Les dispositifs de soutien ont beau être réels, ils touchent peu les musiciens frappés par la crise. La faute à un système de subventions aussi généreux dans ses montants que méconnu et complexe dans ses modalités.
Dans sa chanson Drill FR 4, le rappeur Gazo, une des révélations de l’année 2020, étend ses billets le long de son bras en demandant au public de constater la quantité d’argent qu’il possède («téma la taille de la kichta»). L’expression, qui évoque un bon gros tas de billets dans la langue du rap d’aujourd’hui, pourrait presque être reprise au compte de la ministre de la Culture, Roselyne Bachelot. Car en raison de la situation inédite dans laquelle se trouve le monde de la musique et du spectacle vivant après un an d’épidémie, les sommes à reverser pour soutenir les artistes et travailleurs du secteur n’ont jamais été si importantes, et les bénéficiaires autant dans le besoin. Pour la musique, c’est près de 200 millions d’euros que le nouveau Centre national de la musique (CNM) est chargé de ventiler, afin de répondre aux effets de la crise sanitaire sur cette filière, encore hagarde du coup de massue qui a rendu la pratique de la musique scénique illégale. Une avalanche de questions se pose pourtant, et d’abord chez les premiers intéressés, les artistes qui ne sont pas tous aidés d’une équipe de juristes et comptables aux idées longues : a-t-on le droit d’y faire appel, et comment les demande-t-on ?
Les aides, subventions ou utilisations de l’argent public sont au cœur de la création artistique française. En 2018, pour la musique, 131,24 millions d’euros collectés par la dizaine d’organismes privés ont été dépensés pour les actions culturelles et sociales, selon le rapport 2020 de la commission de contrôle des organismes de gestion des droits d’auteur et des droits voisins. Dans ce métier, il vaut donc mieux être au courant que de tels dispositifs existent. Qu’il s’agisse de l’accompagnement de la Société civile des producteurs phonographiques (SCPP) qui permet aux albums d’Alain Souchon ou de Soprano d’avoir les moyens de leurs ambitions, ou du soutien apporté par l’Adami (au service des artistes-interprètes) à la mise en place d’une version musicale d’Andromaque à Mulhouse, ces aides permettent aux projets d’exister, et à l’aura culturelle de la France de continuer à rayonner. Un autre avantage pour les artistes et les techniciens, que les spectacles montés aident parfois à devenir intermittents, un régime spécifique d’indemnisation dont ne bénéficient pas les voisins allemands, italiens ou anglais.
«Ça ne ruisselle pas du tout»
Tout le monde ne peut pas accéder à l’intermittence, particulièrement en ce moment. Cumuler 507 heures de travail est une tâche quasi-impossible dans un contexte où les salles n’ont plus l’autorisation d’accueillir du public. Une note interne de l’Unédic, chargée de la gestion des assurances chômage, confirmait début février que les musiciens et musiciennes sont les intermittents statistiquement les plus touchés par la baisse d’activité. Le Centre national de la musique, établissement public, souhaite ainsi se positionner en proposant de nouvelles aides. Parmi celles-ci, sept millions, dont cinq pour secourir les auteurs compositeurs et deux pour leur fournir un soutien direct. En 2020, 4724 projets étaient aidés par le CNM. La Sacem (société privée à but non lucratif collectant et redistribuant les droits des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique), a pu faire bénéficier environ 5000 de ses 176 150 adhérents d’un fonds de secours ou d’avances exceptionnelles. Soit environ 3 % des sociétaires, alors que, selon le dernier rapport annuel publié en septembre 2020, un sondage indique que huit membres sur dix seraient intéressés par ces aides. Beaucoup...
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