Déjà mises en difficulté par les contraintes liées à la distanciation sociale et à l’interdiction de rester debout pour le public, les salles de spectacle se réorganisent et changent leurs horaires pour s’adapter.
Début novembre, il n’y aura pas une, mais trois dates à l’Olympia pour les Têtes raides. Le groupe de rock alternatif se produira une première fois le samedi 7 novembre à 18 heures, et deux autres fois, le lendemain, à 14 h 30 et à 18 heures. « Une façon de s’adapter aux mesures sanitaires et aux horaires du couvre-feu », explique Laurent de Cerner, codirecteur général de l’Olympia. Après la réduction drastique de la jauge mise en place en juillet, le couvre-feu à 21 heures, élargi à 54 départements depuis le 24 octobre, fait l’effet d’un second tsunami dans les salles de concerts, déjà à genoux depuis le début de la pandémie.
« Programmer une salle de 2 800 places – avec une jauge maximum de 1 000 personnes, pour que le public soit dehors à 20 h 15, devient un exercice d’équilibriste », insiste M. Cerner. Si certains rares artistes et producteurs jouent le jeu, la plupart des événements sont reportés. L’Olympia, détenu par le groupe Vivendi, ne propose à l’affiche que quinze concerts entre septembre et décembre, contre 120 en 2019.
« Les contraintes – la distanciation entre les spectateurs, l’interdiction d’avoir du public debout, la jauge de 1 000 personnes et les horaires – ne nous permettent pas de proposer de concerts jusqu’au 31 décembre », tranche pour sa part Daniel Colling, président des Zénith de Paris, Nantes et Toulouse. Pour lui, un concert de musique actuelle, c’est « un acte social, le bonheur de retrouver des copains, boire un coup, danser ensemble dans la fosse ». Tout ce qui est désormais interdit… « Ces contraintes, c’est un choc pour notre écosystème », confirme Aurélien Binder, président de Fimalac Entertainment, qui exploite la Salle Pleyel, des théâtres parisiens et gère 22 sites de spectacles en région – dont le Zénith de Strasbourg, celui de Nancy ou le Carré des docks du Havre.
Depuis mars, les producteurs ont annulé un à un les 130 spectacles au Zénith à Paris (qui compte 6 800 places), 85 à Nantes et autant à Toulouse. « Tout est repoussé, non pas au printemps, mais à l’automne 2021 », constate Daniel Colling. Le chiffre d’affaires est tombé à zéro. C’en est fini des recettes de location de salle et des revenus annexes (bars, partenariats, merchandising…).
« Le couvre-feu, c’est le coup de grâce »
A Pleyel aussi, « il ne reste plus qu’un ou deux concerts d’ici à la fin de l’année », se désole Aurélien Binder. Même écho à La Seine musicale de Boulogne-Billancourt, où tout a été annulé dans la grande salle depuis mars et reporté à 2021. Exit la nouvelle version de Starmania ou le concert de Björk. De la même façon, les 120 concerts prévus, entre mars 2020 et mars 2021, à l’Accor Arena, dont ceux d’Elton John, ont été, pour 90 % d’entre eux, reportés.
« Les investissements sont si lourds » qu’aucun producteur de spectacle ne se lance, « d’autant moins que les assureurs ne couvrent plus le risque Covid. Nous sommes sans filet », souligne Aurélien Binder. « On a beau jeu de rouvrir les salles, si le public a toujours peur, cela ne sert à rien », ajoute-t-il, en précisant que le pôle spectacle vivant du groupe de Marc Ladreit de Lacharrière perdra cette année plusieurs dizaines de millions d’euros. Olivier Haber, directeur général de La Seine musicale, s’attend quant à lui à 2 millions d’euros de déficit cette année, pour un budget de 10 millions d’euros. A l’Accor Arena, Nicolas Dupeux, son directeur général, ne voit pas comment rentabiliser sa salle prévue pour plus de 20 000 personnes. Il faudrait vendre 15 000 billets. Imaginer jouer devant un public clairsemé d’un millier de fans relève de l’impossible.
« Le couvre-feu, c’est le coup de grâce, il rend techniquement impossibles les concerts en Ile-de-France », constate M. Haber, de La Seine musicale. « Il faudrait démarrer à 18 heures, ce n’est pas réaliste. » D’autres y croient pourtant. A Tourcoing (Nord), Boris Colin, le directeur du Grand Mix, ouvre les portes à 17 h 30. La salle comptait jusqu’à 630 personnes du temps où les concerts debout étaient autorisés. Aujourd’hui, elle ne peut accueillir que 130 spectateurs masqués, assis, avec un fauteuil d’écart entre chaque groupe. Malgré ces contraintes, le public répond encore présent.
« La plupart de nos concerts sont censés être dansants. Tant pis, on dansera sur nos chaises… », dit-il, philosophe. En trouvant l’exercice baroque quand il s’agit d’électro avec le groupe Yelle le 6 novembre ou de metal comme Regarde les hommes tomber le 8 décembre. « Jusqu’à présent, on n’avait pas encore essayé ! », avoue-t-il.
Malgré l’adversité, Boris Colin continue de programmer des concerts. Même si, pour le public de la métropole lilloise, 18 heures, c’est vraiment très tôt. Les groupes en première partie de concert ne jouent pas devant grand monde. « Mais c’est mieux que rien. Psychologiquement, c’est important de mobiliser les équipes, les techniciens, et de faire travailler les artistes. On se lève le matin pour faire notre boulot », décrit le directeur du Grand Mix.
« Avec les mesures d’exonération de charges et de chômage partiel, ainsi que les aides du Centre national de la musique (CNM) destinées à compenser le manque à gagner de billetterie, on est a priori hors de danger immédiat », affirme ce patron de salle. Il ajoute : « Dans ce marasme, on peut se féliciter d’être soutenus en France par les pouvoirs publics. »
D’autres scènes de musique actuelle, comme Le Triton, aux Lilas (Seine-Saint-Denis), ou 360 Paris Music Factory, dans le quartier de Barbès, à Paris (18e), programment des spectacles à 18 heures. « On ne baisse pas les bras, nos artistes ont besoin de travailler », dit Aurélie Hannedouche, déléguée générale du Syndicat des musiques actuelles (SMA). Certains clubs de jazz ont pourtant jeté l’éponge : Le Baiser salé ou Le Duc des Lombards, faute de pouvoir, selon ce dernier, apporter au public « confort et plaisir », annulent leurs concerts pendant six semaines.
Côté classique, le Châtelet a décidé de maintenir 25 représentations d’ici à la fin décembre. Au prix d’un gymkhana compliqué. La création Le Vol du boli, d’Abderrahmane Sissako et Damon Albarn, a été présentée trois fois et reprogrammée vingt fois en 2021 pour réduire le déficit attendu, explique Thomas Lauriot dit Prévost, le directeur. La reprise de la comédie musicale 42e Rue, qui aurait dû...
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