C’est l’histoire d’un malaise persistant que la crise sanitaire a transformé en franche hostilité. Amateur de théâtre et de littérature, le président Macron semblait vouloir incarner une ambition culturelle. Que les acteurs du secteur jugent incompréhensible.
A quelques mètres du canal Saint-Martin, à Paris, dans un deux-pièces sous les toits qui lui sert d’atelier, Mathieu Sapin regarde Emmanuel Macron, les yeux dans les yeux. Il est 15 h 53, ce lundi 8 juin. L’auteur de BD termine les dernières planches de son livre Comédie française. Il y sera question de politique, de courtisans, de Macron, mais aussi de Louis XIV et de Racine. Depuis qu’il a suivi la campagne de François Hollande, puis raconté le quotidien de l’Elysée dans Le Château, Mathieu Sapin est devenu, presque malgré lui, le dessinateur à l’œil affûté et décalé de la chronique du pouvoir sous la Ve République. Il a aussi croisé Macron à plusieurs reprises. « Les chefs d’Etat ont toujours besoin de draguer les artistes. Ils envient leur liberté, le fait qu’ils soient admirés alors qu’eux-mêmes sont souvent détestés. »
Mathieu Sapin en sait quelque chose. Le 3 mai 2017, à quelques minutes du débat de l’entre-deux-tours de la présidentielle, assis dans un coin de la loge, au milieu du premier cercle d’Emmanuel Macron, il sort son crayon et son carnet de croquis. Il pense dessiner incognito quand le candidat se tourne vers lui : « Ah ! mais vous savez que je suis en train de lire votre BD sur Depardieu. C’est super. » Le numéro de charme le laisse sans voix.
Le 6 mai 2020, il a évidemment regardé, comme beaucoup d’artistes traumatisés par la violence de la crise, l’intervention télévisée lyrique et un peu lunaire d’un Macron en bras de chemise qui demandait, après avoir annoncé une série de mesures de soutien, aux artistes de se « réinventer » et d’« enfourcher le tigre ». Sapin n’a rien compris. Il n’est pas le seul. Le secteur culturel a pris ce numéro comme un camouflet. « Quand on est face à un milieu hostile, on ne se met pas en scène. Sinon on prend le risque d’en sortir perdant », estime Sapin. Il ne sait pas s’il faut parler d’occasion manquée ou de rencontre impossible. Signe en tout cas du malaise, dimanche 14 juin, à l’occasion de son intervention télévisée, Emmanuel Macron n’a prononcé que deux fois le mot « culture », à chaque fois perdu au milieu d’une énumération.
Un casting prometteur
Et pourtant… « Voilà notre homme ! », s’extasiaient les « cultureux », après la campagne de 2017. Un président livresque qui citait Jean Giono ou André Gide. Un président, jeune et forcément connecté, qui a fait ses humanités en tant qu’assistant du philosophe Paul Ricœur. Un président dont...
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