lecture. Jusqu'alors, la billetterie était payante pour l'accès porte de Versailles. Aujourd'hui, indépendamment de votre âge, indépendamment de votre adresse, la manifestation est ouverte à tous. C’est quand même vraiment quelque chose de fort de continuer à montrer que la lecture est attractive, séduisante et festive, et que cela puisse être ouvert à l'ensemble des publics par la gratuité. C’est un changement important qui a des conséquences économiques par ailleurs.
Et il y aussi l'approche spatiale de la manifestation. Dès qu'on m'a confié cette mission et que j’ai dû relever ce défi (en septembre 2021), je me suis approché d'une scénographe pour transposer la manière dont les livres, les auteurs et les éditeurs étaient représentés porte de Versailles, dans quelque chose de nouveau et de beau. En travaillant avec Isabelle Allégret, proche collaboratrice de Patrick Bouchain, architecte dont j’admire le travail, nous avons donc cherché à construire un grand parterre de livres et trouver une mécanique permettant à des petits, des moyens et des grands éditeurs d'être chacun présent dans une logique harmonisée, sans pour autant être uniformisé.
Un défi passant notamment par le retour des grands éditeurs ?
Compte tenu de l'espace du Grand Palais éphémère nettement plus petit que celui de la porte de Versailles, il y a forcément moins d'exposants que les années précédentes. C'est en vue de constituer le panorama le plus séduisant possible que nous avons réussi à convaincre les éditeurs et sommes parvenus à un rééquilibrage dans les acteurs en présence, avec vraiment toutes les maisons de premier plan. C'est le retour de Grasset, c'est le retour de Calmann-Lévy, mais c'est aussi le retour, après plus de dix ans d'absence d'Odile Jacob, maison indépendante, exigeante de sciences humaines. Michel Lafon est avec nous. Et puis, de l'autre côté de l'échiquier, les Éditions Verdier seront présentes, comme les Éditions 2024 en bande dessinée. Je crois que la concorde est impossible dans l'édition et ce n'est pas forcément souhaitable. Néanmoins, il y a un vrai alignement des envies, des désirs à la fois des éditeurs et des auteurs de se réunir dans ce lieu, dans cet écrin formidable.
C'est le retour des grands éditeurs dans une phase un peu critique ?
Indéniablement, dans les éléments auxquels on a dû faire face, il y a les mouvements tectoniques, les mouvements capitalistiques qui agitent l'édition. C'est aussi la raison pour laquelle les groupes d'édition ne sont pas présents en tant que tels au sein de la manifestation, contrairement à ce qui se passait porte de Versailles.
Ici, nous nous intéressons au catalogue de chacun des éditeurs. Ici, ce n'est pas Editis qui est présent, mais c'est bien Belfond, c'est bien 10/18... ce sont les marques éditoriales, les labels éditoriaux qui sont présents. Bien sûr qu’en bruit de fond, le rapprochement de Hachette et Editis est dans les esprits de tous. Mais les acteurs du groupe Editis et ceux du groupe Hachette, malgré ce contexte, ont souhaité participé à la manifestation.
Mais il y a des mécontents, parmi les petits éditeurs indépendants ?
Parmi les 300 maisons d'édition qui sont présentes, une sur deux est indépendante et une sur trois peut être qualifiée de petite. Je ne sais pas si on peut opposer la grande édition et la petite édition. Ce n'est pas exactement en ces termes que je me pose la question, mais il y a c’est vrai un rendez-vous manqué avec les agences régionales du livre avec lesquelles, pourtant, nous avons longtemps échangé. Je suis allé rencontrer la Fédération interrégionale du livre et de la lecture dès ma prise de poste. Si on prend un pas de recul depuis dix ans, la place occupée par les Régions et donc par les pouvoirs publics n'avait cessé de progresser dans le cadre de la porte de Versailles. Et je crois qu'en effet, nous faisons là un rééquilibrage peut être plus en phase avec la réalité, la réalité de la vente de ces livres sur le marché de la librairie française. Je le vois donc davantage comme un rééquilibrage que comme une exclusion des plus petits. Il y a beaucoup de petites maisons d'édition. Et puis, ce n'est pas parce que c'est petit que c'est bon non plus. On ne peut pas être manichéen dans cette approche-là. J'entreprendrai en mai et en juin un tour de toutes ces agences régionales du livre pour tenter de trouver avec elles et surtout avec les maisons d'édition qu'elles accompagnent au long cours, des solutions pour que ces maisons, ces typologies de maisons d'édition, si elles le souhaitent, si tout cela est cohérent à la fois avec leur ligne éditoriale et avec les attentes du public, puissent être présentes dès l'année prochaine.
En tout cas, aujourd'hui, avec un tarif de près de 18 000 euros hors taxe pour une surface de 12m2, des centaines de petits éditeurs se sont sentis écartés, exclus. Le Festival est trop cher pour eux ?
La gratuité pour le public a un coût. Et ce coût est aujourd'hui assumé par les éditeurs à 95%. Le Festival du livre de Paris est une manifestation privée soutenue par le Centre national du livre et par l'Ile-de-France, mais dans des proportions marginales. C'est une manifestation qui doit s'autofinancer. La grille de tarification que nous avons proposée a pu faire débat. Mais la prestation a énormément changé, avec une solution clé en main pour le mobilier, le stockage, le recyclage intégré et la restauration des auteurs dans une volonté républicaine, c'est-à-dire de traiter les maisons d'édition indépendamment de leur taille, de la même manière, de les accueillir et d’accueillir les auteurs avec le même soin. Je crois que cela a mal été compris ou en tout cas mal expliqué.
Nous avons cherché, nous avons beaucoup tordu notre modèle. Nous avons fait des propositions commerciales, financières très importantes et un des points d'achoppement est la manière de vendre les livres pendant cette manifestation. J'ai consacré les cinq dernières années de ma vie à être libraire, un métier absolument formidable et il me semblait inélégant, pour le moins, de désintermédier les libraires au profit de ces éditeurs. Il me semblait vraiment important que chacun des maillons de la chaîne soit respecté. Avec Paris Librairies, association qui fédère 200 libraires en Ile-de-France, nous partageons le fruit de la vente des livres.
Et puis, cette micro-édition, cette édition régionale qui est bourré de talent, avec tout un tas de choses très très intéressantes, n'est souvent présente que grâce aux subventions des agences régionales et des actions de communication des Régions. Et aujourd'hui, dans cette recherche de frugalité et d'harmonie, nous avons cherché à réduire tout ce qui rendait la manifestation trop mercantile. Nous avons cherché à le gommer. Nous avons réussi à le faire avec les groupes éditoriaux. Nous n’avons pas réussi à le faire avec les institutions.
Vous reconnaissez vous-même que le Grand Palais éphémère ne permet pas d'être une vitrine exhaustive de l'édition française ?
Oui et je crois d'ailleurs que l'exhaustivité est un piège. Aujourd'hui, le seul acteur qui est capable d'être exhaustif, c'est l'aigle impérial californien dont je ne citerai pas le nom. Nous assumons cette subjectivité. Certes, c'est imparfait, mais nous avons tenté d'être les plus généreux possible. Et puis, encore une fois, il y a beaucoup de maisons d'édition indépendantes qui seront présentes, avec près de 50 000 références : bibliodiversité, oui ! Exhaustivité, non !
Au sein même du SNE, des adhérents disent que ce n'est plus un salon, que ce n’est plus un espace de rencontres avec les libraires, les bibliothécaires, les lecteurs de toute la France et qu’on s'enferme sur Paris. Est-ce qu’il n’y a pas le risque d'un entre-soi ?
Je crois qu'on ne peut pas opposer Paris et les régions. C'est une position que je réfute. Nous avons précisément tenté de ne pas être jacobin. Prenons l'exemple d'Actes Sud, maison qui est basée à Arles, à vocation nationale. Ce n’est pas le code postal de l'éditeur qui m'intéresse, mais sa production.
Nous avons cherché à être les plus rassembleurs, les plus fédérateurs possibles. Bien sûr que nous aurions voulu qu'il y ait davantage de bibliothécaires. Malheureusement, cela n'a pas pu être possible dans le délai imparti, notamment du fait de l'absence de journée professionnelle, puisque nous avons voulu consacrer le poids de cette manifestation vers le grand public. Il n’y aura pas d'imprimeur, pas d'éditeurs de logiciels. Le volet interprofessionnel en effet est absent. C'est un des choix que nous avons dû faire compte tenu d’un espace plus restreint.
Mais nous avons cherché une solution pour favoriser les échanges entre les éditeurs, entre les auteurs. Le “balcon Eiffel”, un lieu pour se restaurer, partager un verre, est beaucoup plus ouvert et beaucoup plus collégial que cela ne pouvait l'être jusqu'alors. L’accusation d’entre-soi est injuste, fausse et me semble aussi un peu facile.
À ce cœur battant du Grand Palais éphémère s’ajoutent des lieux satellitaires, près de quinze lieux dans lesquels vont se tenir des manifestations : une conférence du prix Nobel Orhan Pamukau Panthéon, une rencontre avec Joy Sorman et Maylis de Kerangal à la Sorbonne, une déambulation avec Antoine Compagnon à bord d'une péniche sur la Seine, une dizaine d'interventions dans l'auditorium du Petit Palais, parmi lesquelles une lecture dansée d'Agnès Desarthe et une lecture musicale de Mathias Malzieu.
Et toujours dans une recherche de collégialité, Paris Librairie est aussi notre partenaire à l'occasion de la Fête de la librairie indépendante qui se tient concomitamment samedi...
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