A l’heure des premières mesures de rétorsion prises contre la guerre en Ukraine, plusieurs expositions s’inquiètent de leur devenir.
L’écho des bombardements en Ukraine pourrait se faire entendre jusque dans les musées français. Depuis la déclaration de guerre de Vladimir Poutine, jeudi 24 février au matin, se pose en effet la question de la circulation des œuvres. Pour la Fondation Louis Vuitton, à Paris, le problème n’a rien de théorique : depuis septembre 2021, les visiteurs peuvent y admirer la fastueuse collection des frères Morozov, soit plus de deux cents chefs-d’œuvre prêtés par trois musées russes, avec le blanc-seing personnel du chef du Kremlin. L’accrochage, qui a déjà attiré plus de un million de visiteurs, a été prolongé jusqu’au 3 avril. Tous les créneaux de réservation ont été rapidement réservés, permettant aux équipes de Bernard Arnault de tabler sur 200 000 billets en mars. Sauf contre-ordre. « On se conformera aux décisions gouvernementales », dit-on à la fondation.
Au château de Versailles aussi, la prudence est de mise, mais pour des raisons inverses : à l’instar du Louvre, l’établissement public vient de prêter trois tableaux pour une exposition sur l’histoire du duel, qui doit ouvrir ses portes le 4 mars au Musée du Kremlin. Pour l’heure, ni l’Elysée ni le Quai d’Orsay n’ont donné de consignes. Toutefois, le rapatriement des œuvres, dans un sens ou dans l’autre, s’avère délicat : les conservateurs habituellement chargés de convoyer les trésors nationaux risquent de ne pas obtenir de visa…
Fabergé dans le brouillard
L’incertitude plane encore sur l’exposition « Picasso et la Russie », programmée en septembre 2023 au Musée du Luxembourg, dont le commissariat devait être assuré par des conservateurs russes. « Nos collègues s’inquiètent d’une situation qui pourrait les couper du monde », se désole Cécile Debray, présidente du Musée Picasso-Paris. A la Galerie Tretiakov, à Moscou, qui doit prêter une vingtaine d’œuvres, dont le célèbre Carré noir sur fond blanc, de Malevitch, on veut garder espoir. « La culture reste la première base et la dernière base d’une discussion, avance Sergueï Fofanov, conservateur au musée. L’exposition Picasso à Moscou a bien eu lieu en 1956, malgré l’invasion de la Hongrie par l’Armée rouge. » En 1979 aussi, dix ans avant la chute du mur de Berlin, d’intenses pourparlers avaient permis d’accoucher – dans la douleur – de la mémorable exposition « Paris-Moscou » au Centre Pompidou.
A Londres aussi, la visibilité sur les expositions n’est pas grande. Vu du Victoria & Albert Museum de Londres, le brouillard nimbe l’exposition consacrée au joaillier Fabergé, facilitée par de nombreux prêts russes, qui doit se clore en mai. « Nous restons en contact avec le ministère de la culture et des médias sur l’évolution rapide de la situation », fait savoir un porte-parole. Dès jeudi, le premier ministre britannique, Boris Johnson, a annoncé une importante salve de sanctions contre la Russie.
Enfin, la présence russe à la Biennale de Venise, qui doit ouvrir ses portes le 23 avril, n’a plus rien d’évident. Le pavillon, érigé en 1914, est totalement autonome et financé par la Russie, précise l’administration de la manifestation. Néanmoins, les œuvres et les artistes risquent de ne pouvoir circuler. « La Biennale sera toujours un forum pour le dialogue culturel et la diplomatie, et, on l’espère, un outil politique efficace pour nourrir le dialogue et la paix », dit prudemment une porte-parole. L’artiste Pavlo Makov, qui doit y représenter l’Ukraine, n’a guère le cœur à parler d’art, de dialogue ou de diplomatie. « Regardez où est Venise sur une carte, et où nous sommes nous, en Ukraine », écrit par texto cet homme de 63 ans. Avec sa famille, il a passé la nuit du 24 février dans un abri antibombe...
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