Avec des affiches haut de gamme proposées dans les plus petites salles des fêtes et des ateliers en amont, cette association fondée par la pianiste Gisèle Magnan œuvre sans relâche à la démocratisation des musiques “exigeantes”.
Drôle d’endroit pour un concert de chambre. Dans la salle polyvalente Les Vignes, à Fontenay-le-Vicomte (91), petite commune péri-urbaine de la grande couronne parisienne, on imaginerait plus volontiers un concours de loto ou un cours de judo. Mais c’est bien un ensemble de haut vol qu’il nous est donné d’entendre ici, par ce soir glacial de janvier. Du type que l’on ne croise d’ordinaire que dans les programmes des institutions subventionnées ou des festivals spécialisés.
En l’espèce : le trio que forment Gabriel Pidoux et Rebecka Neumann au hautbois, et Nikhil Sharma au cor anglais. Trois valeurs montantes qui expédient du Beethoven et du Krommer avec une fraîcheur et une maestria virevoltantes, alors que tout, autour d’eux, dans le décorum des lieux, l’ambiance dans le public, le protocole sur scène, renvoie davantage à une kermesse locale qu’à une grand-messe philharmonique. À commencer par la chorale d’amateurs en lever de rideau, les pupitres récalcitrants que l’on galère à régler à la bonne hauteur, ou encore, chose impensable au regard de la doxa du mélomane moyen, les applaudissements entre les mouvements.
Ce samedi soir, donc, à Fontenay-le-Vicomte, on va au concert à la salle des fêtes comme d’autres, à la même heure, vont à Gaveau ou au Théâtre des Champs-Élysées. Une initiative originale que l’on doit aux Concerts de Poche, animés depuis 2005 par la pianiste Gisèle Magnan. Cette association fait partie des nombreux dispositifs qui aujourd’hui œuvrent à la démocratisation culturelle dans les zones rurales et les quartiers défavorisés, offrant un accès à la musique à ces publics dits « empêchés », qui en sont éloignés pour des raisons géographiques, socio-économiques ou des destinées personnelles cabossées.
Sauf qu’ici, on ne se contente pas d’amener du concert dans des déserts culturels. Le travail de diffusion est couplé à un travail de médiation organisé en amont, auprès de centres sociaux, de maisons de retraites, d’hôpitaux, d’écoles, de centres d’hébergement, dans le cadre d’ateliers où les participants vont goûter au plaisir de la création, échanger avec des artistes, s’essayer au chant, aux percussions corporelles, à la fabrication d’instruments, de mini-opéras…
Résultat en aval : des barrières tombent. Des personnes qui, jusqu’alors, pensaient que le classique n’était pas fait pour elles se sentent soudain autorisées à pousser la porte des auditoriums. Selon une enquête réalisée par l’association elle-même, un tiers des spectateurs qui viennent à ses concerts seraient de « nouveaux publics », à savoir qu’ils assistent à un concert classique pour la première fois de leur vie. Et parmi eux, 90 % disent avoir envie d’y retourner à l’issue de l’expérience. « Les deux autres tiers sont soit des connaisseurs, soit des gens qui avaient déjà assisté à nos concerts et qui reviennent », ajoute Gisèle Magnan.
Avec 2 000 séances d’ateliers, 120 concerts, 45 000 personnes touchées dans 360 communes, des tarifs entre 0 et 10 euros – et un choix de lieux qui évitent d’être « trop connotés patrimoine », pour ne pas paraître « trop intimidants », précise encore l’organisatrice –, ces Concerts de poche ont réussi à fédérer tout un public de fidèles.
Mieux : au-delà de la simple question des pratiques d’écoute, ils peuvent avoir des effets plus profonds sur la société dans son ensemble. « Le but n’est pas seulement d’offrir à des municipalités la possibilité de faire venir dans leurs petites salles des artistes d’excellence. La musique exigeante peut être un vrai levier pour générer de la confiance en soi, de l’énergie, de la fierté, du lien social, et ainsi lutter contre l’échec scolaire ou aider des personnes exclues à se réinsérer. »
Musique « exigeante », insiste-t-elle, car, pour parvenir à ses fins, l’ex-concertiste devenue directrice musicale ne lésine pas sur la qualité de l’affiche. Il ne s’agit pas de proposer un contenu aseptisé ou de seconde zone dans l’idée de ratisser large. Les Concerts de poche misent au contraire sur un répertoire pointu, cohérent, authentique, fidèle au texte d’origine de chaque compositeur – en écartant toutefois les partitions trop longues.
Les « compagnons » de tournées, comme ils se désignent ici, sont tous des talents confirmés...
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