La metteure en scène et directrice du centre dramatique national de Normandie Lucie Berelowitsch, à l’initiative d’une pétition en solidarité aux artistes ukrainiens face à l’invasion russe, salue le rôle du monde culturel dans la résistance qui s’organise dans le pays.
Lucie Berelowitsch est metteure en scène et directrice du Préau, le centre dramatique national de Normandie-Vire, dans le Calvados. Avec Stanislas Nordey, elle est à l’initiative d’une courte pétition signée par un grand nombre des directrices et directeurs de scènes en France qui témoignent de leur solidarité et de leur volonté d’accueillir en France des artistes ukrainiens. Russophone, elle a fait ses études au conservatoire de Moscou et elle s’apprêtait à commencer les répétitions en avril de sa prochaine pièce, avec une troupe ukrainienne, les Dakh Daughters.
Quel est l’impact en Ukraine d’une telle démarche ?
Avec Stanislas Nordey, on a voulu agir de manière très rapide. Le court texte a été traduit en ukrainien et il circule très largement sur les réseaux sociaux. Il aura dès aujourd’hui un relais dans la presse ukrainienne. L’impact est essentiellement psychologique et on peut considérer que ce n’est pas suffisant, qu’il faudrait être en mesure de protéger le ciel ukrainien. Montrer notre solidarité, assurer qu’on sera là pour les accueillir, trouver des logements aux familles est pourtant déjà très important. Dans les messages que je reçois, je m’aperçois que l’attention de toute l’Europe – et dans le cas particulier des artistes, notre engagement aujourd’hui mais aussi à venir – n’est en rien négligeable dans le contexte d’une résistance qui s’organise extrêmement bien.
Paradoxalement, depuis le début de la guerre jeudi, beaucoup d’Ukrainiens et d’Ukrainiennes ont renoncé à quitter leur pays… Voire paraissent déterminés à rester. Est-ce un choix affirmé et un changement de perspective, ou parce qu’ils ne peuvent pas faire autrement, qu’il est trop tard pour prendre la route ?
Ce qui se passe sous nos yeux est impressionnant : on pensait que Kiev allait être assaillie beaucoup plus rapidement. Beaucoup de mes amis qui croyaient prendre la route restent à la fois parce que ça n’a plus de sens quand l’ensemble de l’Ukraine est bombardé, mais aussi parce qu’ils ont décidé de résister et qu’ils disent que leur place est dans le pays. Une partie d’entre eux estime aujourd’hui qu’ils peuvent gagner cette guerre en dépit de la disproportion des forces.
Mon point de vue est parcellaire mais à ce jour, je ne connais personne qui soit arrivé de l’autre côté de l’Ukraine. L’annonce de la France et de l’Allemagne d’armer les Ukrainiens n’y est pas pour rien. Je suis intimement très inquiète, mais chez les gens avec lesquels j’échange, je ressens une très grande détermination qu’il serait trop rapide de placer sous le signe de l’inconscience : ils disent qu’ils ont le droit d’être libres et le devoir de se battre pour leur pays.
Comment expliquer que la résistance se soit si efficacement et rapidement organisée ?
La guerre a commencé il y a huit ans. Ils ont eu le temps de s’armer psychologiquement. D’autre part, les Russes ne pourront pas tenir indéfiniment si Kiev ne lâche pas.
Dans cette résistance, quel rôle joue le monde culturel en Ukraine ?
Dans cette guerre que Poutine légitime en affirmant que l’Ukraine est une fiction et n’a jamais existé, les artistes revitalisent la culture, l’histoire et la langue ukrainiennes. Je pense notamment au Dakh Theatre, l’une des seules troupes indépendantes d’Ukraine – c’est-à-dire qui n’est pas affiliée à un théâtre officiel. Vlad Troitskyi, 57 ans, a créé de toutes pièces un lieu théâtral dans un appartement, il y a vingt-six ans. On entre dans un hall, puis dans une véritable salle de théâtre qu’il a construite. De ce Dakh Theatre sont nés deux très grands groupes de musique : les Dakh Daughters – six femmes actuellement toutes encore en Ukraine – et les DakhaBrakha. Les deux s’ancrent dans le folklore ukrainien, tout en l’ouvrant et le transformant énormément.
Vlad Troitskyi a aussi sa propre troupe et il a créé le Gogol Fest, un festival indépendant avec des cinéastes, des plasticiens, des musiciens et des acteurs, qui a lieu dans plusieurs villes d’Ukraine. Toute cette effervescence artistique est fondamentale en Ukraine, qui se reconstruit comme Etat nation depuis la fin de l’URSS et son indépendance, et la culture se déploie plus librement depuis la révolution de Maidan de 2014. Il y avait deux langues officielles jusqu’à l’indépendance de l’Ukraine. Grâce à la rencontre que m’a permis Stéphane Ricordel du Monfort théâtre, j’ai pu monter Antigone avec les Dakh Daughters, et des comédiens ukrainiens, on avait choisi que les discours officiels de Créon soit en russe, mais que la langue de l’intime soit l’ukrainien. La différence entre les deux langues est analogue à celle entre l’italien et le français.
Elena Kovalskaya, qui dirige le théâtre d’Etat Vsevolod Meyerhold à Moscou, a annoncé sa démission car elle ne peut «travailler pour un meurtrier et percevoir un salaire de lui». De même, le Garage Museum – l’équivalent de Beaubourg – à Moscou vient d’annoncer qu’il suspend toute activité en guise de protestation. Tout comme le chorégraphe russe Alexeï Ratmansky qui a décidé d’annuler sa prochaine création. Comment s’opère la solidarité avec le monde artistique russe qui témoigne de son opposition ?
Il y a de plus en plus d’artistes, de chercheurs, d’intellectuels qui se mobilisent à travers notamment une pétition lancée par Marina Davydova, directrice de la revue Teatr, critique et organisatrice de festival qu’on devrait relayer. Pour tout vous dire...
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