Dans l’établissement ardennais, à l’initiative d’un enseignant, les élèves volontaires s’initient avec bonheur à la pratique scénique, qu’Emmanuel Macron entend étendre au niveau national.
« Cela m’aide à être moins timide, à m’ouvrir aux autres. Ici, je me sens bien, je ne suis pas stressée, ni oppressée, c’est comme une bulle. » Ainsi parle Ambre, élève de 3e au collège Léo-Lagrange de Charleville-Mézières, quand on lui demande pourquoi elle a ajouté « théâtre » à son emploi du temps. Dans cet établissement classé REP+ (réseau d’éducation prioritaire), c’est Fayçal Abderrezek, professeur de français, qui anime cet atelier depuis 2008. Chaque lundi et vendredi, après les cours, Ambre, Rachid, Yzae, Juan, Aaliyah, Madison, Eléa… âgés de 11 à 16 ans, poussent les tables du réfectoire, s’installent en cercle avec lui, partagent un goûter, puis se lancent pendant une heure trente dans des exercices d’improvisation et de répétitions théâtrales. « Cela m’aide à mieux montrer mes émotions », se réjouit Rachid, élève de 6e. « Cela me permet d’être plus à l’aise pour parler devant des gens et puis ça donne plus d’idées et de mots pour les rédactions », complète Yzae, élève de 4e.
Combien y a-t-il en France d’ateliers, de clubs ou de troupes de théâtre dans les collèges et d’enseignants impliqués comme Fayçal Abderrezek ? Faute d’état des lieux, les ministères de l’éducation nationale et de la culture ne sont pas en mesure d’apporter une réponse. « On ne part pas de rien, mais il n’existe pas de statistiques au niveau national sur les pratiques théâtrales dans les établissements scolaires », explique-t-on Rue de Grenelle. Pourtant, développer le théâtre à l’école est devenu une injonction présidentielle. « Je souhaite que le théâtre devienne un passage obligé au collège dès la rentrée prochaine. Parce que cela donne confiance, cela apprend l’oralité, le contact aux grands textes », déclarait Emmanuel Macron lors de sa conférence de presse du 16 janvier.
Le président de la République et son premier ministre ont tous deux fréquenté des ateliers théâtre dans leur jeunesse et en connaissent les bienfaits. Au lycée jésuite de La Providence à Amiens, Emmanuel Macron a suivi celui de sa professeure de français et future épouse Brigitte Trogneux et a joué, à 15 ans, dans l’adaptation de La Comédie du langage, de Jean Tardieu. A l’Ecole alsacienne à Paris, Gabriel Attal est monté sur scène tout au long de sa scolarité. « J’en ai fait dès le CE2 et j’interprétais “Le Chat botté”. Au collège, j’ai joué Molière, Goldoni… Je n’ai pas l’impression pour autant de camper aujourd’hui un personnage en politique, mais ces expériences m’ont aidé en termes de gestion du trac et de prise de parole publique », développait-il en août 2023 dans une interview au magazine Gala.
Trois mois après l’annonce présidentielle pour la généralisation du théâtre au collège, le flou domine. Pour l’heure, une enquête auprès des établissements est enfin menée par la Rue de Grenelle pour connaître la réalité de ce qui se passe sur le terrain. Une réalité multiple qui repose sur la bonne volonté de professeurs, d’équipes artistiques ou encore d’initiatives privées comme le Trophée d’improvisation théâtrale de la Fondation Culture & Diversité (130 collèges concernés). Rue de Valois, l’entourage de la ministre Rachida Dati estime que « c’est le ministère de l’éducation qui a le “lead” sur le dossier. Mais il y a eu trois changements de ministres en quelques mois. Donc on attend qu’il reprenne l’initiative et on s’inscrira dans le plan qui sera décidé ».
« Ça m’apporte de la culture »
A Charleville-Mézières, comme souvent dans ce type de projet, l’atelier théâtre est né d’une démarche personnelle et volontaire. « Le théâtre m’a toujours passionné et c’est devenu le prolongement naturel de mon enseignement, témoigne Fayçal Abderrezek. Il fait progresser les élèves de manière mesurable. Par exemple, très vite, ils articulent mieux et prennent conscience de la dynamique qu’il y a dans un texte. » L’atelier est ouvert à tous les élèves du collège Léo-Lagrange – « Je suis très attaché au mélange des âges », précise le professeur. A cette rentrée, quinze jeunes se sont inscrits volontairement. « J’adore ce moment dans la semaine parce que j’aime jouer, le prof est gentil et ça m’apporte de la culture », témoigne Juan, élève de 5e qui a commencé le théâtre dès la 6e.
« Pour certains jeunes cabossés, sans le théâtre, ça aurait été la catastrophe. Ça peut sauver des gamins, ça les nourrit, ils en tirent tous quelque chose de positif », constate le principal du collège, Benoît Hubsch. Il a soutenu sans réserve l’initiative de l’enseignant « parce qu’elle apporte une dimension culturelle dans une situation socio-économique dégradée ». Dans cet établissement – dont l’indice de position sociale est le plus faible des Ardennes et où 75 % des trois cents élèves sont boursiers –, « certains gamins découvrent véritablement un monde auquel ils n’auraient pas pensé, c’est quelque chose qui relève de l’acculturation », observe le professeur de français. « Le rapport coût/bénéfice de ce type d’atelier est incomparable », ajoute le principal, la seule dépense engendrée – la location d’une scène en fin d’année – étant minime.
La Fameuse Invasion de la Sicile par les ours, Joconde jusqu’à cent, Candide, L’Auberge rouge, Arrête ton cinéma… Dans une salle de classe, un mur est recouvert des affiches des spectacles créés au fil des ans grâce à l’atelier. Fayçal Abderrezek aime écrire et mettre en scène. Chaque année, il monte un projet nouveau en adaptant un roman ou une pièce classique. « Ce type d’atelier se monte assez facilement mais demande beaucoup de temps et de l’investissement personnel, c’est important d’y trouver du plaisir », insiste l’enseignant.
C’est pourquoi, selon lui, « on ne peut pas dire “faites du théâtre !” en l’imposant, ça ne marchera ni du côté des élèves ni du côté des professeurs ». Le chef d’établissement est sur la même longueur d’onde.
Lire la suite sur lemonde.fr