Seuls 25 % des films réalisés en 2020 en France l’ont été par des femmes, selon le Centre national du cinéma et de l’image animée, qui publie le 16 novembre son bilan des mesures instaurées pour plus d’égalité sur les plateaux.
Les premiers frémissements d’un changement se sont fait sentir au printemps. Le 4 mai, aux Etats-Unis, la réalisatrice Chloé Zhao remporte l’Oscar de la meilleure réalisatrice, pour Nomadland. Deux mois plus tard, Julia Ducournau devient la deuxième femme à décrocher la Palme d’or à Cannes, avec Titane – en 1993, Jane Campion l’avait obtenue ex aequo avec Chen Kaige. Début septembre, la Française Audrey Diwan reçoit le Lion d’or à la Mostra de Venise, pour son film L’Evénement, adaptation du roman d’Annie Ernaux sur l’avortement.
Quatre ans après #metoo, le cinéma aurait-il amorcé sa mue vers davantage de reconnaissance des femmes ? Alors que le Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC) devait publier un bilan, le 16 novembre, des mesures prises en faveur de la parité depuis 2019, et dont Le Monde a eu connaissance, les acteurs du secteur évoquent un changement certain de mentalité, autant que des résistances farouches.
Les chiffres en attestent. Selon le bilan 2020 du CNC publié en juin, seuls 25 % des 190 films réalisés ou coréalisés en 2020, l’étaient par des femmes. En 2017, avant #metoo, ce chiffre s’élevait à 23 %. «En sociologie, tout groupe en dessous des 30 % est considéré comme invisibilisé», rappelle Sandrine Brauer, productrice de cinéma indépendante et cofondatrice du Collectif 50/50, dont l’un des leitmotivs est de «compter les femmes pour qu’elles comptent». Seule Delphine Ernotte, la présidente de France Télévisions, a suivi les recommandations du collectif, en instaurant un quota minimal de 30 % d’œuvres audiovisuelles réalisées par des femmes au sein du service public.
«Nous n’avons jamais autant parlé d’invisibilisation des femmes, mais les chiffres montrent que la situation stagne quand aucune mesure n’est prise», poursuit la productrice, dont le collectif a notamment lancé «un annuaire en faveur de la diversité et de la parité», qui regroupe plus de 700 professionnels.
«Des mesures concrètes»
Une montée des marches de 82 femmes au Festival de Cannes en 2018, des prix prestigieux pour récompenser des réalisatrices… Si le cinéma sait créer des symboles, il peine à questionner en profondeur les différents maillons de sa propre chaîne de fabrication : producteurs, distributeurs, exploitants, réalisateurs. «On a une industrie qui remet des prix pour se départir de toute critique et faire croire que les choses vont mieux, alors que ce n’est pas le cas», analyse Jennifer Padjemi, autrice de Féminismes & pop culture (Stock, 240 pages, 20,50 euros). «Une révolution ne peut pas se faire en quatre ans, surtout dans un pays qui a autant de retard», souligne Iris Brey, essayiste et spécialiste du cinéma.
«Comment a-t-on pu accepter ça ?», s’est demandé la réalisatrice et actrice Agnès Jaoui en découvrant, en 2019, les données du Collectif 50/50, dont elle est membre. «Le résultat, c’est qu’on est moins bien payées, qu’on fait moins de films, avec des budgets restreints», martèle Sandrine Brauer, selon qui ce recensement a permis de «proposer des mesures concrètes pour plus de parité».
En 2019, sous l’impulsion du Collectif 50/50 et du ministère de la culture, le CNC a instauré un «bonus parité» : un supplément de 15 % du fonds de soutien pour les films qui respectent la parité parmi les chefs de poste lors des tournages. L’année de son lancement, 22 % des films d’initiative française y étaient éligibles. En 2021, selon le CNC, 32 % des films ont perçu l’aide, dont Titane et L’Evénement.
Dans un univers où l’on considère que la liberté artistique ne doit faire l’objet d’aucune entrave, la mesure avait de quoi faire grincer des dents. Sa dimension incitative plutôt que coercitive a permis de la faire accepter, malgré quelques réfractaires. «Il y a une volonté de certains d’être plus paritaire, mais il faut pousser un peu chez d’autres», observe Mélissa Petitjean, mixeuse reconnue, qui rappelle que le milieu des techniciens du cinéma est majoritairement masculin, à l’exception des scripts, des costumières et des maquilleuses.
Accueil mitigé
«J’entends dire, de la part de certaines productions, qu’il n’y en a maintenant que pour les femmes», constate la réalisatrice Danielle Arbid, dont le film Passion simple, adapté du roman du même nom d’Annie Ernaux, figurait dans la Sélection officielle du Festival de Cannes 2020. «Certains de mes amis blancs de 50 ans trouvent cette mesure un peu injuste, ils craignent que ce soit dur pour eux», relève également Agnès Jaoui. La réalisatrice reconnaît elle-même s’être aperçue sur le tard que ses équipes de tournage «étaient très masculines».
Depuis l’instauration de cette mesure, Maxime Delauney, producteur chez Nolita, assure questionner davantage le choix des réalisateurs d’employer un technicien plutôt qu’une technicienne. «Cela banalise la part de femmes parmi les chefs de poste et permet de créer des environnements de tournage plus sûrs», estime Sandrine Brauer, dont le collectif met à disposition des professionnels un livre blanc contre le harcèlement et les violences sexuelles et organise, en partenariat avec l’Assurance formation des activités du spectacle (Afdas), des formations sur le sujet auprès des équipes de tournage. Une mesure complémentaire de celle prise par le CNC en octobre 2020.
Depuis un an, les aides à la création versées sont conditionnées au suivi d’une formation dispensée par l’Association européenne contre les violences faites aux femmes au travail. Cette formation, à destination des responsables juridiques des films, veut sensibiliser aux risques de violences sexuelles sur les tournages. Selon le dernier pointage du CNC, plus de 2 000 professionnels ont suivi cette formation ; ils devraient être 9 000 à l’horizon 2023.
La fin de l’impunité
Chez les professionnels du secteur, l’accueil de ce dispositif a été mitigé. «On ne va pas se mentir, les jeunes producteurs sont généralement acquis à la cause, quand les quinquagénaires suivent la formation en traînant les pieds», confie un membre du CNC. Maxime Delauney, lui, pensait être au fait de ces questions. «Cela m’a permis de prendre conscience de toutes les situations qui peuvent être problématiques sur un tournage», assure le producteur.
A cette formation, qui conditionne les subventions, s’ajoute la mise en place d’une clause spécifique avec deux assureurs, qui s’engagent à prendre le relais financièrement lorsqu’un tournage doit s’arrêter pour cause d’agression sexuelle avérée. Pour l’heure, aucun fait de harcèlement n’a été déclaré, selon le CNC.
Si une forme d’impunité sur les tournages semble avoir pris fin, plusieurs fois par semaine, le compte Instagram Paye ton tournage recense des propos misogynes entendus sur les plateaux. «Les comportements de gros lourds ne sont plus légion», affirme Blandine Lenoir, réalisatrice d’Aurore, un film avec Agnès Jaoui. Mélissa Petitjean, première femme à avoir reçu le César du meilleur son, en 2014, a observé l’apparition de remarques aussi désagréables que salutaires : «Je ne peux pas te mettre la main sur l’épaule, tu vas porter plainte.» «Ces petites phrases soulignent une prise de conscience des comportements problématiques», tente-t-elle de s’enthousiasmer.
«Avant, quand je parlais féminisme, tout le monde bâillait. Maintenant, les jeunes ont changé de carte mentale » – Agnès Jaoui, réalisatrice
Si #metoo a eu un impact sur la façon dont les œuvres sont produites, qu’en est-il du contenu des films eux-mêmes ? «Je dois bien admettre que, si on n’y prêtait pas attention, ce serait la prédominance du mâle alpha», tempère David Grumbach, distributeur de Bac Films. «Je programme un film quand je crois en son potentiel commercial, mais pas parce qu’il est féministe, car il peut être mauvais», insiste David Baudry, directeur de la programmation du groupe CGR Cinémas, l’un des plus gros exploitants de salles en France, qui a signé la charte du Collectif 50/50 pour plus d’inclusion et de diversité dans le cinéma.
Les choses ont pourtant commencé à changer. A l’époque de son film féministe Zouzou, en 2014, «personne n’était venu à la projection presse, la société n’était pas prête», commente Blandine Lenoir, qui termine un film sur le Mouvement pour la liberté de l’avortement et de la contraception. «Désormais, j’ai le sentiment qu’une place m’est laissée», résume la réalisatrice, qui dit être passée du statut de «la féministe qui emmerde tout le monde à la ...
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