Annoncé jeudi par Roselyne Bachelot, un grand raout de l'ensemble des professionnels du secteur festivalier doit se tenir à Avignon en septembre. «Libé» a mesuré le degré d'enthousiasme des premiers concernés.
On ne peut pas reprocher à Roselyne Bachelot, la ministre «des artistes et des territoires», comme elle se qualifie, de rester planquée dans son bureau de la rue de Valois à Paris. Après avoir inauguré le lancement de La traversée de l’été au Théâtre national de Strasbourg, le 10 juillet, elle a été constamment de sortie. En visite à Avignon jeudi dernier, elle a indiqué en compagnie d’Olivier Py sa volonté d’organiser des «états généraux des festivals» à l’automne 2020 – en toute probabilité pendant la dernière semaine de septembre. La puissance invitante est donc Olivier Py, qui recevra dans la ville, mais pas au Palais des papes a-t-il été précisé. Tandis que la puissance organisatrice est le ministère de la Culture.
Contour flou
Joint par téléphone, Olivier Py s’enthousiasme : «De telles assises restaient à inventer. Car contrairement aux théâtres qui ont des occasions de se réunir au minimum via leurs instances syndicales, les équipes des festivals se rencontrent très peu !» Le contour est pour le moins flou et vaste. Pour l’instant, l’invitation est lancée à tous les festivals, dans l’espoir que les plus petits se manifestent. Selon Olivier Py, non seulement toutes les disciplines sont concernées – théâtre, musique, danse, cinéma – mais tous les types de festivals, du micro rural itinérant au festival international de cinéma, de celui qui s’autofinance, à d’autres, subventionnés.
Au risque de la dilution, vu la diversité des enjeux et des problèmes rencontrés par les uns et les autres ? «C’est un geste fort pour les territoires, et les artistes dans les territoires. Ce qui devrait en ressortir, c’est une certaine considération pour le national en région», s’enflamme Olivier Py, qui comme la ministre de la culture laboure le champ sémantique du régional et du territoire. Le «national en région» s’est donc substitué à la politique de «décentralisation» inventée à la Libération afin que théâtres et festivals essaiment hors de Paris et dont Avignon reste un héritier évident. Le changement de registre lexical n’est pas anodin et pourrait être l’un des motifs de ces ateliers de septembre. Plusieurs interlocuteurs observent en effet une inflexion dans leurs relations aux tutelles : «Aujourd’hui, explique une directrice d’un festival, on est de plus en plus soumis à une réglementation et à un pouvoir local, en charge de nous accorder ou non des subventions, en fonction de notre programmation.» Antoine Thiollier, qui a monté il y a quatre ans La Brèche festival, un mini festival de musique classique à Aix-les-Bains, espère participer à ces états généraux pour notamment questionner le désengagement de l’Etat aux côtés des collectivités locales, qui, du coup, n’ont plus les moyens de financer les «petits».
«Une volonté d’avancer, mais où ?»
Est-il pertinent de lancer un vaste raout quand aucune direction de salles et de festivals ne sait sous quelles conditions ni à quelle échéance, elle va travailler à la rentrée – qui devrait néanmoins selon une source professionnelle faire l’objet d’une nouvelle annonce du ministère de la Culture, le 29 juillet prochain? A quoi peut donc servir ce type de rendez-vous, quand on dirige un festival en difficulté ? «Si la tenue de ces états généraux signifie une prise de conscience, de la part de la ministre de la Culture, donc de l’Etat, que l’heure est grave, alors, on ne peut qu’acquiescer. En ce sens, il faut y voir une volonté d’avancer, mais où ? Quand ? Comment ?» s’interroge Leyla Koob, directrice adjointe de FiestaSète, célébration des musiques du monde qui figure parmi les naufragés de l’été et s’inquiète pour la suite : «Nous sortons d’une année blanche. Les collectivités se sont montrées compréhensives et ont maintenu leurs subventions, mais l’avenir est constellé d’incertitudes, surtout quand, comme nous, il y a une forte dépendance à la situation internationale.»
Codirectrice du festival Mythos à Rennes qui s’autofinance à quatre-vingt pour cent, Emilie Audren n’a rien non plus contre une telle initiative, à condition que soient déjà résolues les questions de fonctionnement les plus basiques. «Beaucoup de festivals commencent à l’automne et on ne sait absolument pas si ça vaut la peine d’ouvrir si la jauge est réduite ne serait-ce que de vingt pour cent. Qui va payer les places vides ?» Vice-présidente d’un collectif qui regroupe une trentaine de festivals, elle remarque qu’en Bretagne, chacun d’entre eux a fait remonter des questions «très précises» à l’Etat, restées pour l’heure sans réponse. D’autres états généraux, mais informels en quelque sorte ? «On aimerait connaître les conditions de la reprise. On comprend bien qu’il n’y ait pas de réponses définitives. Mais on voudrait être tenus informés des pistes, des stratégies, être traités en entrepreneurs responsables. Il faut savoir que la majorité des festivals s’autofinancent… Les premières mesures ont permis de tenir six mois. C’est bien. Mais certains n’ont pas d’autres solutions que de mettre la clef sous la porte.»
«La question de la survie économique est engagée»
Profiter de cet échange inédit pour être mieux pris en considération, c’est aussi en substance l’espoir de Jean-Paul Roland, directeur des Eurockéennes de Belfort, qui y voit «l’occasion d’offrir une meilleure visibilité au secteur et, dans l’idéal, d’aborder d’autres problématiques sous-jacentes que celles spécifiquement liées à la pandémie : le lien entre les organisateurs et les autorités de tutelles – Drac, préfectures, collectivités – manque de limpidité. Or, nous estimons mériter un cadre institutionnel fort qui, pour l’heure n’existe pas. Ainsi, appelons-nous de nos vœux l’établissement de "contrats stratégiques de filière", qui permettraient d’instaurer un dialogue régulier entre l’Etat et les entreprises que, sous une forme associative, nous sommes. Ceux-ci existent dans le domaine du tourisme, ou de l’industrie, pourquoi pas dans le nôtre ?» «En clair, ajoute le patron d’un des rendez-vous musicaux les plus renommés du pays, nous avons besoin d’être écoutés, mais aussi plus que jamais soutenus, et la pertinence de ces états généraux ne saurait se limiter à un simple discours global ou une aimable réflexion philosophique sur la relation aux artistes et au public. Car c’est bien la question de la survie économique qui est engagée, à un moment où nous n’avons déjà pas d’autre option que celle de nous projeter sur 2021».
Lire la suite sur next.liberation.fr