En plus de leurs riches fonctions à responsabilités au sein d'un théâtre ou d'un organisme, ces professionnels ont pris la plume et viennent de sortir un roman. Pourquoi ont-ils besoin d'écrire ? Comment mènent-ils cette activité en parallèle ? Témoignages.
Philippe Nicolas (CNV)
Les Âmes Peintes, éd. Cohen&Cohen, 376 pages
Comment définiriez-vous le genre de votre roman ?
Les Âmes Peintes est un roman fantastique, policier et amoureux, qui se passe au Louvre et porte sur les secrets de peinture de Léonard de Vinci. Il mêle plusieurs genres à la fois : c'est un thriller au cœur du Louvre, qui nous plonge dans l'univers artistique des grands maîtres, en même temps que dans les recherches scientifiques des laboratoires souterrains du musée. C'est une enquête policière sur fond de rivalité politico-culturelle. C'est encore une histoire d'amour à la Roméo et Juliette, à l'issue totalement inédite.
Pourriez-vous nous décrire l'histoire en quelques phrases ?
La Joconde perd le sourire. Un homme est retrouvé mort au pied d'un tableau. Deux amants se font happer par le portrait de La Belle Ferronnière de Léonard de Vinci et se battent pour rester en vie.
Tandis que le commandant Bruno Gorce traite le Louvre comme une scène de crime, tous les fils convergent vers un homme : le président du musée, Pierre Longueville.
Le patron énigmatique, au passé entaché de zones d'ombre, mène des expériences au sein des laboratoires souterrains du Louvre, et semble avoir découvert l'incroyable secret de Léonard de Vinci, au moyen duquel il paraît dérouler un plan hallucinant...
Pourquoi l'avez-vous écrit ? Comment est née l'idée d'écrire ce roman ?
J'ai écrit ce roman pour partager ce que je ressens face aux œuvres. L'idée vient d'une expérience personnelle. Il m’est arrivé souvent de rester pétrifié devant une œuvre. Je peux demeurer immobile longtemps devant une toile et m’en laisser pénétrer, sans savoir pourquoi.
Alors un jour, je me suis demandé : pourquoi ? Si j'avais avec l'œuvre que j’ai choisie (ou qui m’a choisie...), une relation vraiment exclusive, mystérieuse ?... Si j’inventais l’histoire de cette relation particulière ?
Quand l'avez-vous écrit ?
J'ai commencé à écrire ce roman il y a quelques années, après avoir visité une exposition au Clos Lucé, la demeure de Léonard de Vinci à Amboise. Cette exposition présentait les résultats du Projet Joconde, une série de tests scientifiques menés sur Mona Lisa. On y voyait le tableau radiographié sous toutes ses coutures, et chaque cliché créait comme une nouvelle œuvre d'art, qui semblait de surcroît nous murmurer les secrets de la peinture.
J'ai été impressionné par cette convergence de la science et de l'art, si chère à Léonard, et qui entrebâillait en quelque sorte les portes du fantastique.
Où l'avez-vous écrit ?
J'écris un peu partout quand il s'agit de saisir des sensations à la volée, dans la rue, les cafés. En revanche, au moment d'écrire une histoire, je préfère m'isoler pour m'immerger dans l'univers que je crée. J’écris à la mer, à la montagne, dans des chambres mansardées, des hôtels. Il m'est arrivé d'écrire dans des lieux insolites, comme des cabanes perchées dans les arbres.
Pour qui l'avez-vous écrit ?
Ce roman s'adresse à tout le monde car il parle de notre sensibilité face aux œuvres, de nos émotions face aux autres. De fait, mon public vient de tous les horizons, tous les âges, et j'en suis fier.
J'ai écrit notamment cette histoire pour que mes lecteurs, en refermant le livre, aient envie d'aller au musée. Et c'est ce qui se produit. Beaucoup m'écrivent en me disant : " je vais aller au Louvre" (certains, pour la première fois !), "je ne verrai plus jamais la Joconde comme avant"...
En combien de temps l'avez-vous écrit ?
L'écriture s'est étalée sur plusieurs années. Pour finaliser le premier jet, j'estime qu'il m'a fallu environ 7 à 8 semaines mises bout à bout. Pour arriver à la version finale, en ajustant l'intrigue, en enrichissant les personnages, il m'a fallu probablement 3 à 4 fois cette durée.
Un projet d'autre roman ?
J'écris depuis des années. J'ai donc d'autres histoires en magasin, plus ou moins abouties, sur des thèmes assez variés. Le prochain roman à voir le jour pourrait être un polar technologique et boursier se passant à New York, où j'ai vécu. La culture n’est jamais bien loin cependant car l'un des personnages principaux de l'intrigue est un créateur de jeux vidéos...
Quelles sont vos autres fonctions, votre âge ?
J'ai 52 ans et ai travaillé dans différents secteurs du champ culturel comme la télévision, la production audiovisuelle, la presse. Mon dernier poste est celui de directeur du Centre national des variétés (CNV), qui est devenu au 1er janvier le Centre national de la musique (CNM).
Catherine Blondeau (Le Grand T, à Nantes)
Débutants, éd. Mémoire d'encrier, 568 pages
Comment définiriez-vous le genre de votre roman ?
On peut croire que c'est un roman politique. Je ne suis pas sûre. Ou plutôt, disons que ce n’est pas à moi de le dire. S’il fallait le qualifier, je parlerais plutôt d’un roman qui pose des questions philosophiques (sans donner les réponses) : qu’est-ce qu’on peut faire avec ce que l’histoire a fait de nous ? Quelles sont nos marges de manœuvre ? Est-il possible de vivre libre ? Comment pouvons-nous être à la fois un et multiple, par exemple être à la fois la personne que nous étions il y a dix ans et celle que nous sommes aujourd’hui ? Est-ce qu’on peut vivre sur un mensonge ? Comment se manifeste la fascination pour le mal ? Qu’est-ce qui lui donne de la vigueur ?
Pourriez-vous nous décrire l'histoire en quelques phrases ?
C’est l’histoire de trois personnages que le hasard réunit dans un village de Dordogne célèbre pour ses sites préhistoriques. Tous trois sont des enfants de l’histoire, qu’ils ont cousue au cœur comme une blessure secrète. Magda, une jeune polonaise installée en Dordogne, fait la bouleversante découverte d’une histoire familiale qu’on lui avait cachée, à la faveur d’une rencontre amoureuse avec un archéologue sud-africain spécialiste des préhistoires humaines. C’est un roman où l’on voit des personnages traverser des épisodes tragiques de l’histoire du vingtième siècle, entre l’Afrique du Sud, la Pologne, l’Angleterre et la France, mais qui paradoxalement, dégage une puissance de vie et de joie surprenante.
Pourquoi l'avez-vous écrit ? Comment est née l'idée d'écrire ce roman ?
Nelson et Magda sont venus me visiter un été que j’étais en Dordogne en 2006. Je savais déjà que leur histoire serait un monument et qu’ils seraient mes vampires : je ne voyais pas comment j’allais pouvoir leur donner tout le temps que je sentais qu’ils allaient exiger de moi. J’ai tout de même posé une première trame du roman en 2007, puis la vie m’a appelée ailleurs : l’université, le théâtre, l’écriture de petits textes plus modestes. Mais eux, ils ne m’ont pas lâchée.
Quand l'avez-vous écrit ?
Je ne me suis mise à écrire sérieusement qu’en 2012. Ensuite, j’ai alterné les périodes d’écriture avec les périodes d’enquête et je n’ai plus arrêté. Et c’est au cours du processus que sont apparus Akash, et surtout Peter, qui s’est invité dans la danse sans que je l’aie prémédité. Imaginé à l’origine comme simple témoin de la rencontre entre Nelson et Magda, il s’est vite imposé comme un des personnages principaux.
Où avez-vous écrit votre roman ?
Je l’ai écrit chez moi à Nantes, très tôt le matin dans mon bureau, ou bien les rares week-ends que le théâtre me laissait libres. Je l’ai aussi écrit lors des voyages que réclamaient mes enquêtes, à Johannesburg, Cathedral Peak, Walbzrych, Les Eyzies et Montpazier. Je l’ai écrit enfin sur une table posée en pleine nature lors de résidences d’écriture auto-organisées à Noirmoutier, Murany Most, et chez mon amie Marie Nimier en Normandie.
Pour qui l'avez-vous écrit ?
Je l’ai écrit pour que ceux qui ont vécu les années 1980-2000 du point de vue français fassent comme moi l’expérience du décentrement. Je l’ai écrit pour ceux qui sont curieux de ce qui ne leur ressemble pas et pour tous les autres, ceux qui pensent que le monde est devenu un village global facile à comprendre, afin qu’ils soient plongés au cœur de l’irréductible multiplicité du monde.
En combien de temps l'avez-vous écrit ?
J'ai mis 10 ans à écrire ce roman.
Un projet d'autre roman ?
Entre 1998 et 2002, j’ai vécu à Johannesburg où je dirigeais l’Institut Français d’Afrique du Sud. C’est un pays qui m’a profondément marquée. Je me suis mariée là-bas et j’ai vécu dans un milieu sud-africain. On pourrait même dire que ce pays m’a transformée de manière indélébile. C’est une histoire que je raconte dans mon prochain livre…
Quelles sont vos autres fonctions, votre âge ? Avez-vous des précédentes parutions ?
J'ai 55 ans et je directrice du Grand T, théâtre de Loire-Atlantique, à Nantes. J’ai publié chez Actes Sud Johann Le Guillerm à 360°, une plongée en mots et en images dans l'univers de l'artiste circassien (2008, avec Anne Quentin) et L'Espèce dans l'espace (2017), un parcours dans l’œuvre d’Aurélien Bory. Débutants est mon premier roman.
Marc Bélit (Le Parvis, à Tarbes)
L'Argentina, Atlantica éditions, 372 pages
Comment définiriez-vous le genre de votre roman ?
L’Argentina est un roman à deux voix, c’est à la fois un roman de voyage, un roman policier, un roman théâtral et surtout un roman psychologique et politique, autant dire : un «roman-roman» qui raconte une histoire.
Pourriez-vous nous décrire l'histoire en quelques phrases ?
Cette histoire est celle d’un jeune homme qu’une rencontre imprévue avec une actrice de théâtre âgée lors d’un festival de cinéma va faire héritier, bien plus tard, d’un appartement à Buenos-Aires en contrepartie d’une tâche bien singulière (dont on ne comprendra le sens qu’à la fin du livre) qu’il aura à accomplir après sa mort.
C’est aussi celle de cette actrice dont on découvre avec le narrateur, puis peu à peu en rentrant dans le personnage en l’écoutant elle-même parler, qu’elle est le vrai sujet de ce roman. C’est elle que l’on suit depuis sa jeunesse à Buenos-Aires où elle rencontre la troupe française de Louis Jouvet en tournée en Amérique latine pendant la dernière guerre mondiale, c’est elle que l’on voit devenir une star de théâtre et de cinéma, c’est elle qui sera portée à la gloire pendant le temps du péronisme et c’est elle qui subira dans sa chair la douleur des malheurs que la Junte militaire fera subir au pays dans les années 70/80 du siècle dernier. Comment elle survivra à ces drames, comment elle cherchera à reconstruire sa carrière à Paris, comment sa résilience passera par le théâtre est l’autre grand thème du livre.
Pourquoi l'avez-vous écrit ? Comment est née l'idée d'écrire ce roman ?
Ce roman est né de la fréquentation du monde et spécialement des milieux du théâtre, singulièrement celui des Argentins de Paris qui ont bouleversé la scène parisienne à partir des années soixante-dix (Copi, Lavelli, Arias) apportant le baroque et la dérision latino-américaine à la lecture de l’histoire. C’est aussi bien entendu la fréquentation de ces artistes du tango, du théâtre et du cinéma, spécialement argentins qui m’ont inspiré le personnage réel-imaginaire d’Alicia, l’Argentina. En un sens, c’est aussi un hommage à une actrice qui m’avait dit : « vous verrez, ma vie est un roman ». Cela est devenu chez moi : la vie est un roman !
Quand l'avez-vous écrit ?
Entre 2015 et 2018.
Où l'avez-vous écrit ?
Ce roman a été écrit en France, loin de l’Amérique latine, dans le souvenir que j’en gardais, mais dans sa version finale, la confrontation avec les lieux réels où ils se passe à Buenos-Aires a fait l’objet d’un voyage de plus pour la vraisemblance du récit qui mêle constamment le réel et la fiction.
Pour qui l'avez-vous écrit ?
Il n’a pas été écrit spécialement pour quelqu’un de précis, mais pour un personnage imaginaire dans lequel l’auteur se retrouve. Une phrase de l’auteur argentin Bianciotti mise en exergue du livre éclaire ce propos lorsqu’il dit : « un livre ne s’adresse pas aux vivants… il veut consoler les morts, leur rendre justice, leur accorder une dignité, parachever leur vie… »
C’est tout le mystère des romans que de s’adresser aux vivants pour leur parler des morts en les faisant encore aimer par des lecteurs.
En combien de temps l'avez-vous écrit ?
Ce livre qui a longtemps cheminé en moi en secret m’a demandé plus de trois années pour l’écrire et en accepter la forme définitive. Mon seul désir est aujourd’hui qu’il continue à vivre dans la mémoire de ceux qui le liront.
Un projet d'autre roman ?
Pour l’instant, je travaille à un nouvel essai sur la culture.
Quelles sont vos autres fonctions ?
Homme de théâtre et de spectacle, j'ai fondé et dirigé Le Parvis, une Scène nationale en France pendant plus de trente ans. J’en suis encore le Président. Auparavant, j’enseignais la philosophie.
Avez-vous des précédentes parutions ?
Je suis l’auteur d’une dizaine d’ouvrages ; entre autres, l’auteur d’essais sur la culture dont Le Malaise de la Culture, aux éditions Séguier (Prix de l’Académie des Sciences morales et politiques 2008) ou Le spectacle au cœur (éd. Séguier), et un roman, Le Philosophe amoureux (éd. O. Jacob).
Propos recueillis par Agnès Lucas