Fermées depuis un an, les scènes subventionnées ou non reçoivent les aides de l’État. Ces deux mondes, jusqu’ici séparés, imaginent une forme de solidarité.
Pour le spectacle vivant, la crise sanitaire est catastrophique, mais l’État l’aide comme jamais auparavant. Rallumant peut-être un sentiment d’injustice entre théâtres privés et théâtres publics. Contrairement aux premiers (quelque 300), les seconds (76 sans compter quatre théâtres nationaux) reçoivent des subventions du gouvernement. «Dès mars 2020, beaucoup d’entre eux avaient déjà songé à ne rouvrir qu’en janvier. Ils ont une trésorerie qui déborde», estiment plusieurs observateurs du spectacle privé. «On aimerait bien!», s’exclame Stanislas Nordey, directeur du Théâtre national de Strasbourg (TNS). Qui admet: «Nous nous en sortons moins mal, nous sommes privilégiés par rapport au théâtre privé. Dans la tourmente, c’est une forme de luxe.» «Nous avons les reins beaucoup plus solides que d’autres acteurs du système, mais les quelques économies que nous avions sont largement dépassées par les frais», assure Bethânia Gaschet, l’administratrice de l’Odéon-Théâtre de l’Europe.
Pour Sophie Zeller, déléguée au théâtre et aux arts associés au ministère de la Culture, le soutien de l’État «vise à permettre à des activités qui ne peuvent se déployer dans un modèle économique lucratif d’être mises en place. Il n’y a donc pas réellement de sens à opposer public et privé, dont les missions sont différentes». De fait, en août dernier, la ministre de la Culture, Roselyne Bachelot, a annoncé une aide de 432 millions pour le spectacle vivant. «Il ne faut pas croire qu’il y a le chien gras et le loup maigre», lance Macha Makeïeff, qui maintient «unéquilibre précaire, mais un équilibre quand même» au Théâtre national de La Criée à Marseille.
Sophie Zeller explique: «Les théâtres soutenus sont ceux qui poursuivent des objectifs de service public: aide à la création, notamment émergente, et aux formes singulières, attention portée à l’emploi artistique; diffusion des œuvres auprès des publics les plus larges, ce qui passe notamment par une modération tarifaire et des actions de sensibilisation en direction des publics ; actions d’éducation artistique et culturelle, ateliers auprès de personnes défavorisées, etc.» Mais le théâtre privé n’est pas négligé.
Pour la déléguée au théâtre et aux arts associés, il est indispensable de rappeler que le théâtre privé est «étayé de façon volontariste par l’Association de soutien au théâtre privé, financé intégralement par l’État et la ville de Paris, que ce soit dans l’aide aux nouvelles productions, à l’emploi, pour le financement de travaux ou de places à tarifs modiques pour les plus jeunes». Sophie Zeller parle d’aides «massives» qui se prolongent en 2021: «En 2020, ce sont ainsi plus de 30 millions d’euros qui ont été versés aux théâtres privés, dit-elle, en plus du fonds de solidarité, des exonérations de charges sociales, de l’indemnisation du chômage partiel et des prêts garantis par l’État.»
Car pour la première fois de leur histoire, de nombreux théâtres n’ont eu aucune recette de billetterie. Sans date de réouverture, dans l’expectative, plusieurs ont annulé leurs créations de mars, pour les reporter cet été, ou même en 2022. Mais ils ont tout de même des dépenses: «L’aide exceptionnelle de l’État sert en gros à couvrir les pertes de la billetterie dont les recettes couvrent d’habitude l’entretien du bâtiment, les charges de fonctionnement, le gardiennage et les salaires», résume Stanislas Nordey. «Les subventions, elles, servent à payer les spectacles», confirme Daniel Benoin, directeur du théâtre Anthéa d’Antibes . Arnaud Antolinos, secrétaire général du Théâtre de la Colline, calcule: «On pourrait “gagner ” sur les coûts d’exploitation: régie, gardiennage, ouvreurs. Si à la marge on fait des économies, tout sera affecté à l’emploi artistique.»
Des «places solidarité»
Stanislas Nordey confirme: «Nous payons les artistes programmés, comme Sylvain Creuzevolt, qui a monté Les Frères Karamazov, et les employés permanents.» À l’instar de l’Odéon, qui bénéficie de 12 millions de subventions: «Nous avons eu une baisse spectaculaire de nos ressources propres. L’argent du plan de relance, 400.000 euros, permet de nous maintenir à flot», explique Bethânia Gaschet. Pour fonctionner, l’Odéon, qui compte 130 salariés, reçoit également 500.000 d’euros de mécénat, mais a besoin de 17 à 18 millions d’euros par an. À La Colline, «le théâtre étant fermé, nous n’avons pas relancé de programmation», signale Arnaud Antolinos. En janvier, la compagnie d’Isabelle Lafon n’a pas pu jouer, mais son cachet lui a été versé.
Comme leurs homologues du privé, les scènes subventionnées remboursent le public s’il l’exige, ou lui proposent un avoir ou un report. «Entre mars et décembre, nous avons remboursé 95.000 billets», précise Daniel Benoin, dont le théâtre, qui comptabilise 14.000 abonnés hors pandémie, comprend deux salles (une de 1200 places, la seconde de 250). Le responsable, qui poursuit les répétitions de 1984, d’après George Orwell, affirme que «40% des gens ne demandent pas à être remboursés. Ils veulent être solidaires avec le théâtre».
À La Colline, «30% n’ont pas demandé à l’être», se félicite Arnaud Antolinos. La Criée, une salle de 800 places et une autre d’environ 260, mise également sur des reports. Sa directrice, Macha Makeïeff, signale: «Nous avons des “places solidarité”, nous payons les compagnies même si elles ne jouent pas. Nous redistribuons l’argent qui reste aux créations, aux ateliers et aux feuilletons sonores, ce qui fait un réservoir d’heures pour les artistes et les techniciens.»
La démarche est identique à La Colline, forte de trois salles de répétition et de deux autres de spectacle: «Pas question d’en laisser une vide, il s’agit de continuer à faire travailler artistes et auteurs, en commandant des textes et en élaborant des créations», explique Arnaud Antolinos. Le théâtre Anthéa d’Antibes espère reprendre en juillet son premier spectacle inédit de la saison: Un prince, avec Sami Bouajila. À l’Odéon, Christophe Honoré répète actuellement sa dernière création, Le Ciel de Nantes. Les moyens semblent pourtant insuffisants aux yeux des dirigeants: «Nos charges augmentent mécaniquement; avec le coût de la vie, la tutelle doit prévoir des rallonges», anticipe Arnaud Antolinos.
En parallèle, tous les moyens sont bons pour garder un lien avec le public, en particulier diffuser des spectacles, en direct ou en streaming. La Criée a, elle, eu récemment la «chance» de jouer Les Femmes savantes de Molière au Grand Théâtre du Luxembourg. En septembre, elle répétera Tartuffe pour le présenter à Marseille, en novembre, puis aux Bouffes du Nord, à Paris. Sylvain Creuzevault, artiste associé de l’Odéon, joue en ce moment Le Grand Inquisiteur , une petite forme dans des lycées d’Île-de-France. Pour sa part, Stanislas Nordey continue de donner des cours d’art dramatique à l’École supérieure d’art dramatique du TNS. Il a même dû engager des enseignants car, avec les règles de distanciation, les classes ont été dédoublées.
Un espoir :...
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