L’emblématique salle de théâtre du nord de Paris se retrouve de nouveau menacée d’expulsion. Deux vœux doivent être déposés ce mardi en conseil municipal afin de maintenir son existence, et clarifier la situation.
Le Lavoir moderne connaîtra-t-il un jour la quiétude ? Ce lieu historique du XVIIIe arrondissement, jadis lavoir mythique de la rue Léon dépeint par Emile Zola dans l’Assommoir, aujourd’hui reconverti en salle de théâtre, voit son existence sans cesse remise en question depuis une quinzaine d’années.
Ce mardi, deux vœux doivent être déposés en conseil municipal de la ville de Paris, l’un par les Verts, l’autre par la Nupes. Tous deux en faveur du maintien de ce théâtre, le seul implanté dans le quartier de la Goutte d’Or. Avec le souhait de clarifier une situation devenue pour beaucoup incompréhensible. A la limite de l’ubuesque : il y a quinze jours, le bailleur social Habitat social Français (HSF), qui détient les murs du théâtre par l’intermédiaire de la Ville de Paris, a officiellement demandé l’expulsion du théâtre, pourtant soutenu de longue date par la Ville de Paris.
Péripéties
Pour comprendre l’imbroglio autour de la survie du théâtre, il faut remonter au moment du rachat du lieu, en 2008, par le fonds de pension luxembourgeois Zaka. A l’époque, cette holding souhaite raser le Lavoir moderne pour y mettre des logements à la place. En parallèle, le théâtre déjà amputé d’une aide de l’Etat, voit ses subventions municipales supprimées, après qu’un rapport de l’inspection générale de la ville de Paris ne conclut à «des problèmes de gestion importants». Il faut une grève de la faim du directeur de l’époque, Hervé Breuil, pour que la bâtisse puisse continuer à percevoir les aides.
En février 2014, une décision juridique donne raison au promoteur, et prévoit l’expulsion imminente des occupants, malgré la mobilisation des habitants de la Goutte d’Or et ses occupants, et une pétition en ligne signée par plus de 45 000 soutiens. Par deux fois, cette issue funeste a été évitée in extremis grâce à une ordonnance de 1945 qui prévoit qu’une salle de spectacles ne peut perdre sa vocation qu’avec l’assentiment du ministère de la Culture.
La même année, appuyée par la mairie du XVIIIe et la ville, la compagnie «Graines de soleil» rachète le fonds de commerce en 2014, après sa mise en vente par Hervé Breuil. Depuis, la petite association créée en 1998, se démène pour redresser le théâtre de quartier. «On s’est battu pendant plusieurs années contre le promoteur immobilier, cherché des solutions de rachat, interpellé vivement les politiques. On a investi énormément via nos propres moyens financiers et humains pour remettre le théâtre à flot. On a refait de belles programmations», retrace Julien Favart, codirecteur de la compagnie. La municipalité s’est elle-même positionnée à plusieurs reprises en faveur de la conservation du bâtiment et du maintien de l’activité théâtrale.
«Incompréhensions»
Lorsque la Ville de Paris, sur proposition des Verts, préempte les murs du Lavoir en juillet 2020 pour deux millions d’euros, les occupants y voient l’épilogue d’une décennie de péripéties juridiques et financières. Dans son communiqué publié à l’époque, la municipalité «s’engage pleinement aux côtés des acteurs culturels pour sauvegarder ce bâtiment historique et maintenir son ambition culturelle». Elle devait aussi proposer «un projet ambitieux pour ce lieu devenu mythique de par les combats qui y sont rattachés». Une initiative portée par Christophe Girard, ex-adjoint à la culture, Ian Brossat, adjoint au logement, et Eric Lejoindre, maire PS du XVIIIe.
«On pensait légitimement qu’elle ne poursuivrait pas la procédure engagée par LEGBA (la société écran de Zaka). Au contraire c’est ce qu’elle est en train de faire», expose Me Philippe Pericaud, avocat de la compagnie Graines de Soleil. La mairie a délégué l’usure des lieux à un bailleur social (Habitat social Français), et prévenu les occupants qu’elle comptait réaliser un appel d’offres, sous prétexte de transparence. «A partir de ce moment-là, c’est devenu l’incompréhension pour nous. Les choses se sont un peu crispées petit à petit, glisse Julien Favart. On comprend cette posture d’être transparent, de mise en concurrence, mais on a quand même un bail qui stipule que nous exploitons le lieu.»
Situation «schizophrénique»
Julien Favart met en avant la vitalité artistique de la salle de 70 places, quarante troupes accueillies par an à raison de 300 représentations. Le tout axé sur les compagnies émergentes, les nouvelles écritures «mais aussi depuis quelques années sur les diasporas, notamment africaines». Le festival «Africapitales» créé cette année met ainsi à l’honneur une ville africaine et ses artistes un mois durant. «Les gens du quartier étaient absolument ravis que ça existe, on a touché des publics qu’on n’arrivait pas à toucher d’habitude», assure le comédien. Plusieurs partenariats ont vu le jour ces dernières années, dont l’un avec la Direction des affaires culturelles (DAC) de Guyane, tandis qu’un autre avec la DAC de Mayotte est en projet.
«Il y a une incompréhension, un sentiment d’injustice avec tout le travail qu’on a fourni : pourquoi on n’arrive pas à se mettre d’accord, à faire comprendre qu’on tient un lieu, qu’on a investi énormément ?» — Julien Favart, codirecteur de la compagne Graine de soleil
Cette année, la structure a investi près de 200 000 euros, financés à 50% par des aides, le reste via les recettes de billetterie. La somme permet le développement des projets mais aussi le recrutement de nouveaux collaborateurs, avec une masse salariale multipliée par deux.
Pour rassurer la mairie, la compagnie a travaillé via le Paris Initiative Entreprise, un organisme soutenu par la Ville, à l’élaboration d’un projet et d’un business plan solide. En vain : les deux entités se sont déjà fait face...
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