Symboles de l’Etat, au même titre qu’un commissariat ou une mairie, des médiathèques, des théâtres ou des cinémas ont été dégradés lors des violences qui ont suivi la mort de Nahel. M., mardi 27 juin.
Vendredi 30 juin, dans la nuit, la médiathèque Jean-Macé de Metz (Moselle) s’embrase et se consume en deux heures. Près de 110 000 documents partent en fumée. A la même date, c’est la porte d’entrée et le hall de l’Opéra national du Rhin, à Strasbourg, qui subissent des dégradations conduisant à l’annulation du spectacle prévu le soir même. La veille, dans cette préfecture du Bas-Rhin, une caravane culturelle itinérante a été détruite. Le même soir, à Marseille, le théâtre Alcazar, transformé en bibliothèque municipale depuis 2004, fait l’objet d’une tentative d’incendie.
A Cergy-Pontoise (Val-d’Oise), des émeutiers ont tenté d’incendier le cinéma UGC dans la nuit du 28 juin. Des incidents similaires ont été signalés dans les médiathèques de Rillieux-la-Pape et de Vaulx-en-Velin, deux communes de la métropole lyonnaise, les nuits du 28 et du 29 juin. Lors du soulèvement de colère et de violence qui s’est déclenché au lendemain de la mort de Nahel M., tué mardi 27 juin, par un policier à Nanterre (Hauts-de-Seine), les dégradations volontaires ont ainsi touché de nombreux équipements culturels.
Ces détériorations, partielles ou totales, ont jeté certains élus dans la stupeur et l’incompréhension. Patrick Thil (Les Républicains), adjoint au maire à la culture de Metz, a réagi le 1er juillet à l’incendie de la médiathèque au micro de RTL : « C’est absolument incompréhensible. La médiathèque est un équipement de quartier, un lieu de rassemblement fréquenté par les habitants. Je ne comprends pas la raison profonde. Brûler des livres peut éventuellement rappeler les autodafés, là, ça vise tous les livres, tous les disques. »
L’Association des bibliothécaires de France (ABF) dénombre, à ce jour, une quarantaine de bibliothèques et médiathèques dégradées. Les équipements culturels recensés par la presse quotidienne régionale sont pour la plupart des établissements publics. Parmi eux, une majorité de médiathèques subventionnées par les municipalités. Les exactions ont également touché des établissements privés, comme la Librairie occitane à Bagnols-sur-Cèze (Gard). Les faits ont lieu dans des espaces urbains très divers : des métropoles, des villes moyennes ou des petites communes.
Un acte autodestructeur
Ces lieux culturels, qui ont été dégradés, sont pourtant essentiels à la diffusion de la culture dans les quartiers. Comme la caravane itinérante culturelle détruite à Strasbourg. Déambulant dans les quartiers populaires de la ville alsacienne, elle était utilisée par une association locale, l’Espace Jalmik, pour enseigner la musique aux jeunes. Des violons, des contrebasses et des balafons étaient mis à leur disposition. Cette offre culturelle mobile s’installait chaque semaine dans un quartier, le temps que les jeunes s’initient à des instruments et découvrent le travail de grands compositeurs de musique classique. « Un projet qui faisait du bien à ces quartiers et à la grande majorité des jeunes », souligne Thierry Zo’Okomo Ndinda, le directeur de l’association, qui espère trouver une solution pour poursuivre l’initiative.
Plusieurs élus estiment que ces dégradations relèvent d’un acte autodestructeur. Pour Patrick Thil, « cela revient à détruire leurs propres équipements. » Thierry Zo’Okomo Ndinda suppose, quant à lui, que les gamins qui les commettent ne sont pas originaires des quartiers qu’ils détériorent « car ils sont attachés aux lieux où ils vivent ».
Si les incendies et les attaques au mortier n’ont pas visé spécifiquement ces établissements culturels – d’autres infrastructures publiques étaient, elles, ciblées – ces lieux sont aussi le symbole de l’Etat au même titre qu’un commissariat ou une mairie.
Denis Merklen, sociologue à l’université Sorbonne-Nouvelle a travaillé sur les incendies de bibliothèques au moment des émeutes de 2005. Il souligne la singularité des quartiers populaires français, où, contrairement à d’autres pays européens, la puissance publique est encore présente et visible. « Dans cette configuration, le dysfonctionnement des institutions devient l’origine de tous les problèmes. Il y a des équivalences dans les interactions entre les habitants et les services publics : du policier au bibliothécaire, la population interagit à chaque fois avec des représentants de l’autorité publique », analyse-t-il.
Culture déconnectée
L’autre facteur qui explique, selon le sociologue, le fait que les jeunes n’aient pas épargné ces lieux tiendrait au fait qu’ils seraient...
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