Manifestations, spectacles improvisés, dépôt d’un référé-liberté devant le Conseil d’Etat : le secteur fait pression sur le gouvernement pour une reprise des activités culturelles.
« De l’air ! De l’air ! De l’air pour la culture ! » Répondant à l’appel de différentes organisations dont la CGT-Spectacle, plusieurs milliers de personnes ont manifesté, mardi 15 décembre, à Paris et dans une vingtaine de villes de France, pour réclamer la réouverture des salles de cinéma et de spectacle, des théâtres, des musées et des conservatoires. Initialement prévue le 15 décembre, la reprise des activités culturelles a été reportée sine die par le gouvernement, qui estime que le Covid-19 circule encore trop activement sur le territoire. Pour le moment, une simple clause de « revoyure » a été fixée au 7 janvier 2021.
S’il s’était résolu à baisser le rideau lors du reconfinement, le monde de la culture dénonce aujourd’hui un deux poids deux mesures et s’estime « sacrifié » par le gouvernement. « Il y a une exception culturelle inversée, avance Nicolas Dubourg, directeur du Théâtre la Vignette, à Montpellier, et président du Syndicat national des entreprises artistiques et culturelles (Syndeac). Les magasins sont ouverts, les églises aussi, les transports publics fonctionnent… Pourquoi devrions-nous rester fermés ? On ne demande pas à être traités différemment mais de manière équitable. » « Le gouvernement a choisi l’argent et la religion contre la pensée, c’est un choix politique ! », accuse Samuel Churin, animateur de la Coordination des intermittents.
Désireux de se faire entendre, les artistes ont décidé de multiplier les actions. Mardi soir, les comédiens Jacques Weber, François Morel et Audrey Bonnet ont organisé un rassemblement devant le théâtre parisien de l’Atelier. A Rennes, le magicien et metteur en scène Etienne Saglio a investi le Théâtre du Vieux-Saint-Etienne, installé dans une ancienne église. Avec l’accord de la mairie, il y a présenté une performance de quinze minutes pour « protester contre la non-réouverture des lieux de culture ». « Je bouillonne depuis trois semaines, commente-t-il. Les offices religieux ont eu l’autorisation d’avoir lieu et pas les spectacles. Quelle différence fait un Etat laïc entre un rassemblement pour une messe et pour un spectacle ? Il y a un vrai problème d’équité. »
Donner des représentations partout où c’est possible
D’autres proposent de donner des représentations partout où ce sera possible. « On peut déjà aller dans les écoles, avance le comédien Charles Berling, directeur de la scène nationale toulonnaise Chateauvallon-Liberté, présent à la manifestation parisienne. C’est ce que va faire Emmanuel Meirieu avec son spectacle Les Naufragés. Le titre résonne bien, en ce moment… Dès jeudi, il ira jouer au lycée Dumont-d’Urville, à Toulon. J’ai aussi appelé l’évêque de Toulon, Mgr Rey, je lui ai demandé s’il n’avait pas une église à nous “prêter”. Il m’a tout de suite dit oui. Le violoniste Ami Flammer va donc jouer à l’église Saint-Jean-Bosco de Toulon. Les gens du culte nous ont compris. Je les remercie pour leur solidarité. »
« On ne gagnera pas avec des stratégies défensives, argumente Samuel Churin. On pourrait penser aussi à des actions de désobéissance civile, par exemple en investissant les églises, en faisant des spectacles dans les centres commerciaux, les galeries marchandes. » Dès mardi soir, et sans qu’il n’y ait eu de concertation, le violoniste Renaud Capuçon a donné un mini-récital dans l’hypermarché Carrefour de Chambéry (Savoie), au milieu des clients venus faire leurs courses. Une prestation organisée avec l’assentiment d’Alexandre Bompard, PDG du distributeur et proche de l’artiste.
La bataille se mène aussi sur le front judiciaire. Plusieurs organisations professionnelles ont décidé de déposer cette semaine un référé-liberté devant le Conseil d’Etat, comme l’avaient fait l’Eglise ou les stations de sport d’hiver. Objectif : obtenir du juge administratif la réouverture des lieux de culture. « Notre objectif est de le déposer mercredi pour avoir une réponse au plus tard en fin de semaine », explique Nicolas Dubourg. « On veut obliger le gouvernement à s’expliquer, à dire sur quelles bases il a pris sa décision d’autoriser certaines activités et d’en interdire d’autres, ajoute Adrien de Van, directeur du théâtre Paris-Villette. On ne veut pas que la culture soit systématiquement celle qui est sacrifiée. »
A la différence des précédentes mobilisations, de nombreux élus locaux ont décidé d’apporter leur soutien au monde de la culture, qui emploie quelque 670 000 personnes en France. Les maires Arnaud Robinet (Reims), Anne Vignot (Besançon), Patrice Bessac (Montreuil), Pierre Hurmic (Bordeaux), Gaël Perdriau (Saint-Etienne), Jeanne Barseghian (Strasbourg), Emmanuel Denis (Tours) ou encore Eric Piolle (Grenoble) ont signé un appel à soutenir le « référé-liberté ». Les Lyonnais Grégory Doucet, maire de la cité des Gaules, et Bruno Bernard, président de la métropole, menacent même de se mettre dans l’illégalité et de rouvrir les musées de leur ville le week-end prochain, si le gouvernement n’adoucit pas sa position.
Roselyne Bachelot joue l’apaisement
Face à cette colère qui monte, Roselyne Bachelot joue l’apaisement et multiplie les rencontres. Lundi, la ministre de la culture a tenu plusieurs visioconférences avec les organismes représentatifs de la profession. L’occasion pour eux d’exprimer « de la déception et de la colère, mais [avec] une réelle volonté de travailler ensemble pour trouver des solutions », a résumé la ministre de la culture sur Twitter. D’ores et déjà, le gouvernement a promis une rallonge de 35 millions d’euros pour aider les professionnels mis en difficulté par la poursuite des fermetures. En octobre, l’exécutif avait déjà annoncé une enveloppe supplémentaire de 115 millions d’euros pour faire face au couvre-feu.
De même, le gouvernement se dit prêt à envisager un...
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