Au-delà de l'accumulation des contraintes avec cette fermeture imposée à 21 heures, le moral n'y est plus pour ces professionnels traumatisés. Alors qu'on leur demandait de relancer la machine au plus vite il y a un mois, c'est un nouveau coup de frein à une reprise de plus en plus improbable.
« Le couvre-feu à 21 heures ? Le coup est rude ! Comme si on était punis. Mais nous tiendrons. Notre nouvelle petite salle « Piccola Scala » nous permettra d'alterner les spectacles à l'affiche. Nous les démarrerons plus tôt, afin de laisser le temps aux spectateurs de rentrer, et nous doublerons les représentations du week-end. Financièrement, l'Etat doit nous aider », réagit Mélanie Biessy, qui a investi lourdement pour ouvrir en septembre 2018 La Scala de Paris (550 sièges) et vient d'inaugurer en pleine pandémie une seconde salle de 200 places. Pour elle, c'est un acte de résistance: le show must go on et doit être un refuge en cette période difficile.
Propriétaire de plusieurs salles à Paris, Jean-Marc Dumontet va adapter les horaires de ses représentations au Théâtre Libre et au Théâtre Antoine, mais ne pourra plus programmer qu'un spectacle au lieu de trois au Point Virgule et au Grand Point Virgule, ce qu'il qualifie de « grosse casse ». Il reconnaît qu'à Bobino, « ça va devenir très compliqué de maintenir Les Franglaises, à part le week-end ». Chez Fimalac Entertainement, qui détient plusieurs lieux de grande jauge, on hésite encore entre réaménagement de la programmation et fermeture pure et simple.
A la tête du syndicat des théâtres privés, le SNDTP, Bertrand Thamin, dénonce l'absence de concertation qui va obliger à trouver des solutions en 48 heures, du moins pour ceux qui pourront avancer le lever de rideau. « Le Premier ministre et la ministre de la Culture nous demandaient fin août de reprendre au plus vite une activité normale. Un mois après on nous coupe l'herbe sous le pied, alors qu'on a réengagé des dépenses de production et de publicité. Catastrophique », déclarait-il, à l'annonce du couvre-feu.
Reprogrammer plus tôt, encore faut-il qu'il y ait des spectateurs : sur les 12,2 millions de Franciliens, 10 millions de banlieusards qui risquent de facto d'être exclus. Les directeurs de salles, qui avaient déjà accepté de rouvrir avec des jauges réduites à 50-70 % de leur capacité pour raison sanitaire (ce que le ministère de la Culture s'est engagé à compenser économiquement), voient la reprise s'éloigner un peu plus.
Subvention « loyer »
« Je vais avancer « Douze hommes en colère » à 18 heures 45 en espérant que le public suivra ; nous faisions le plein de la jauge autorisée, soit 300 places au lieu de 625. Mais ce qui va nous tuer, ce sont les loyers : plus de 200.000 euros par mois. Le bailleur m'envoie des commandements et au tribunal, il gagnera, on sera mis dehors, alors que j'ai mis 6 millions d'euros pour acquérir ce fonds de commerce, que je fais vivre 50 administratifs, techniciens, intermittents, par mois. Il faut une sorte de subvention « loyer » de l'Etat ou imposer un loyer « au taux d'effort », proportionnel à nos ressources », pointe Francis Lombrail, patron du Théâtre Hébertot .
Pour l'instant son bailleur, le groupe immobilier Madar ne veut rien savoir. D'autres exploitants privés ont plus de chance. Dans le secteur subventionné, la pression sur la trésorerie est moins forte : la Philharmonie et l'Opéra Comique par exemple, s'emploient avant tout à refaire un nouveau planning de leurs représentations.
Moral plombé
Mais pour tous, l'accumulation des contraintes finit par plomber le moral, tout comme c'est le cas dans le secteur événementiel, à la même enseigne. « L'activité est tellement à l'arrêt depuis plusieurs mois que le couvre-feu n'a finalement pas beaucoup d'impact. Cela vient juste encore réduire le peu d'événements déjà très limités en nombre de participants qui pouvaient exister. L'impact est principalement sur le moral… », confie Frédéric Pitou, délégué général de l'Unimev qui fédère les professionnels des foires, congrès, salons, et leurs prestataires.
Même dépit chez les traiteurs. « Le discours du chef de l'Etat marque un nouveau coup d'arrêt pour toute la filière événementielle. Le couvre-feu va effectivement annuler les derniers événements en soirée que nous avions sur cette fin d'année », renchérit Alain Postic, directeur général de Potel et Chabot , en pleine renégociation de ses loyers. Dans le Groupe Butard , on en est à se diversifier en attendant que...
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