Joe Chialo, l’adjoint à la culture (CDU) de la capitale allemande, souhaite doubler le nombre de studios de répétition, ateliers, clubs et scènes de spectacle d’ici à 2030.
L’ancien chanteur de rock underground a le sens de la formule. Pour Joe Chialo, la culture est « l’industrie lourde de Berlin ». Le nouveau sénateur berlinois chargé de la culture pour le Land capitale est l’une des surprises de la coalition CDU-SPD qui a pris les rênes de Berlin au printemps. Un maire de droite, Kai Wegner, à la tête de la ville – une première depuis vingt ans –, et la culture entre les mains des conservateurs chrétiens-démocrates (CDU) : rien de bon à venir, jugeait déjà l’écosystème artistique berlinois.
Mais Joe Chialo, colosse consensuel, entré en politique il y a six ans après un passage comme manageur de label chez Universal Music et une jeunesse dans le monde de la nuit (il a notamment été videur de discothèque), a mené ce qu’il appelle lui-même « un très long combat » au résultat inattendu. A l’issue des tractations pour le prochain budget municipal, qui sera officiellement publié le 20 août, il affirme avoir décroché une enveloppe de plus de 1 milliard d’euros, en progression.
C’est en chemise à fleurs et avec un calme hérité de son père diplomate tanzanien qu’il a présenté ses ambitions à la presse locale à la mi-juillet : il s’agit de rendre plus « résiliente » la culture berlinoise, en articulant l’énergie créative de la scène libre et les grandes institutions telles que les trois opéras ou les bibliothèques. Une sorte d’alliance de Wagner et de la techno. Depuis deux ans que clubs et discothèques sont classés « lieux de culture » (et plus « lieux de divertissement »), la vie nocturne et festive est officiellement passée dans le portefeuille du sénateur.
En plus de ce budget représentant 3 % du produit intérieur brut de la capitale endettée, un fonds de 947 millions d’euros devrait être dévolu à l’installation de 500 nouveaux lieux de création culturelle et artistique. « L’objectif est de doubler le nombre d’espaces d’ici à 2030 », a précisé Joe Chialo. Studios de répétition, ateliers, lieux hybrides pour exposer ou faire la fête, clubs, scènes de spectacle… Chialo en veut 5 000 à terme (contre 2 000 actuellement) dans tous les arrondissements de la ville-Etat, huit fois plus vaste que Paris.
Lettre ouverte
Il cible les périphéries du « Grand Berlin », qui ont largement contribué à la victoire électorale de son parti, la CDU, lors du dernier scrutin du Land, mais qui sont restées à l’écart de la bouillonnante effervescence de Berlin l’alternative. Ce monde fiévreux et cosmopolite draine 35 % des touristes de la ville et lui rapportait, avant la pandémie, 1,5 milliard d’euros par an. Le secteur semble bien aujourd’hui reparti et l’enjeu est que Berlin maintienne sa réputation de ville de la nuit européenne.
Mais ce succès alimente la spirale spéculative : les quinze dernières années ont été marquées par la fermeture de plusieurs lieux culturels mythiques, chassés de leurs friches industrielles par les promoteurs. Le Tacheles, squat d’artistes né au moment de la chute du mur de Berlin et dont les fêtes semi-légales ont fait les grandes heures de la ville fraîchement réunifiée, est devenu une résidence privée clôturée avec des lofts à plus de 1 million d’euros. Le long de la rivière Spree, des immeubles blancs de bureaux ont pris la place d’espaces de création qu’on rejoignait pour un vernissage, un week-end de techno ou un pique-nique en famille. Le dernier tronçon de l’autoroute urbaine A100 en construction a beau être souterrain, il va engloutir entre vingt et trente friches artistiques et des clubs célèbres.
Ateliers, locaux de répétition de musique, hangars de street art sont aussi délogés des arrière-cours. « Les propriétaires installent des logements de luxe là où s’est faite la réputation de Berlin : les tiers-lieux où la culture explosait dans toutes ses dimensions. C’est sûr que lorsqu’on paie autant pour son appartement, on ne veut pas d’un cours de batterie ou de samba sous ses fenêtres », témoigne Henriette Rieffel, professeure de claquettes, sans studio fixe depuis que les deux dernières écoles du sud de Berlin ont mis la clé sous la porte, pendant la crise sanitaire. L’inflation générale, depuis dix-huit mois, a encore fragilisé la branche. Les salaires des 160 000 employés du secteur des arts ne suivent pas. Henriette Rieffel n’ose pas encore croire que le vent tourne, même si, grâce à l’intervention de Joe Chialo, on vient d’apprendre que les 150 artistes du complexe des Uferhallen, un tiers-lieu installé dans des hangars, ne devraient pas être expulsés à la fin de l’année.
En juin, un collectif représentatif du monde de la culture berlinoise a publié une lettre ouverte à l’adresse du nouveau...
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