Séchées pour la première fois depuis leur création par leur ministre, depuis peu Rachida Dati, les Biennales internationales du spectacle ont fêté leurs 20 ans, dans un contexte morose, entre multiplication des pressions de la droite dure et crise systémique préoccupante.
Tout était pourtant prêt pour l’accueillir. Les banderoles «Dati Danielle» des militants syndicaux, les détournements de la marque d’électroménager «Dati, moins 50 % sur le spectacle», les quelque 15 000 participants regroupés pour cette nouvelle édition des Biennales internationales du spectacle (BIS) à Nantes. Mais la ministre de la Culture a finalement décliné sa venue mercredi 17 janvier au «rendez-vous incontournable dédié à la filière du spectacle vivant», qu’aucun pensionnaire de la rue de Valois n’avait séché depuis sa création il y a vingt ans, et placé cette année sous le signe du «feel good», indique le fondateur Nicolas Marc dans son édito. Tant pis, la déconvenue ne viendra pas à bout de l’«effervescence», l’ «optimisme», l’«enthousiasme», comme annoncé sur la plaquette. Et d’ailleurs, la CGT spectacle le prouve en acte et en fanfare dans les allées : «On est lààààà - on est lààà - Rachida non n’est pas là, nous, on est làààà !!!»
Nous aussi on est là. Les yeux perdus dans ce paysage générique de ZAC avec palais des Congrès, tram, food-truck, auvent en tissu qui ploie tragiquement sous un vent plus fort que lui comme un présage, travées d’exposants, tables rondes et forums où valsent les centaines de sigles Spedidam, Scam et des mots comme «balkanisation de la diffusion», «synergie» ou «effet ciseaux». Au buffet, un chargé de projet nous pousse de l’épaule pour attraper fébrilement le dernier roll jambon-truffe de synthèse. Les BIS sont un gigantesque salon, preuve que le spectacle vivant n’est pas seulement ce repaire de gauchiasses promptes à pisser sur scène dans la bouche de leurs partenaires sous les yeux effarés de vos enfants, mais bien un commerce «essentiel» comme les autres, avec des propositions. Et comme dans n’importe quel secteur, chacun y va de son clin d’œil au nouveau mot-clé présidentiel : «réarmement». Sur les réseaux sociaux défilent les petits encarts «désarmement culturel». Mais salle 323 du palais des Congrès, on plaisante sur le fait de «réarmer le budget de la culture». Rires.
«Pas mal de gens plutôt curieux d’elle»
Pourtant quoi de plus sérieux ? Un directeur de scène nationale : «Il n’y a pas 36 000 alternatives. Soit tu “réarmes” le budget, soit tu vires des salariés dans les établissements culturels, soit tu fermes des maisons en choisissant de mettre l’argent ailleurs. Sinon t’éviteras pas l’effet ciseaux.» Mais c’est quoi l’effet ciseaux ? «C’est ce point limite que tu atteins à la direction d’un établissement quand, une fois que tu as payé ta facture de gaz, tes billets de train pour la tournée décarbonée de ton artiste préféré, et tes nombreux salariés chargés de l’accueil, la com, les actions avec scolaires, asso, hôpitaux, il ne te reste plus rien pour faire ce pour quoi le bâtiment a été initialement créé : produire et diffuser des œuvres.» Récemment, Stéphane Braunschweig a invoqué cette raison pour justifier son départ de la direction du théâtre de l’Odéon à Paris : plus les moyens de faire son métier, assure-t-il. 9 millions ont été mis sur la table pour le grand plan ministériel «Mieux produire, mieux diffuser» présenté début janvier. Le secteur chiffrait les besoins à 100.
Rachida Dati, ferrailleuse, se battra-t-elle pour les obtenir ? «Attention aux procès d’intention», rétorquent plusieurs interlocuteurs. Ici, le secteur a appris à se méfier des ministres plus sympathiques à leurs yeux qui «n’ont pas fait des merveilles, à commencer par Mme Nyssen», rappelle une directrice de théâtre et metteure en scène. De là à sabrer le champagne pour l’arrivée de Mme Dati, restons polis… Mais «étrangement ou non, je croise pas mal de gens plutôt curieux d’elle», souffle-t-on. Pas celui-ci : «Curieux ? Sérieusement ? Eh ben, ça en dit long sur l’état du secteur…» Sur le plateau de 28 minutes d’Arte, la metteure en scène et ancienne directrice du théâtre de la Commune à Aubervilliers (Seine-Saint-Denis) Marie-José Malis, ex-communiste tendance anarchiste, surprenait en condamnant le «mépris de classe» qui lui semble entourer l’arrivée la nouvelle ministre. Devant le stand des Tontons tourneurs, un professionnel s’étrangle : «Mais enfin le problème n’est pas qu’elle vienne de milieux populaires, le problème c’est qu’elle est de droite !»
«Bataille culturelle contre l’extrême droite»
Il est beaucoup question de la droite dans les différentes tables rondes des BIS. De la montée de l’extrême droite et des nouvelles formes de censures, du spectre de l’autocensure des artistes et des directeurs de salles depuis la cabale de...
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