En France, trop peu d’acteurs atteints de surdité ont l’opportunité de jouer dans des films ou des séries. Et ceux qui y arrivent se heurtent aux a priori du milieu et pâtissent du manque de diversité dans les scénarios.
Longtemps dans le déni de sa surdité, Pascal Elbé a eu un déclic sur le tournage de Cortex, en 2007 : «J’étais sourd depuis longtemps mais je compensais grâce à la lecture labiale.» Acteur «installé», désormais appareillé, il n’a pas vu sa carrière affectée par ce handicap qui lui a inspiré une jolie comédie romantique, On est fait pour s’entendre, en salles depuis la semaine dernière, avec lui et Sandrine Kiberlain dans les rôles principaux. L’été dernier, le monde des sourds s’invitait déjà dans l’actualité culturelle avec deux longs métrages internationaux : Drive my Car, du Japonais Ryūsuke Hamaguchi, distingué par le Prix du scénario à Cannes, et Coda, de Siân Heder, auréolé de quatre récompenses à Sundance et disponible sur Apple TV+.
Dans le premier, l’actrice coréenne Yoo-rim Park, bien qu’entendante, interprète une jeune femme sourde avec justesse, impressionnant tout autant par la douceur de son jeu que par sa maîtrise de la langue des signes. Les Américains Marlee Matlin, Troy Kotsur et Daniel Durant, tous trois sourds de naissance, incarnent de leur côté des pêcheurs touchants et drôles dans Coda (1), remake plutôt réussi du succès français La Famille Bélier. Une petite révolution, si l’on pense que la comédie d’Éric Lartigau avait justement été critiquée à sa sortie à cause de la langue des signes française (LSF) approximative de Karin Viard et François Damiens.
Quatre millions de personnes concernées
Depuis 2010, on recense seulement une dizaine de longs métrages avec un personnage sourd, souvent dans un second rôle : L’amour c’est mieux à deux (2010), de Dominique Farrugia et Arnaud Lemort, Les Gamins (2013), d’Anthony Marciano, Avis de mistral (2014), de Rose Bosch, ou encore 120 Battements par minute (2017), de Robin Campillo… C’est peu, si l’on considère que la population française compte près de trois cent mille personnes atteintes de surdité mais plus de quatre millions de concernés en incluant tous ceux qui souffrent d’un déficit auditif.
Jean-Pierre Améris fait figure d’exception : en 2014, lorsqu’il il réalise Marie Heurtin, l’histoire d’une adolescente sourde, muette et aveugle au XIXe siècle, il en confie le rôle-titre à une inconnue atteinte de surdité, Ariana Rivoire. Les critiques saluent sa prestation mais la jeune femme, aujourd’hui âgée de 26 ans, ne perce pas pour autant… La quasi-inexistence des sourds dans la fiction traduit un manque de diversité criant. Pire : lorsqu’ils apparaissent à l’écran, c’est essentiellement pour se voir définir par leur surdité. «Or on peut aussi interpréter un ami, un collègue de travail, un amant, sans que le script intègre cette particularité, regrette l’acteur Lucas Wild. Le fait de s’exprimer en LSF pourrait n’être qu’un détail.»
Le comédien sourd, âgé de 26 ans, est l’une des révélations de la saison 5 de Skam France, diffusée en 2020 sur France TV Slash. Il y incarne Camille, le meilleur ami de Noée, jouée par l’éblouissante Winona Guyon, sourde elle aussi. Au cours des épisodes, ils vont aider Arthur, un personnage phare de la série, soudainement touché par une perte d’audition. L’occasion de découvrir la richesse de la culture sourde : dans une scène particulièrement réussie de l’épisode 4, Noée réalise un chansigne, chorégraphie consistant à interpréter une chanson avec son corps, sur la Suite pour violoncelle n° 1 de Bach.
Alors que Skam a représenté un vrai tremplin pour certains de ses comédiens entendants, comme Marilyn Lima (Une sirène à Paris) ou Axel Auriant (Slalom), ni Lucas Wild ni Winona Guyon n’ont bénéficié de sa diffusion. La jeune femme a repris ses études après quelques déconvenues. Lors de sa dernière audition pour une grande série, en effet, la production n’avait pas prévu d’interprète et ses interlocuteurs souhaitaient l’obliger à porter son appareil auditif, ignorant qu’il ne lui sert pas à mieux entendre les voix mais les bruits d’ambiance. Bref, l’actrice de 22 ans s’est sentie dépassée : «J’ai dû interagir avec une personne qui lisait un journal et parlait très vite, je n’ai pas pu suivre et j’ai raté le casting.»
Les préjugés qui perdurent dans la société — penser que les sourds sont forcément muets ou qu’ils savent tous lire sur les lèvres — rejaillissent sur les plateaux de tournage. Pour Chantal Liennel, 78 ans et une riche carrière théâtrale, cette méconnaissance crée «de la peur» et dissuade metteurs en scène et producteurs d’embaucher des sourds. Crainte de ...
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