Le Pannonica, scène de jazz à Nantes, et ses tutelles se sont âprement affrontés depuis un an, conduisant à la démission du conseil d’administration et à une décision peu ordinaire.
C’est une situation rarissime dans le secteur culturel à laquelle se retrouve confronté le Pannonica, scène de musiques actuelles (SMAC) orientée « jazz et musiques improvisées », à Nantes. Suite à la démission, le 6 juillet, des membres du conseil d’administration de Nantes Jazz Action, l’association qui gère le lieu, les partenaires publics sont conduits à saisir le Tribunal de grande instance pour que soit désigné un administrateur judiciaire, non pas pour des motifs économiques mais en raison d’une crise de gouvernance.
La SMAC se retrouve en effet aujourd’hui sans présidence, sans instance de gouvernance, ni direction artistique et culturelle.
L’affaire a débuté en juillet 2019. L’association est alors en conflit ouvert avec ses tutelles – DRAC, ville, département et région – suite au recrutement d’un nouveau directeur, Frédéric Roy. Le conseil d’administration estime que ce recrutement résulte d’un « arrangement sans publicité », conclu « en secret » par les financeurs, des membres de l’association et le nouveau directeur, pour que ce dernier « prenne la direction du Pannonica, réorganise les fiches de poste et modifie le projet ainsi que les statuts de l’association ».
Affirmant que les salariés « se sont trouvés en situation de stress et d’incapacité à travailler », les administrateurs décident de mettre fin à la période d’essai du nouveau directeur.
Les tutelles reprochent alors aux dirigeants de l’association une absence de concertation ayant conduit à cette décision. « Frédéric Roy avant été choisi à l’issue d’un jury organisé au terme d’un processus prévu par les dispositions réglementaires habituelles », revendiquent-elles. Les partenaires décident de suspendre leurs subventions, considérant notamment que le Pannonica ne se conforme plus à son cahier des charges et aux exigences du label SMAC. « Une asphyxie organisée », se défendent les membres du conseil d’administration du lieu.
Le bras de fer tourne manifestement au dialogue de sourds. Les dirigeants font le constat d’un « impossible dialogue avec les partenaires publics mettant l’association dans l’impossibilité d’avancer ». Malgré un audit (dont les conclusions peu reluisantes n'ont été transmises que partiellement aux partenaires) et une tentative de médiation conduits par la Fédélima (Fédération des lieux de musiques actuelles), les financeurs actent, de leur côté, que le conseil d’administration n’a pris aucune décision pour « répondre à la demande clarification de la situation » exprimée en janvier 2020.
Conséquence, une grande partie des administrateurs de Nantes Jazz Action décident de démissionner début juillet, « convaincus que la situation ne trouvera aucune issue par le dialogue » et pour marquer leur désaccord avec des méthodes qu’ils jugent « douteuses ». Le hic : quatre administrateurs ne soutiennent pas la démarche. Pire, ils l'apprennent... par communiqué de presse ! « Cette démission s’est faite sans aucune information préalable, ni en AG auprès des adhérents, ni en CA qui s'était tenu en visioconférence la semaine précédente, ni-même auprès des quatre derniers administrateurs que nous étions et que les démissionnaires ont omis d’évoquer dans leur communiqué. » Ces quatre administrateurs (dont Michel Hubert, ancien directeur du CEFEDEM de Nantes, et Brigitte Brault, ex-directrice de la radio FIP Nantes) sont contraints statutairement de démissionner à leur tour. Ils se disent aujourd'hui « dépités et très en colère ».
Dans un communiqué du 20 juillet, ils écrivent : « En moins de 7 mois, ces membres du CA et une partie de l’équipe salariée se sont ainsi coupés des relations de confiance avec tous les acteurs, qu’il s’agisse des musiciens, des partenaires culturels ou des collectivités qui financent ce projet. Ils ont choisi de s’enfermer dans une posture de victimes d’un complot, invoquant sans cesse « des arrangements secrets », « une asphyxie organisée »…, tout en tordant le cou à la réalité des faits à de nombreuse reprises et par voie de presse en priorité. » En tant que simples adhérents de l'association, ils sollicitent aussi la nomination d'un administrateur judiciaire pour trouver une solution à une « décision irresponsable [qui] a mis l’association NAJA dans une situation de blocage et de paralysie totale ».
Pourquoi, en plein été, faire appel au Tribunal de grande instance de Nantes pour que soit désigné un administrateur judiciaire ? Cette mesure est d’usage dans les associations qui se retrouvent dépourvues d’organe de gestion et d’administration. Membres de droit, les partenaires publics soulignent « une situation préoccupante ». Dans un communiqué du 27 juillet, ils indiquent que « l’attribution des subventions publiques dépendra de l'examen de la situation par l’administrateur judiciaire » tout en rappelant qu’ils restent fermement attachés à maintenir un label SMAC « jazz et musiques improvisées » à Nantes.
Antoine Blondel