Au moment où Jean-Luc Martinez postule pour un troisième mandat de président, sa politique n’a jamais été aussi contestée. Acquisition d’œuvre créant un conflit d’intérêts, travaux aux coûts démesurés en pleine crise, licences de marques détériorant l’image du musée… Un bilan qui engendre un climat social délétère.
L’image est encore dans toutes les mémoires. Pour son discours de victoire, le 7 mai 2017, Emmanuel Macron avait choisi comme cadre la pyramide du Louvre. Le musée le plus visité au monde a toujours été un symbole politique, encore plus depuis l’inauguration, il y a 30 ans, de la pyramide commandée par François Mitterrand. Autant dire que l’exécutif suit de près le renouvellement du président du Louvre, Jean-Luc Martinez, qui postule pour un troisième mandat. Il a déjà effectué deux contrats, de cinq puis de trois ans. « La décision n’est pas encore prise », nous dit un proche d’Emmanuel Macron. Elle devrait intervenir au plus tard début avril.
Le sujet en tout cas ne manque pas de créer énormément de crispations. « J’étais plein d’espoir à l’arrivée de Jean-Luc Martinez, qui voulait donner une dimension plus populaire au musée. Il rappelait ses origines sociales modestes comme pour mieux s’opposer au côté grand bourgeois de son prédécesseur Henri Loyrette, nous dit un collaborateur du service de la médiation. Mais aujourd’hui, nous avons tout simplement honte de travailler au Louvre. Il a dégradé l’image du musée. »
Professeur associé à l’université Paris I et auteur du Nouvel Âge des musées (éd. Armand Colin), Jean-Michel Tobelem constate « une contradiction totale entre le discours et la réalité. Jean-Luc Martinez promettait de se reconcentrer sur les collections permanentes mais sa politique n’est faite que de grands coups médiatiques, où le contenu passe au second plan. La communication est devenue la finalité et non plus un moyen. Il fonctionne aujourd’hui en roue libre, ce qui interroge quant à la responsabilité des pouvoirs publics ». Un membre de la direction du musée va même plus loin : « Le musée du Louvre vit en dehors des lois de la République. »
L’établissement vient ainsi de faire l’acquisition d’une fresque de Tiepolo pour un montant de 4,5 millions d’euros. Un projet défendu personnellement par Jean-Luc Martinez contre l’avis du directeur du département des peintures. Pourquoi le président du musée, spécialiste de la sculpture grecque antique, a-t-il tant souhaité acquérir cette œuvre, au coût colossal et en mauvais état ? « Il faut compléter nos collections là où il y a des manques », nous dit Adel Ziane, directeur des relations extérieures du Louvre (Jean-Luc Martinez n’a pas souhaité répondre aux questions de Mediapart).
Le vendeur du tableau est un marchand italien, Pier Franco Grosso. Selon nos informations, alors que se négocie l’achat du Tiepolo, celui-ci annonce faire un don de 70 000 euros à l’École française d’archéologie d’Athènes, une institution sous l’égide du ministère de l’enseignement supérieur dont le président n’est autre que Jean-Luc Martinez. Ce mécénat est destiné à la publication d’un ouvrage sur la sculpture à Delphes écrit par le même Jean-Luc Martinez.
Le président du Louvre a donc fait acheter par le musée qu’il dirige une œuvre auprès d’un marchand qui, au même moment, finance l’une de ses publications personnelles. Face au conflit d’intérêts, l’École française d’Athènes décide, début février, de faire machine arrière et de refuser ce mécénat. Le premier versement de 35 000 euros a ainsi été restitué à Pier Franco Grosso.
Un autre projet suscite aussi une très vive polémique. Il s’agit cette fois-ci d’une sculpture contemporaine pour le jardin des Tuileries. Jusqu’alors, Jean-Luc Martinez n’avait guère montré d’intérêt pour la création contemporaine. Intitulée Storm Cube, cette sculpture est réalisée par Marcos Lozano Merchan, un artiste inconnu mais qui appartient au même courant religieux rigoriste que Jean-Luc Martinez, le chemin néocatéchuménal. C’est l’épouse de Jean-Luc Martinez, Pascale Martinez, ex-professeur d’histoire de l’art à l’université catholique d’Angers, qui a écrit le texte hagiographique du site internet de l’artiste.
L’engagement religieux du président irait-il jusqu’à dicter sa politique muséale ? Plusieurs expositions se sont inscrites dans ce registre, comme « Poussin et Dieu » ou « La Fabrique des saintes images ». La politique actuelle de travaux interroge également par sa dimension idéologique. « Jean-Luc Martinez est obsédé par le caractère royal du Louvre. Il veut à tout prix le recréer, quitte à être dans le fantasme historique, comme s’il s’agissait de gommer l’héritage révolutionnaire et républicain du musée », nous dit un conservateur.
C’est ainsi que le Louvre fait actuellement répliquer en stuc marbre la cheminée de Marie-Antoinette à Versailles pour une salle qui sera entièrement consacrée à l’explication pédagogique du bâtiment durant sa période royale. La sémantique est aussi de mise : dans les communiqués, la salle des Caryatides est désormais qualifiée de salle de réception des rois de France, celle des Sept-Cheminées de Chambre du roi.
Dans la salle des Bronzes, les travaux ont créé une bronca encore plus grande. Le président veut ici gommer l’architecture Art déco pour revenir au style second Empire, et enlever les bronzes grecs pour y mettre des objets étrusques. Or le plafond monumental de cette salle a été réalisé en 2010 par Cy Twombly, dernière grande œuvre de l’artiste américain avant sa mort, qui l’a créé en prenant en compte le cadre architectural et en faisant référence aux statues grecques.
« Je suis profondément choqué, nous dit Nicola Del Roscio, président de la Fondation Cy Twombly, qui n’a même pas été informé de ces travaux. Cy Twombly a voulu dans son œuvre réconcilier l’art du passé et l’art contemporain. Or le Louvre fait maintenant l’exact inverse : je suis effrayé par ce changement de politique extrêmement réactionnaire. C’est tellement grave pour ce musée qui est l’essence de la culture occidentale. »
La fondation a écrit à ce sujet, début février, à la ministre de...
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