1/ Plusieurs figures du spectacle vivant critiquent le manque d’ambition de la municipalité, limitée par les contraintes budgétaires. 2/ Interview de Benoît Payan, maire de Marseille
Les ambitions culturelles du Printemps marseillais tardent à éclore
La soirée était magnifique. Le 11 juillet 2023, dans l’écrin des façades ocre du Vieux-Port, sur une scène flottante amarrée face à l’hôtel de ville, les danseurs du collectif (La) Horde, la compagnie qui dirige le Ballet national de Marseille depuis 2019, donnent Room With a View, spectacle chorégraphique en prise avec les révoltes actuelles. A leurs pieds, touristes étonnés, familles populaires venues chercher un brin de fraîcheur et amateurs de création contemporaine, ravis de l’occasion, leur font un triomphe. Deux semaines seulement après des émeutes urbaines qui, pour la première fois, ont touché Marseille, personne ne s’attendait à voir 20 000 personnes – selon l’estimation, invérifiable, de la municipalité – se presser là.
Surplombant la foule, sur le balcon de la mairie, Benoît Payan exulte. « C’est un défi de proposer de la danse contemporaine à tous les publics et, pourtant, le Vieux-Port est plein », se félicite le maire divers gauche. Room With a View est le clou de l’Eté marseillais, saison culturelle gratuite qu’il a souhaité créer pour animer la période estivale. Et y programmer (La) Horde est un choix personnel que l’élu de 46 ans revendique. Six mois plus tard, c’est encore cette nuit d’été qu’il convoque en exemple pour illustrer la politique culturelle du Printemps marseillais, la coalition de gauche, citoyenne et écologiste, qui dirige la ville depuis juin 2020.
Mais derrière la belle image, ce songe d’une nuit d’été, des interrogations, pour ne pas dire des grincements et des grognements, s’expriment désormais dans le milieu culturel, et singulièrement dans celui du spectacle vivant, après bientôt quatre ans de gestion municipale du Printemps marseillais.
Un gros couac a cristallisé ces interrogations : l’« accident industriel » subi par Montévidéo, lieu pionnier de la création contemporaine à Marseille, fondé en 2000 par l’auteur et metteur en scène Hubert Colas et par le musicien Jean-Marc Montera. Cette plate-forme s’est imposée au fil des années comme un foyer d’émergence d’artistes importants et a rendu visible à Marseille l’évolution interdisciplinaire des arts de la scène, notamment à travers un festival automnal, Actoral. L’association a été expulsée de son quartier général du 6e arrondissement le 7 février par son propriétaire privé, à la suite d’un feuilleton kafkaïen.
L’ensemble des acteurs ayant pris part à cette aventure ne s’est pas privé de faire savoir ce que ce crash révélait, selon eux, des fragilités de l’équipe municipale. A l’image de Jean-Marc Montera, artiste reconnu des musiques contemporaines, jadis partenaire du groupe Sonic Youth : « Il y a une déception du milieu culturel vis-à-vis de la politique de la municipalité, affirme le sexagénaire. Malgré toute la sympathie que l’on peut avoir pour cette équipe, on est obligé de constater une inertie qui, à mon sens, vient du plus haut niveau de la pyramide. La municipalité devrait surfer sur le potentiel artistique de cette ville, s’appuyer sur les forces vives qui ont déjà une ouverture sur le national et l’international. Mais on a l’impression d’être face à des acteurs qui n’ont pas fait le point sur l’existant et n’ont pas de vision à long terme. Un manque de vision qui, pour moi, correspond à un manque de désir. »
Insatisfaction et impatience
D’autres opérateurs culturels expriment leur insatisfaction ou leur « impatience », y compris quand ils ont été adoubés par l’actuelle équipe municipale, à l’image de Robin Renucci. Le directeur du Théâtre national de la Criée, dans son grand bureau donnant sur le Vieux-Port, s’étonne, deux ans après sa nomination, de ne pas avoir de réponses à nombre de ses questions : « J’ai été nommé sur ce désir, exprimé par la municipalité, de déployer “la culture pour toutes et tous” qui correspond à mon propre ADN, explique-t-il. Mais, comme d’autres, je suis dans l’attente d’une plus grande concrétisation de cet énoncé, et dans une forme d’impatience, face au blocage – budgétaire, entre autres – dans lequel je me trouve pour articuler la création et l’action culturelle. »
Cette articulation indispensable entre création et ouverture de l’art sur de nouveaux publics, Robin Renucci n’est pas le seul à la souligner comme un des maillons faibles de...
Benoît Payan, maire de Marseille : « Nous menons une bataille culturelle »
Dans son bureau envahi de livres, où une œuvre de Vasarely côtoie un tableau provençal de François Reynaud, Benoît Payan, 46 ans, maire de Marseille, détaille les axes de sa politique culturelle.
Beaucoup d’acteurs du terrain expriment un manque de visibilité de la politique culturelle de la ville. Quelle est votre vision ?
La culture fait partie de ce que je ressens de manière intime. Je dois avoir un regard qui n’est pas celui d’un prescripteur, mais de quelqu’un qui, avec mon adjoint, fabrique un rapport du politique à la culture. En donnant les moyens aux acteurs de ce que je considère être le principal : la création. Il y a aussi, évidemment, l’aide à la diffusion, aux associations, aux objets culturels comme les musées, les bibliothèques. Ici, on essaie de ne pas réduire les budgets de la culture, contrairement à ce qui se fait presque partout ailleurs. C’est un préalable essentiel, dans une ville qui a tout pour réussir une forme d’exploit culturel, par sa position géographique, son histoire, son corps social, la relation qu’elle entretient avec l’acte de créer.
Comment envisagez-vous cette aide à la création ?
Tout part de la compréhension de ce qu’est un acte artistique, et du fait que tout commence à l’école. Il s’agit de promouvoir le plus possible l’accès à la culture, de dire à tout le monde que ce n’est pas un acte interdit. Cet été, on a fait le choix de mettre une scène flottante sur le Vieux-Port, et (La)Horde a présenté Room With a View devant vingt mille personnes. Ce soir-là, je vois des gens qui ne connaissent pas le Ballet national, Rone ou la danse contemporaine, et qui sont pris par des émotions. On a eu devant nos yeux la symbiose entre l’acte créatif et celui qui le reçoit. Pour moi, c’est une victoire. On fait sortir la danse contemporaine du cercle des amateurs pour la rendre populaire.
Que mettez-vous derrière cet objectif affiché de « la culture pour toutes et tous » ?
Envoyer des élèves au musée, constater leur envie de dessiner, de créer, de s’exprimer, c’est fondamental. On doit donner les moyens de créer à ceux qui n’ont pas accès à la culture, à ce...
Lire la suite sur lemonde.fr