L’Académie des Beaux-Arts s’engage contre la censure des œuvres d’art sur les plateformes de diffusion numérique qui interdisent toute nudité sans distinction de support.
« Couvrez ce sein que je ne saurais voir ». Les plateformes de diffusion des œuvres d’art (c’est-à-dire principalement les réseaux sociaux) n’autorisent pas la vision de tétons ou de sexes féminins et suppriment par conséquent toute image où elles en repèrent. Si ce type d’algorithme est pertinent pour traquer les images à vocation pornographique, il devient dévastateur lorsqu’il conduit à la censure sans autre forme de procès d’un nu de Schiele ou une sculpture paléolithique. L’Académie des Beaux-Arts a décidé de dénoncer, ce 16 février, cette censure irrationnelle et dangereuse de l’art sur Internet.
Courbet, Delacroix, même combat
« Les exemples de censure sur les réseaux sociaux sont innombrables et entravent considérablement, chaque jour un peu plus, la promotion de l’art sur ces médias incontournables », dénonce l’Académie des Beaux-Arts dont l’une des missions au sein de l’Institut de France est précisément d’encourager la création artistique et de défendre le patrimoine culturel français. L’Origine du Monde de Gustave Courbet, ou La Liberté guidant le peuple d’Eugène Delacroix font partie des œuvres, pourtant mondialement célèbres et déterminantes dans l’histoire de l’art, dont les réseaux sociaux, tels que Facebook, Instagram ou TikTok, entendent protéger nos âmes pures.
Toutes deux ont en effet déjà été à l’origine de la suppression de publications ou de fermetures de comptes d’internautes car leur diffusion était jugée contraire aux conditions d’utilisation des plateformes en question. Pourtant, la première, créée en 1866, est exposée au musée d’Orsay depuis 1995 après avoir été tenue secrète et montrée seulement à un public averti pendant plus d’un siècle. La seconde est une icône nationale (et au-delà) qui ornait, il y a bien longtemps de cela (dans une galaxie lointaine, très lointaine…) les billets de 100 francs dits « Delacroix ». Autant dire que ces deux nus ont largement intégré la culture populaire et que la nudité supposée sulfureuse qu’elles offrent à la vue de tous ne choque à vrai dire plus grand monde.
PaloélithiX
Malheureusement, algorithmes et intelligences artificielles, chargés de la grande purge des réseaux sociaux, n’ont pas suivi de cours d’histoire culturelle ou d’iconographie, et dans leur chasse aux contenus indésirables (louable et nécessaire dans le principe), ils mettent pêle-mêle à l’index images à vocation pornographiques, selfies trop aguicheurs et chefs-d’œuvre de musées. On se souvient notamment que la Vénus de Willendorf, icône de l’art paléolithique façonnée il y a plus de 30 000 ans et conservée au musée d’histoire naturelle de Vienne, avait été censurée sur Facebook en 2017.
Christian Koeberl, le directeur général du musée avait alors déjà dénoncé l’absurdité de cette démarche : « Il n’y a jamais eu de plainte de visiteurs concernant la nudité de la figurine. Il n’y a aucune raison […] de couvrir la Vénus de Willendorf et de cacher sa nudité, ni au musée ni sur les réseaux sociaux ». Facebook avait présenté ses excuses quelques jours plus tard, précisant que leur « politique en matière de publicité ne permet pas la nudité ou la nudité suggérée » mais « qu’ils faisaient une exception pour les statues, et qu’à ce titre cette annonce aurait dû être approuvée ».
Une situation ubuesque
Face à cette « situation ubuesque », les membres de l’Académie appellent « à se poser la question de la liberté de la diffusion de l’information et des moyens à mettre en œuvre pour la protéger », expliquant que « les plateformes de diffusion ne sauraient s’arroger le droit de censurer la diffusion d’une œuvre d’art au seul motif que la représentation de celle-ci n’entre pas complètement dans les critères qu’elles ont établis ».
Avec la numérisation croissante de nos modes de vie, le développement à venir des métavers et autres environnements virtuels dont les GAFAM pourraient prendre le contrôle, le risque est grand de voir l’expression artistique censurée, sous couvert de règles d’utilisation, ou pis, de voir les artistes s’autocensurer pour espérer pouvoir exister numériquement. En octobre dernier, les musées de Vienne dénonçaient déjà, par la voix d’Helena Hartlauer, porte-parole de l’Office du tourisme, les effets pernicieux des règles de publication en vigueur sur les médias sociaux qui rendaient alors « pratiquement impossible » toute communication autour de l’exposition Modigliani qu’accueillait l’Albertina Museum. Jugés trop explicites, les nus de l’artiste italien n’avaient pas de droit de cité sur les grandes plateformes. Le même problème se posait pour un Autoportrait de 1910 d’Egon Schiele, œuvre phare du Leopold Museum, dont l’image...
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