Festivals d'art ou de musique électro gigantesques : le prince MBS déploie les grands moyens pour moderniser l'image d'un pays fermé jusqu'en 2019 au tourisme et séduire la jeune génération. Une stratégie d'ouverture dont les entreprises tricolores espèrent des contrats.
A la nuit tombée, Riyad se transforme et pour quatre mois en grande galerie d'art contemporain à ciel ouvert. Le Noor Riyadh Festival et ses oeuvres lumineuses et ludiques se déploient dans la capitale de l'Arabie saoudite avec 40 hubs réunissant 190 oeuvres de 100 artistes, émergents ou confirmés, saoudiens ou internationaux, dont les Français Daniel Buren, Jean-Michel Othoniel ou encore Bertrand Lavier. « We dream of new horizons » : le thème en dit long sur l'image chic et moderne que le Royaume veut donner. L'occasion aussi pour les visiteurs étrangers de découvrir les quartiers les plus modernes de la ville, du très chic Diplomatic Quarter au Financial Center avec sa forêt de gratte-ciels aux formes étonnantes.
« Cet événement fort, les gens se l'approprient, cela participe à l'ouverture des esprits », estime le galeriste Kamel Mennour, venu avec ses artistes dont Alicja Kwade, qui en mars déjà avait exposé pour « Desert X », une biennale d'art née dans la vallée de Coachella, à l'est de Los Angeles et transposée sur le site archéologique d'AlUla. « Des artistes ont boudé le festival pour des questions de droits de l'homme. Je considère que nous contribuons à faire évoluer les choses », affirme cette dernière.
Des oeuvres engagées
Installations monumentales ou immersives abstraites, aucune oeuvre n'a été censurée dans ce pays régulièrement épinglé pour ses atteintes à la liberté d'expression. Au Jax District, où de vastes ateliers ont été financés par le ministère saoudien de la Culture, des créateurs ne se privent pas d'interroger les sujets sociétaux ou environnementaux.
« On voit même des artistes montrer des oeuvres engagées LGBT. Il y a un mélange de pouvoir absolu et de modernité forcée menée par le prince héritier et Premier ministre Mohammed Ben Salmane , dit MBS, dont les ennemis sont les branches les plus conservatrices du Royaume. Dans ce pays longtemps fermé, on ne peut nier les efforts même si bien sûr le régime reste très autoritaire », analyse Nathalie Bondil, chargée de repenser le musée de l'Institut du monde arabe à Paris.
Gros potentiel
« Contrairement aux Emirats arabes unis, l'Arabie saoudite n'est ouverte à la culture que depuis trois-quatre ans. Pour autant, j'ai pu choisir librement mes artistes. Ce festival porté par MBS, c'est évidemment aussi du soft power, d'autant que l'on sent poindre une rivalité artistique avec Abu Dhabi. A la différence qu'il y a ici 35 millions d'habitants, des galeries, des collectionneurs, une scène active, donc un gros potentiel », prédit Hervé Mikaëloff, l'un des commissaires d'exposition, par ailleurs conseiller en art de Vuitton.
« Il pesait sur l'Arabie saoudite une chappe de plomb et la police religieuse, supprimée en 2018, contrôlait tout. Intelligemment, MBS mène une stratégie culturelle, universitaire, scientifique, qui s'appuie sur les jeunes, 70 % de la population ayant moins de 30 ans, constate le président de l'Institut du monde arabe, Jack Lang, pour qui « la France doit jouer un rôle de mentor car sa politique patrimoniale, muséale, cinématographique, les inspire », citant en exemples le poids des archéologues français à AlUla, le succès du violoniste Renaud Capuçon ou du compositeur Jean-Michel Jarre plébiscités pour plusieurs concerts.
Des mégaprojets
De fait, en mars 2019, le roi Salman lançait quatre projets d'aménagement du grand Riyad pour 23 milliards de dollars, dont Riyadh Art qui prévoit un millier d'installations d'art public. S'y ajoutent des « mégaprojets » à plus de 20 milliards de dollars comme le développement de Qiddiya, une ville du divertissement au sud-ouest de la capitale, ou de Diriyah Gate, une cité d'histoire et de culture, berceau du royaume.
Les entreprises tricolores sont très présentes, de l'agence Havas Event qui produit le Noor Riyadh Festival à la TPE Manifesto qui fait l'interface logistique avec les artistes, en passant par l'ingénieriste Egis qui intervient à Diriyah, l'hôtelier Accor qui vient d'inaugurer un resort à AlUla ou Jean Nouvel qui va réaliser un resort troglodyte au coeur de la réserve de Sharaan. Sans parler de RATP Dev et Alstom choisis pour le métro de Ryad.
La cause des femmes avance
L'assassinat en octobre 2018 du journaliste saoudien Jamal Khashoggi, opposant au prince MBS, au consulat d'Arabie saoudite à Istanbul, en Turquie, est dans les mémoires. Mais dans un royaume ultraconservateur régi par une version rigoriste de l'islam, « on observe une dynamique positive dont le symbole est la volonté de MBS de valoriser AlUla, un site préislamique », estime l'ancien ministre de la Culture Renaud Donnedieu de Vabres.
« La cause des femmes avance, même si ce n'est pas aussi vite que l'on voudrait », ajoute Hervé Digne, président de Manifesto. Dans l'espace public, voilées et non voilées cohabitent tandis que sur les « highways » qui pénètrent la ville, on peut voir des femmes au volant aux côtés de leur compagnon sur le siège passager. Il y a encore bien du chemin à faire, y compris dans des hôtels internationaux où les créneaux de piscine pour les hommes et les femmes restent distincts.
Les DJ sortent de l'ombre
« Quand on allait à une réception avant, on ne se posait jamais la question de la tenue à porter pour une soirée puisque c'était l'abaya. Maintenant, nous y réfléchissons longtemps car cela devient important ! » ironise Nedda Akhonbay, chargée de la communication du méga-festival électro qui tiendra sa troisième édition du 1er au 3 décembre aux portes de Riyad. L'an dernier, ce Mdlbeast Soundstorm, subventionné par le gouvernement, a attiré 750.000 jeunes…
« C'est déjà le plus grand du Moyen-Orient, avec 80 artistes saoudiens et internationaux tels David Guetta ou DJ Snake, cinq scènes, un village partenaire, des espaces VIP, le tout sur 1,2 kilomètre carré ! L'an dernier, il a généré 16.000 emplois directs et indirects et 105 millions de dollars de dépenses des festivaliers », poursuit Nedda Akhonbay.
« Nous avons de longue date une scène underground florissante mais aujourd'hui nous obtenons la reconnaissance nécessaire à nos carrières », se félicite la DJ saoudienne Cosmicat, venue en Europe promouvoir le festival.
Mdlbeast s'emploie aussi à développer...
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