Spécialiste du livre de seconde main, le sociologue Vincent Chabault réagit à la piste évoquée par Emmanuel Macron afin de soutenir le secteur de l’édition.
«On va mettre en place au moins une contribution qui puisse permettre de protéger le prix unique et permettre à nos auteurs, éditeurs et traducteurs aussi d’être mieux aidés» : en visite au Festival du livre de Paris, le 12 avril, Emmanuel Macron a annoncé la création d’une taxe sur les livres d’occasion, concurrents du marché des livres neufs. La mesure, soutenue par le secteur de l’édition, suscite cependant nombre de critiques et de craintes, notamment quant à l’accès à la lecture pour les moins aisés.
Vincent Chabault, sociologue et auteur de l’ouvrage le Livre d’occasion. Sociologie d’un commerce en transition (Presses universitaires de Lyon, 2022), réagit à cette annonce. Il a notamment collaboré à l’enquête de la Société française des intérêts des auteurs de l’écrit (Sofia) et du ministère de la Culture publiée le 10 avril. D’après cette étude, il y avait 9 millions d’acheteurs de livres d’occasion, en 2022, en progression de 11 % sur 5 ans. Le volume d’ouvrages de seconde main achetés est en forte hausse : plus 38 % en cinq ans, 80 millions au total, soit 20 % du marché du livre en volume et 9 % du chiffre d’affaires.
Ce projet de taxe sur les livres d’occasion vous semble-t-il pertinent ?
Depuis qu’il est mesuré, en 2017, le marché du livre d’occasion croît jusqu’à représenter aujourd’hui un livre sur cinq achetés. La reconsommation prend de l’ampleur, pas seulement pour le livre, premier commerce à avoir été plateformisé. Il est clair que l’occasion parasite de plus en plus le marché du neuf, sans toutefois le cannibaliser.
Juridiquement, après une première transaction, ni les éditeurs ni les auteurs ne perçoivent de droits. La revendication des uns et des autres peut donc apparaître justifiée. Techniquement, cela me semble difficile car malgré la plateformisation, tous les flux ne sont pas tracés. Mais rien de précis n’a été annoncé. Qui paierait cette taxe : le client, la plateforme, le bouquiniste, le particulier inscrit sur Vinted ? L’examen des revendeurs sur les marketplaces que j’avais réalisé pour mon enquête montre par ailleurs que la situation n’est pas manichéenne : le réseau de librairies Pages solidaires d’Emmaüs ou des bouquinistes revendent sur Amazon.
Quel est le profil des consommateurs et des revendeurs ?
Les 35-49 ans, diplômés, aisés et avec enfants, sont surreprésentés parmi les acheteurs d’occasion. Ce résultat contredit l’idée selon laquelle l’occasion démocratiserait la lecture. Ce sont davantage les bibliothèques publiques et les boîtes à livres qui jouent ce rôle. Quatre Français sur dix revendent des livres, issus de leur bibliothèque privée ou du glanage urbain. Les 15-34 ans sont les plus représentés parmi les revendeurs et leur position sociale est inférieure à celle des acheteurs. 80 % des revendeurs de livres sont aussi des revendeurs d’autres objets. La déprofessionnalisation du commerce progresse…
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