Injures et règlements de comptes : le financement du CNM vire au vaudeville. Et à la fin, c’est Bercy qui décidera si les plateformes sont taxées.
«Cette histoire de financement du Centre national de la musique (CNM) est en train de faire sortir le pire de chacun. On est face à l’argent de la vieille, un truc complètement hystérique depuis un an et demi et on n’en sort pas. » La phrase est signée Bertrand Burgalat, président du Snep, le Syndicat national de l’édition phonographique, celui des grosses maisons de disques, et en même temps patron du petit label indépendant Tricatel. Elle résume efficacement le psychodrame dans lequel se noie le monde de la musique français depuis la fin de la crise du Covid et du quoi qu’il en coûte. À l’époque, le gouvernement avait fortement soutenu les artistes, producteurs et salles de concerts à l’arrêt, à travers le Centre national de la musique tout juste créé le 1er janvier 2020 pour rassembler tous les acteurs du secteur et mieux défendre la création française au niveau international. Mais ce moment suspendu laissait une grosse question à résoudre, qui s’est posée crûment dès la parenthèse Covid refermée : le CNM n’a pas de financement pérenne. Il n’est aujourd’hui que l’agglomération d’anciennes structures et de leurs moyens, qui proviennent pour beaucoup de perceptions sur la billetterie des concerts, alors que son système d’aides concerne aussi bien l’écriture et la production de la musique que sa diffusion lors de tournées. C’est tout le modèle français de soutien à la diversité artistique et à des formes qui ne peuvent exister par le seul marché qui est contenu dans cette question du financement.
Depuis dix-huit mois, les réunions se sont donc multipliées pour trouver un système efficace et durable qui embarque aussi bien le live que les maisons de disques, les artistes, les plateformes et les nouveaux réseaux sociaux où la musique circule comme jamais. Et tout est sorti de la route très vite, dès la fin 2022, quand certains producteurs ont, selon nos informations, tenté de torpiller la principale piste sur la table : une taxe sur les plateformes de streaming. Ils avaient alors lancé des médias influents de la sphère hip-hop sur l’idée d’une « taxe anti-rap ». La campagne médiatique hypercaricaturale a carrément fini chez Hanouna, alors que le CNM a aussi été créé pour que le secteur de la musique arrête de s’engueuler en public. Raté. Et la présentation en avril dernier d’un rapport demandé par la Première ministre à l’ex-sénateur macroniste Julien Bargeton n’a rien changé. Celui-ci reprenait l’idée d’une taxe sur les plateformes utilisant la musique, fixée à 1,75 % du chiffre d’affaires, comme piste la plus réaliste pour garantir le financement supplémentaire recherché, à hauteur de 15 à 20 millions d’euros annuels sur les 67 millions d’euros de budget global. Puis c’est carrément Emmanuel Macron qui a surgi dans ce débat au soir de la Fête de la musique, pour lancer ce qui ressemblait quand même beaucoup à un ultimatum : si la filière ne s’entend pas avant le projet de loi de finances 2024 (PLF), le gouvernement tranchera et ce sera, selon ses mots, pour une « contribution obligatoire des plateformes de streaming ».
Taxe sur les plateformes de streaming
Selon nos informations, certains producteurs ont tenté de torpiller la principale piste sur la table : une taxe sur les plateformes de streaming — Illustration Stéphane Marcault pour Les Jours.
Le PLF, on y est désormais : il doit arriver à l’Assemblée nationale le 17 octobre. Et rien n’a été décidé entre les acteurs de la musique lors d’innombrables réunions et rendez-vous de ces dernières semaines, qui ont même fini par se transformer en règlements de comptes personnels. « C’est franchement la foire d’empoigne et c’est usant », se désolait ainsi la semaine dernière Céline Lepage, la déléguée générale de la Félin, la fédération nationale des labels indépendants. Le conflit, très théâtral, s’est notamment joué entre Bertrand Burgalat, indépendant devenu président du principal syndicat des gros, et Pascal Nègre, ancien président du même syndicat et d’Universal Music France… et aujourd’hui représentant des maisons de disques indépendantes à travers son label 6&7. Pour Bertrand Burgalat, ces discussions autour de l’avenir du CNM sont même devenues une affaire très politique, annonciatrice de débats qui seront nécessaires au sein de la « maison de la musique », le petit nom du CNM. « On est en train de se battre pour trouver des sous, OK. Mais on ne pose jamais la question du fonctionnement des aides, pointe-t-il aux Jours . Et moi, je ne veux pas que le CNM devienne un boys’ club des gens qui savent comment demander des subventions, avec des producteurs et des projets qui n’existent que parce qu’ils sont aidés, comme ça se passe avec le cinéma français au CNC. Est-ce qu’on veut que la musique en France soit une petite bande, des gars qui se tapent sur l’épaule en contrôlant tout ? Ou est-ce qu’on veut que ça soit beaucoup plus ouvert à toutes les musiques et tous les styles ? Il faut un CNM qui soit neutre. Et là, on n’y va pas. »
Le streaming n’a pas fini sa croissance et lui imposer une taxe l’affaiblirait. C’est en tout cas l’argument principal des majors, du Snep et des plateformes
De fait, ce débat n’existe quasiment pas et se concentre sur « l’idée que ce soit l’autre qui paye », comme le dit un des acteurs de ces discussions agitées. En particulier sur l’idée d’une contribution perçue sur les revenus de la publicité et des abonnements des plateformes et réseaux sociaux – Spotify, Deezer, Apple, YouTube Music, TikTok ou Instagram. « Ça revient à redistribuer l’argent généré par les plus gros artistes au développement des plus petits », à travers les aides du CNM, estime Céline Lepage. « C’est un principe juste pour nous, quand les multinationales font en plus leur beurre du système actuel du streaming » qui donne une prime au vainqueur à travers le système de la part de marché dont nous avons déjà parlé (lire l’épisode 4, « Stream : enfin l’ère du commerce équitable ? »). « Les artistes internationaux représentent environ 70 % des revenus du streaming et ils sont représentés par les majors, continue la déléguée générale de la Félin. De plus, elles s’appuient sur leur back catalogue de tubes » qui, dans ce système, financeraient donc indirectement la jeune production. Logiquement, les représentants des labels indépendants sont favorables à une taxe streaming, quand les majors et le Snep sont alliés avec les plateformes pour s’y opposer. Argument principal : le streaming n’a pas fini sa croissance et lui imposer une taxe ce serait l’affaiblir. Et les plateformes de menacer de répercuter la contribution sur les abonnés à la fin, voire, comme Spotify l’a évoqué lors d’une réunion en début de semaine, de fermer son bureau de Paris qui ne serait plus rentable. La plateforme suédoise n’a pas souhaité répondre à nos questions, mais pour Alexandre Lasch, le secrétaire général du Snep, « il faut prendre assez au sérieux...
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