Premiers grands rendez-vous cinéphiles depuis le début de l’épidémie, Toronto et Venise alternent projections physiques et dispositifs virtuels, tentant de s’accommoder du casse-tête sanitaire.
Le rideau s’apprête à se lever ce mercredi soir sur un festival de Venise 2020 où le lion (d’or) risque de ne pas reconnaître ses petits. C’est le premier festival de «catégorie A» - club très fermé des festivals compétitifs de premier plan où figurent aussi Cannes, Berlin ou Locarno - à tenir une édition physique depuis le début de la pandémie de Covid-19 et tous les chamboulements qu’elle a provoqués dans l’écosystème du cinéma. Les enjeux sont de taille : clamer, rabâcher que, non, le cinéma n’est pas mort ; assurer la visibilité des auteurs ; être en veille permanente sur la situation sanitaire. En première ligne de front, la température : des scanners thermiques à l’entrée du festival veilleront à ce que tout individu à la température supérieure à 37,5° C soit persona non grata dans les salles.
C’est d’ailleurs un fond d’air très frais pour tout un paysage festivalier d’habitude en effervescence, où tout se joue sur l’exclusivité pour exister. Venise et Toronto, devenus étapes quasi obligées de la course aux oscars, ont dû réduire la voilure sur leur programme, sur la présence américaine et donc sur le glamour parcourant le tapis rouge. Nomadland de Chloé Zhao, avec Frances McDormand sillonnant en van une Amérique en crise, sera le rare candidat américain sur la lagune. Il sera projeté le même jour (le 11 septembre) au festival de Toronto, habituellement buffet cinématographique où les 333 titres programmés l’an dernier font place à un menu très resserré de 50 longs métrages. Une nécessité généralisée là où garantir la distanciation entre festivaliers accrédités, et masqués en toutes circonstances, implique de réduire la jauge des projections, voire le nombre de salles, et donc de films invités.
Barnum
L’heure est à la conciliation : en juillet, les festivals de Venise, Toronto, Telluride (annulé depuis) et New York s’étaient fendus d’un communiqué commun, déclarant qu’ils avaient «laissé de côté la compétition avec leurs collègues des autres festivals d’automne au profit d’une collaboration». Concrètement, cela induit de promouvoir ensemble des films, comme le documentaire de Frederick Wiseman City Hall, montré aussi à Toronto (4 h 30 annoncées passionnantes sur la municipalité de Boston). Une unité utile à tous ces festivals qui sont autant de jalons pour le barnum des oscars. Une pique sans doute aussi faite au Festival de Cannes qui, désireux de marquer son pré carré sans avoir eu lieu, a adoubé - et non pas sélectionné - les films pressentis pour son édition d’un label «Cannes 2020». Si la Croisette leur laisse la possibilité de circuler ensuite en festivals, c’est à la condition qu’ils revendiquent l’étiquette comme une AOC, que la programmation de la Mostra s’est ingéniée à contourner.
Cannes a aussi réussi à faire patienter jusqu’à 2021 et un éventuel retour à meilleure fortune bon nombre de potentiels candidats imposants, comme le Benedetta de Paul Verhoeven ou Annette de Leos Carax, que l’on devrait retrouver en mai prochain sur la Croisette plutôt que ces jours-ci sur le Lido - où ils auraient concouru pour un palmarès que composera dans dix jours le jury présidé par Cate Blanchett. De fait, on ne retrouvera aucun film sous maillot cannois à Venise et une présence française minime, avec Amants de Nicole Garcia en compétition ou Mandibules de Quentin Dupieux présenté en séance spéciale.
Un signe que les vieux réflexes ont la vie dure, même si la détente est encore officiellement de mise. Le jour de l’inauguration de Venise, les autres directeurs des festivals majeurs du circuit (Cannes, Berlin, Karlovy Vary, Locarno, Saint-Sébastien, Londres et Rotterdam) monteront ainsi sur scène lire un texte commun sur la nécessité des festivals et «la valeur fondamentale du cinéma». L’inquiétude est vive : les événements dématérialisés, pis-aller provisoires pendant le confinement pour sauver la face et tenter de réinventer le modèle, peuvent-ils devenir permanents face aux fluctuations de la pandémie ?
Hybride
Un premier horizon a été fixé par la Berlinale pour son échéance 2021, qui promet une édition hybride avec des projections physiques, ainsi qu’un marché pour les professionnels (l’European Film Market) et avec un volet virtuel qui va considérablement réduire la frénésie habituelle de rendez-vous et cafés trop vite enfilés.
Toronto, pour son édition 2020, a aussi opté pour...
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