Stoppés nets dans leurs élans par l’annonce du reconfinement, Angelin Preljocaj et Robin Renucci proposent des solutions pour ne pas mettre totalement l’art à l’arrêt. Ainsi, le chorégraphe suggère-t-il la possibilité pour les danseurs de continuer à répéter et à s’entraîner dans des studios “sains”. Quant à l’acteur-réalisateur, il souhaite que soient perpétuées les actions culturelles, plus essentielles que jamais, dans les écoles.
L’un est chorégraphe, directeur du Pavillon Noir, Centre chorégraphique national d’Aix-en-Provence, et vient de réussir à créer sa vision du Lac des cygnes dont il rêvait depuis longtemps. L’autre est metteur en scène et dirige le centre dramatique national des Tréteaux de France, tout en présidant l’ACDN, l’Association des centres dramatiques nationaux. Tous deux ont passé hier mercredi une étrange journée. Le premier, Angelin Preljocaj, est resté focalisé sur la représentation du soir au Grand Théâtre d’Aix-en-Provence, en attente des annonces présidentielles reçues à l’issue du spectacle. Robin Renucci, lui, a recueilli l’avis de ses confrères inquiets. Il a surtout rédigé un appel pour réclamer que les théâtres ne ferment pas leurs portes – aux artistes au moins –, même si, pandémie oblige, celles-ci doivent rester closes au public. Joints au téléphone dans la soirée d’hier, ils évoquent leur manière respective de défendre l’art malgré tout et d’aborder ce deuxième confinement.
Angelin Preljocaj : “Ne pas dilapider notre petit trésor de santé”
« J’ai le sentiment de voyager sur des montagnes russes, de vivre des hauts et des bas. Car j’ai créé ce Lac, dans l’urgence, entre deux confinements. On l’a commencé après la mi-mai, avec deux mois de retard. Nous avons travaillé tambour battant pour une avant-première à Clermont-Ferrand et cette série au Grand Théâtre d’Aix-en-Provence, tout à côté du Pavillon Noir, qui devait durer jusqu’au samedi 31 octobre. Or ce soir, jeudi, sera la dernière avant on ne sait quand…
À l’issue du premier confinement – terrible pour un danseur qui a besoin de mouvement et d’espace –, j’avais retrouvé un ballet affamé de danse. Grâce à cet enthousiasme, on a créé la pièce en un temps record. Avec un vrai plaisir. Comme si l’on avait retrouvé, après en avoir été tellement privé, l’essence et la nécessité de la danse. Dans le monde d’aujourd’hui, gagné par la barbarie, cela ressemble à une bénédiction de pouvoir danser ainsi… Mes danseurs et moi, sommes déçus, bien sûr, d’être interrompus dans notre élan. Pourtant, comme citoyen, je ne pourrai pas accepter de laisser mourir mes pairs parce que les services hospitaliers sont débordés.
Les danseurs sont frustrés parce qu’ils renoncent aussi aux représentations d’une autre création, Winterreise, à La Villette, à Paris, et à des tournées en Russie ou en Autriche. Mais si l’issue du confinement est bien le 1er décembre, alors on sauve les représentations parisiennes du Lac des cygnes au Théâtre national de Chaillot… Un espoir qui soulagerait aussi notre horizon économique, car si ma compagnie s’est développée jusqu’à compter vingt-six danseurs permanents, c’est bien grâce à d’importantes tournées (la billetterie assure 50 % de notre financement, en plus des subventions).
Le meilleur pour le moral du ballet serait de pouvoir s’entraîner tous les jours au centre chorégraphique, de ne pas recommencer à s’isoler comme en mars dernier. Nous y protégeons les danseurs par un protocole drastique. Tous sont testés une fois par semaine, et le studio est sanctuarisé : désinfecté plusieurs fois par jour et réservé en exclusivité à la danse. On a créé un cluster inversé – un endroit sain ! À chacun d’entre nous incombe la responsabilité de veiller à ne pas dilapider notre petit trésor de santé. En attendant, pour tenir ensemble, je n’ai qu’un seul message à offrir à la troupe : nous avons réussi à monter une pièce que l’on aime, alors tenons-nous prêts à la défendre, à la reprendre, à la danser à nouveau. »
Robin Renucci : “Les théâtres n’ont pas été des clusters”
« Nous avions déploré il y a quinze jours, sans pour autant monter au créneau, que le Premier ministre nous loge à la même enseigne que les lieux de divertissement et les boîtes de nuit en n’accordant pas une tolérance horaire qui aurait été justifiée par un billet de théâtre. Sur les trente-huit centres dramatiques de l’Hexagone, sept en Île-de-France et huit dans les métropoles régionales ont donc déjà été pénalisés par le couvre-feu. Alors, cette fois, nous redoutions de ces nouvelles annonces présidentielles qu’elles nous empêchent de continuer notre mission qui tient sur deux jambes : la création d’un côté et l’éducation artistique et culturelle de l’autre. Étant subventionnés, les théâtres publics peuvent continuer à répéter et à transmettre la parole, la poésie et le théâtre, dans les écoles, même s’ils doivent renoncer à diffuser leurs œuvres dans leurs salles. Car – on a tendance à l’oublier – pour pouvoir revenir devant le public, il faut bien s’y préparer en amont !
Les théâtres n’ont pas été des clusters. Les seuls cas repérés parfois l’ont été parmi les acteurs, ces athlètes du verbe qui postillonnent. Mais pas dans le reste des équipes. Alors continuons, en répétant avec des gestes barrières : je viens de mettre en scène Britannicus avec des masques…
L’éducation artistique dans les écoles, collèges et lycées doit être préservée parce que l’expérience esthétique ne doit pas être seulement liée aux heures de loisirs. En plus de la santé physique de tous, la santé mentale des jeunes doit être protégée. Le premier confinement l’a montré : tous les petits cerveaux sont vite prêts à céder aux sirènes des machines à décerveler et autres plateformes qui les attendent en embuscade.
Or, qui mieux que les artistes peuvent aider les enseignants à transmettre le sens critique ? Ces derniers risquent d’être démunis pour aborder, à la rentrée, les questions de laïcité. Des acteurs et des auteurs qui ont tous les outils nécessaires pourraient imaginer avec eux des « cabarets laïcité ». Depuis longtemps, comme membre du Haut conseil à l’éducation artistique et culturelle, j’appelle le ministère de la Culture et celui de l’Éducation Nationale à marcher main dans la main. Et je viens d’apprendre en cette fin de soirée que c’est d’un commun accord qu’ils nous ont entendus : ils soutiennent la continuité du travail dans...
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