Lancé par la ministre Rachida Dati, le «Printemps de la ruralité» réunira prochainement le secteur culturel. Installés depuis trente ans dans des villages, trois acteurs engagés racontent leur travail et leur lien avec les habitants, longtemps oubliés des politiques.
Pour lutter contre les déserts culturels en milieu rural, le ministère de la Culture n’a pas inventé la poudre. Mais eux, si. «Eux», ce sont ces militants de la culture pour tous, installés «dans la pampa» depuis trente ans, et qui portent parfois à bout de bras une certaine vision du service public dans ces champs de culture intensive où adore pousser le RN. Alors ils se feront un plaisir, nous disent trois d’entre eux, de partager ce qu’ils pensent de ce «Printemps de la ruralité», concertation nationale sur l’inégalité d’accès à la culture entre métropoles et zones rurales, lancée en grande pompe par Rachida Dati fin janvier. Les premières réactions ne sont pas toujours tendres. Extrait : «Ça sent la énième concertation qui ne dépassera pas les effets d’annonce» ou la «vaste fumisterie destinée à noyer le poisson;» La suite de leurs commentaires rend parfois justice à une initiative «très tardive mais enfin valorisante». Par exemple, dans un mélange d’amertume et d’espoir, la pédagogue et chorégraphe Marie Devillers admet que oui, «il est encore temps de réaliser qu’existe en dehors des grandes villes un maillage culturel silencieux, trop discret sans doute», résultat d’un «travail de taupes passionnées» qui s’acharnent dans des petits territoires en déprise comme ici.
«Ici», ce n’est pas la chatoyante Drôme provençale. Ce n’est pas dans cette ruralité-là, le long de la D1001 direction Breteuil (Oise), qu’affluent en masse ces artistes fuyant les grandes villes depuis le confinement pour lancer des tiers-lieux culturels à la campagne. Ce n’est pas non plus là, en plein plateau picard, qu’abondent les crédits du ministère de la Culture. Ni là que coule le robinet ouvert par le président de la région, Xavier Bertrand, pour irriguer le secteur culturel. L’ex-région Picardie, qui compte un grand nombre de communes de moins de 5 000 habitants, demeure le parent pauvre par comparaison avec le Nord-Pas-de-Calais : le bassin lillois à lui seul concentre 40 % des emplois culturels de la grande région Hauts-de-France. L’Insee classait même la Picardie avant dernière sur l’échelle du rayonnement culturel national, en dépit d’un tissu associatif qui fait ce qu’il peut et des quelques établissements culturels labellisés par le ministère concentrés dans les centres urbains (Amiens, Beauvais ou Compiègne). Bref, on ne risque pas d’en croiser beaucoup, de ces petits cafés-librairies associatifs programmant des lectures performées de Baptiste Morizot. Et pourtant.
Pourtant, en bifurquant à gauche, et en pénétrant dans la commune d’Abbeville-Saint-Lucien (500 habitants), un ancien corps de ferme réhabilité a longtemps affiché «Centre chorégraphique pour l’enfance-Cie Marie-Devillers». Pendant près de vingt ans ici, une maison de maître en crépi rose comme dans les contes, et ses longères en torchis et colombages, s’est transformée plusieurs jours par semaine en cabane aux merveilles. Soit un centre d’art dédié à la jeunesse où les gens ne venaient pas seulement danser, mais s’impliquer dans des créations haut de gamme avec compositeur professionnel, costumes, décors sur mesure, festival avec gradins montés dans les cours des fermes. Une sorte d’oasis incongru planté là, entre Beauvais et Amiens.
A son lancement en 1992, certains n’avaient pas donné cher d’un projet qui détonnait autant dans le paysage. Puis, la structure prit de l’ampleur, via un contrat d’objectifs et de moyens avec le département. Des années plus tard, en 2016, c’est une loi qui a finalement eu raison de ce lieu prototype comme il en existe peu ailleurs : faute de moyens pour goudronner la cour et installer des toilettes aux normes pour les personnes handicapées, le centre a fermé ses portes au public. Il était par ailleurs partenaire de dispositifs culture-santé à l’hôpital. Marie Devillers, 68 ans, continue d’y enseigner à titre privé. Récemment, trois générations d’une même famille venaient encore y prendre des cours de danse, Pilates, percussions.
«On avait peut-être besoin de projets différents»
Aujourd’hui, dans le secteur culturel, la ruralité est sur toutes les lèvres. Celles de Laurent Wauquiez notamment articulaient bien fort au printemps 2023 : le président de la région Auvergne-Rhône-Alpes instrumentalisait la question des «déserts culturels» en campagne pour justifier de brutales coupes dans les structures des métropoles. Dans son viseur : ce ministère de la Culture accusé d’être resté sourd à un tiers de la population (selon les statistiques de l’Insee). Au même moment pourtant, la moins bruyante Inspection des affaires culturelles publiait son bilan de la diffusion des structures des arts plastiques et du spectacle vivant dans les territoires ruraux afin d’y améliorer et d’y moderniser l’action du ministère. C’est dans la foulée de cette mission que Rachida Dati lançait le Printemps de la ruralité.
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