Alors que leur métier change au rythme des bouleversements de l’industrie musicale et du paysage médiatique, les attachés de presse restent, dans l’ombre des artistes, un chaînon important du développement de leur carrière.
«Beaucoup de gens s’imaginent qu’être attachée de presse se résume à passer un coup de téléphone ou envoyer un mail pour décrocher une émission radio ou un article.» Cécile Legros conteste cette vision caricaturale d’une profession aux missions souvent encore mal déterminées dans l’inconscient collectif. En prise directe avec les professionnels des médias (journalistes, programmateurs télé ou radio) et les acteurs de l’industrie musicale, dotée d’une solide expérience, elle a organisé récemment la promotion d’auteurs-compositeurs-interprètes comme Bernard Lavilliers, Cyril Mokaiesh ou Emily Loizeau ainsi que celles de festivals comme le Printemps de Bourges, le MaMa, Fnac Live. Au total elle s’est occupée d’une vingtaine de projets artistiques durant l’année écoulée. Bien qu’étant l’une des attachées de presse indépendantes les plus actives du milieu, elle reste inconnue du public. «On est partout mais on ne nous voit pas», dit-elle.
C’est un métier d’ombre et de passion – même si on a entendu l’un d’entre d’eux qualifier curieusement les chanteurs qu’il défend de «clients» –, qui réclame une force de conviction, un sérieux goût pour le terrain, un investissement quotidien. Et dont l’objectif affiché, à court ou à long terme, tend à obtenir une visibilité médiatique aux artistes. «Un bon attaché de presse, c’est quelqu’un qui a du réseau, entretient son relationnel, qui arrive à joindre les journalistes et sait choisir les projets qui vont potentiellement intéresser ces derniers», résume Vicken Sayrin, jeune quadra qui a fondé l’agence VS Com il y a quinze ans. «La manière d’approcher un programmateur radio et un journaliste de presse écrite n’est pas la même. L’un sera sensible à l’efficacité d’un morceau tandis que l’autre sera davantage demandeur de storytelling. Il faut penser à ça.»
Il s’agit aussi de savoir ajuster ses arguments en fonction des lignes éditoriales, bien sûr, mais aussi s’adapter aux changements constants du paysage médiatique ainsi qu’au phénomène que représentent désormais les réseaux sociaux. «On se doit au minimum de les utiliser et d’en maîtriser les codes, constate Cécile Legros. Auparavant, on était le maillon indispensable pour apporter l’info, le clip, le disque. Aujourd’hui, il arrive qu’on ne soit qu’un simple pivot. Les journalistes sont parfois déjà au courant avant qu’on aille vers eux parce que l’artiste a posté du contenu sur Instagram. Les musiciens peuvent parfois eux-mêmes promouvoir leur musique, leurs collaborations, leurs tournées. Les canaux d’information ont été démultipliés en de telles proportions que cela nous oblige à jongler.»
Réseaux sociaux, la troisième voie
Geek dans l’âme, Vicken Sayrin a compris la force de frappe de ces nouveaux canaux et a rapidement fait évoluer sa manière de travailler. Il a lancé ses premières campagnes de marketing digital dès 2012, service principal désormais de son agence. Déterminer et créer précisément des contenus en fonction de la cible pour gagner en popularité, c’est son credo : «Les réseaux sociaux sont devenus un troisième moyen de toucher le public avec les concerts et les médias. Tu n’es plus dépendant de l’avis d’un journaliste ou de la décision d’un programmateur. Quand j’ai fait mon stage au service de presse du label Pias, une bonne chronique dans un journal de renom permettait de vendre 5 000 albums dans la semaine. L’impact n’est plus le même qu’à une certaine époque. Etre attaché de presse, décrocher des passages télés ou des couvertures de magazine, si ça n’aide pas le disque à se vendre, c’est assez frustrant.»
Pour autant, cet homme discret qui a déjà accompagné 300 artistes et festivals continue d’animer au sein de son agence un département destiné aux relations presse et deux de ses dix employés restent pleinement dédiés à cette activité. «Les médias font office de filtre et ils sont valorisants pour l’image de l’artiste. Ils restent importants dans un marché ultra-concurrentiel [60 000 sorties quotidiennes de nouveaux titres sur Spotify, ndlr]. Avant de s’entretenir avec un producteur de concerts, un programmateur de festival regarde le nombre de vues et de followers des artistes. Mais un papier dans Libé ou Télérama est toujours un sérieux atout supplémentaire», précise-t-il.
Qu’est-ce qu’apporte un(e) attaché(e) de presse à un artiste en développement afin d’optimiser ses chances de réussite ? «Une vision, une stratégie, une réelle connaissance de l’évolution des médias», répond du tac au tac Cécile Legros. Il faut prendre conscience que le paysage médiatique a changé et qu’il y a de moins en moins de place pour la culture parmi les médias généralistes. Cela demande aussi de savoir réagir face à la fébrilité de l’entourage de l’artiste en cas de retours négatifs ou d’indifférence, et enfin, résister à la course à l’immédiateté, parfois nuisible, de l’époque. «Quand je pense, poursuit Cécile Legros, au nombre de projets cramés sous prétexte de faire les émissions Quotidien ou On n’est pas couché alors que les artistes ne sont pas prêts. C’est aussi notre rôle de rester vigilants pour développer au mieux ces temps de communication et ne pas être dans une démarche contre-productive.»
Contrairement à ce qu’on pourrait supposer, les attachées de presse ne sont pas toutes obnubilées par une obligation de résultats instantanés. «Encore une fois, faire la promo d’un EP ou d’un album, ce n’est pas uniquement de la retombée c’est-à-dire avoir un article ou une chronique. On doit essayer de faire parler du projet, faire en sorte qu’il soit peu à peu reconnu par les médias, lui donner une identité. Le travail, et on a tendance à l’oublier, c’est aussi de creuser les fondations, et trouver ta position à côté de l’équipe qui entoure l’artiste pour le faire grandir», assure-t-elle, rappelant au passage que le morceau la Grenade de Clara Luciani – queen pop hexagonale du moment – a mis longtemps avant de dégoupiller en radio.
Face aux nombreuses sollicitations, en moyenne quelque 200 mails par jour, Eric Bureau, journaliste culture au Parisien spécialisé dans la musique, affiche une position claire et tranchée : «Les attaché(e)s de presse doivent s’adapter à nos besoins et ce n’est pas forcément simple. Certains considèrent que seule l’édition papier du journal est valorisante et se montrent moins intéressés quand il s’agit d’une parution web, d’autres ne communiquent que par mail et je le déplore. Même s’il y a des sympathies qui se créent, il faut garder nos distances. Ils ou elles proposent et on dispose.»
La tentation de l’indépendance
Sur les 95 membres de l’association Apres (Attaché(e)s de presse, réseau d’entraide et syndicat), qui s’est créée lors de la crise sanitaire pour obtenir un fonds d’aides et une reconnaissance auprès des institutionnels, 54 sont des femmes. Une proportion qui serait encore plus importante en comptant la centaine d’attachées de presse qui n’a pas souhaité effectuer la démarche d’adhésion. Ce qui frappe indéniablement, c’est la part d’indépendants au sein de cette profession qui ne cesse d’augmenter. D’une part, parce que les majors de l’industrie musicale ont beaucoup réduit leur nombre d’employés durant la crise du disque. D’autre part, parce que la combinaison entre l’arrivée du streaming et la baisse du coût de production d’un titre en home studio a accru le nombre de projets de manière considérable.
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