La recherche du Laboratoire d’usages culture(s) art société (LUCAS) est portée par la fédération Arts vivants & départements. Elle étudie l’état de la coopération entre départements et intercommunalités en matière de politique culturelle et se structure autour des problématiques suivantes : Pourquoi les intercommunalités et les départements coopèrent-ils en matière de politique culturelle ? Comment la coopération culturelle se manifeste-t-elle dans les départements et les intercommunalités (territorialisation de l’action culturelle, nouvelle fabrique culturelle territoriale) ? Quels sont les effets de la coopération culturelle sur l’action culturelle et les territoires ?
Pour répondre à ces questionnements, l’équipe du LUCAS a réalisé dix études de cas auprès de territoires ayant manifesté leur intérêt pour le projet – Ardèche, Calvados, Finistère, Loire-Atlantique, Haute-Loire, Mayenne, Meuse, Nièvre, Haut-Rhin, Val d’Oise.
Soixante-dix-huit entretiens qualitatifs ont été réalisés et une enquête par questionnaire a été diffusée à l’ensemble des départements et intercommunalités avec l’appui de l’Assemblée des départements de France et de l’Assemblée des communautés de France (34 questionnaires ont été complétés par les départements et 69 par les intercommunalités.
La coopération culturelle entre départements et intercommunalités : état des lieux
Près de 90 % des départements enquêtés développent leurs politiques culturelles en coopération avec les intercommunalités. Pour comprendre cet engagement dans le processus coopératif, plusieurs facteurs ont été mis en exergue par les territoires :
La volonté politique et le souhait d’insuffler une nouvelle approche du développement culturel territorial, tout en modernisant l’action publique. La culture étant perçue comme un axe stratégique pour développer la transversalité entre les services, les territoires et les projets.
Les réformes territoriales. Le regroupement des EPCI (Établissements publics de coopération intercommunale), intervenu dans le sillage de la loi NOTRe du 7 août 2015, a conduit les départements à repenser leurs modes d’intervention culturelle, d’accompagnement et de conventionnement auprès des intercommunalités. De leur côté, les intercommunalités ont dû recomposer les dynamiques culturelles héritées des anciennes intercommunalités et initier des pratiques de coopération pour coordonner leur action et mutualiser leurs moyens autour de projets communs.
La stagnation et la réduction de certains financements publics de la culture ont incité des collectivités à contenir leurs dépenses et à s’engager dans des démarches de mutualisation des emplois, des moyens et des compétences.
L’analyse des coopérations culturelles départementales et intercommunales nous donne à voir un certain nombre de transformations dans la fabrique culturelle et la territorialisation de l’action culturelle. On observe la création d’effectifs, de projets, de dispositifs, de budgets ou encore de méthodes spécifiquement dédiées aux coopérations culturelles interterritoriales et intersectorielles. Au sein des départements, la coopération intersectorielle s’incarne principalement dans la lecture publique, l’Éducation artistique et culturelle (EAC), le spectacle vivant et le patrimoine. Au niveau des intercommunalités, les secteurs prioritairement investis par les coopérations intersectorielles concernent les politiques jeunesse et sports, les politiques éducatives, les politiques touristiques et les politiques d’action sociale.
Les agents culturels transforment leurs «logiciels métiers» et leurs expertises sectorielles. Ils s’acculturent au «mode projet» et aux outils de mise en réseau, de pilotage et de facilitation. Les départements se positionnent comme des «lieux ressources», des «développeurs», des «facilitateurs» et des «grands frères bienveillants», pendant que les intercommunalités gagnent en autonomie et en expertise culturelle. Des tiers acteurs se révèlent, grâce à des missions d’accompagnement et de coordination assurées par des agences culturelles, des Bibliothèques départementales (Nièvre, Finistère), des Tiers Lieux culturels, des établissements publics de coopération culturelle ou des SCIC culturelles. Des schémas départementaux, des plans locaux, des conventions partenariales, des contrats territoriaux et des projets culturels de territoire affirment un processus de décloisonnement entre les territoires, entre les catégories de l’action culturelle et les secteurs de la culture, du social, de l’éducation, et de façon plus relative, de l’économie et de l’environnement.
Les limites de la coopération culturelle
Les transformations sont multiples, elles sont organisationnelles, sectorielles, politiques ou encore culturelles… Et pourtant, l’analyse plus fine des mutations nous laisse une étrange impression d’inachevé. Les acteurs culturels, les artistes et la société civile restent à la marge et peinent à accéder au code source de la fabrique culturelle. Les droits culturels restent confinés dans le hors-sol, et à une critique esthétique, littéraire et conceptuelle. Ils éprouvent toutes les difficultés à atterrir et à s’incarner dans la culture du quotidien et la fabrique des coopérations culturelles. La portée des outils d’intelligence collective se limite à la formation des quelques agents de collectivités. Les kits méthodologiques de facilitation ne parviennent à faire avec et à inventer une nouvelle relation au public. Les individus éloignés des pratiques artistiques et culturelles restent à la périphérie et leur capacité à questionner, enrichir et réorienter les politiques culturelles n’entrent pas dans le giron des dispositifs de coopération.
La coopération culturelle s’invente d’abord par le haut, par les politiques culturelles, par les dispositifs contractuels, par l’État et les collectivités publiques, avant de se tourner vers les territoires, les usages, les expériences, les besoins et les aspirations d’acteurs non institutionnels et non culturels. Elle éprouve des difficultés à s’extraire d’une culture de l’offre et d’un modèle de gouvernance vertical et descendant. Elle peine à se mouvoir dans un entre deux et à créer des porosités entre l’upperground des institutions culturelles labellisées et immergées dans les préceptes de la démocratisation culturelle, et l’underground des acteurs culturels émergents et animés par le référentiel des droits culturels. Le risque est alors d’accroître les coûts de la coopération et la distance entre deux mondes du champ culturel.
À l’exception de quelques échappées dans les sphères sociales ou éducatives, les actions de coopération culturelle se déploient essentiellement dans le champ culturel. Or l’enjeu de la coopération dépasse largement la sphère des politiques culturelles pour investir un ensemble de champs disciplinaires (développement territorial, économie, architecture, urbanisme, éducation, politiques publiques, etc.). C’est donc moins dans l’intra ou l’intersectoriel que dans le transsectoriel et l’exploration des interstices et périphéries d’autres sphères disciplinaires, d’autres mondes sociaux et d’autres réalités culturelles, que résident les nouveaux territoires d’exploration de la coopération culturelle.
La coopération culturelle s’invente dans la sphère publique, au sein des institutions étatiques et des collectivités territoriales. Pour l’heure, l’approche de l’action culturelle reste «diffusioniste», vis-à-vis de territoires et d’une société civile relativement passifs. Or, il n’est pas certain que ce modèle de réflexion et de décision vertical et descendant soit le plus à même de générer de véritables coopérations. D’autant que lorsque l’on étudie de plus près les mécanismes de la coopération culturelle, on constate que l’on est davantage confronté à des logiques de mutualisation et de collaboration, qu’à de véritables dynamiques coopératives.
Souvent, le rapprochement entre les acteurs culturels n’est pas volontaire et se réduit à des formes de cohabitation dans des espaces et des dispositifs limités dans le temps. Par ailleurs, les rouages de la coopération culturelle, n’invitent pratiquement jamais les acteurs à s’interroger sur les finalités et les valeurs fondamentales de la coopération, afin de faire «œuvre commune» et devenir «coauteurs» des projets.
Enfin, les démarches de coopération culturelle sont principalement portées par des logiques internes aux politiques culturelles, autour d’enjeux de politiques publiques ou d’objectifs culturels. Elles ne portent pas dans leur ADN des objectifs en lien avec les transitions, qu’il s’agisse de transitions écologiques, sociétales, économiques ou encore numériques. Les grands enjeux de société du XXIe liés aux communs, à l’Anthropocène ou à la démocratie coopérative, laissent la coopération culturelle de marbre.
Bâtir une culture de la coopération
Les limites des coopérations culturelles nous incitent à ouvrir une réflexion autour de la construction d’une culture de la coopération. Loin de se concevoir comme une sphère autonome, la culture de la coopération s’immerge au cœur des transformations profondes qui travaillent nos sociétés et nos territoires. Elle multiplie les incursions dans des sphères sociales variées, et se loge dans les espaces transitionnels, pour penser, gouverner, esthétiser, construire et déconstruire les transitions.
Elle se conçoit comme une culture «vivante» et opère des échanges permanents avec d’autres cultures, d’autres savoirs, valeurs et savoir-faire. Elle fait de la culture la pierre angulaire de l’édification d’une société coopérative. Au-delà de ces grandes caractéristiques, c’est la mise en œuvre et la mise en pratique de la culture de la coopération qui s’avère déterminante. Ce sera l’objet de notre second article, qui aura vocation à rendre...
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